Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, saisi sur le fondement de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de suspendre l'exécution du permis de construire délivré tacitement le 17 mars 2021 par le maire d'Elne à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine des deux tours pour la réalisation d'un hangar agricole avec toiture photovoltaïque.
Par une ordonnance n° 2307570 du 26 janvier 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 24TL00324 du 28 février 2024, le juge des référés de la cour a rejeté l'appel formé par le préfet des Pyrénées-Orientales contre l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier.
Par une décision n° 492572 du 13 décembre 2024 le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire à la cour où elle a été enregistrée sous le n° 24TL03103.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 février 2024, le préfet des Pyrénées-Orientales demande à la cour de suspendre l'exécution du permis de construire délivré de manière tacite le 17 mars 2021 par le maire d'Elne à la société Domaine des deux tours.
Il soutient que :
- aucune tardiveté ne peut être opposée à la demande de suspension dès lors que le dossier de demande de permis de construire a été transmis, à sa demande, le 14 novembre 2023 ;
- la consultation des services de l'Etat dans le cadre de l'instruction de la demande de permis de construire ne peut être regardée comme valant transmission du dossier de permis de construire pour l'exercice du contrôle de légalité ;
- en raison de l'avis défavorable conforme délivré par les services de l'Etat au regard de la situation du terrain dans le périmètre du plan de surfaces submersibles, le permis de construire tacite délivré par le maire d'Elne est illégal au regard de l'article R. 425-21 du code de l'urbanisme ;
- le projet en litige ne pouvait être autorisé en zone UD du plan local d'urbanisme qui interdit les constructions agricoles ;
- ce projet ne répond pas à la condition prévue par l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme concernant l'implantation d'un bâtiment agricole sur un terrain qui n'est pas en continuité avec l'urbanisation ;
- la construction ne respecte pas les règles fixées par les articles UD 10 et UD 11 du règlement du plan local d'urbanisme d'Elne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2024, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine des deux tours, représentée par la SCP HGetC Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'entier dossier de demande de permis de construire a été transmis aux services de la préfecture des Pyrénées-Orientales dès le 22 juillet 2020 et la demande présentée devant le tribunal administratif de Montpellier est tardive sans que puisse être opposée l'organisation interne des services de l'Etat ;
- le complément apporté au dossier de permis de construire par la société pétitionnaire n'a pas d'incidence sur le caractère tardif de l'action du préfet ;
- aucun des moyens développés par le préfet pour remettre en cause la légalité du permis de construire en litige n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2024, la commune d'Elne, représentée par Me Vigo, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la requête d'appel est irrecevable en l'absence de tout moyen d'appel ;
- la demande de suspension du préfet est tardive en raison de la transmission de l'entier dossier après le dépôt de la demande de permis de construire le 22 juillet 2020, laquelle demande a été complétée et transmise à nouveau le 25 septembre 2020 ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens développés par le préfet n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2025 après le renvoi de la requête à la cour, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Domaine des deux tours, représentée par la SCP HGetC Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande du préfet est tardive au regard du délai raisonnable résultant de la jurisprudence du Conseil d'Etat ;
- aucun moyen n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2025 après le renvoi de la requête à la cour, la commune d'Elne, représentée par Me Vigo, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande du préfet est tardive au regard du délai raisonnable résultant de la jurisprudence du Conseil d'Etat ;
- aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 janvier 2025 à 14 heures 30 :
- le rapport de M. Moutte, juge des référés ;
- les observations de M. E... et Mme C..., représentant le préfet des Pyrénées-Orientales qui concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens et soutiennent également que le délai de recours raisonnable dégagé par la jurisprudence du Conseil d'Etat ne s'applique pas à un déféré préfectoral d'autant que dans les circonstances de l'espèce le permis tacite est entaché de fraude eu égard à la rédaction de la décision du 22 février 2021 par laquelle le maire refuse le permis tout en indiquant qu'il ne souhaite pas qu'il soit refusé et n'a donc pu acquérir un caractère définitif ;
- les observations de Me Vigo, représentant la commune d'Elne qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et fait également valoir que les conditions jurisprudentielles de la fraude ne sont pas réunies ;
- et les observations de Me Renaudin, représentant la société Domaine des deux tours qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et fait également valoir que les conditions jurisprudentielles de la fraude ne sont pas réunies.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriale au tribunal administratif de Montpellier la suspension de l'exécution du permis de construire tacite né le 17 mars 2021 par lequel le maire d'Elne a autorisé la société Domaine des deux tours à réaliser un hangar agricole avec toiture photovoltaïque sur un terrain situé au lieu-dit " A... B... ". Par la présente requête, le préfet des Pyrénées-Orientales relève appel de l'ordonnance du 26 janvier 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande comme irrecevable en raison de son caractère tardif.
Sur la fin de non-recevoir soulevée contre la requête d'appel :
2. Le mémoire d'appel présenté par le préfet des Pyrénées-Orientales, qui comporte notamment une critique de la tardiveté retenue par la juge des référés du tribunal administratifs, ne se borne donc pas à reproduire la demande formulée devant le premier juge. La fin de non-recevoir soulevée par la commune d'Elne et tirée de l'absence de motivation de la requête d'appel doit en conséquence être écartée.
Sur la fin de non-recevoir retenue par le tribunal administratif :
3. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (...) Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. (...) ". Parmi les actes mentionnés par l'article L. 2131-2 de ce code figure, au 6° " Le permis de construire et les autres autorisations d'utilisation du sol et le certificat d'urbanisme délivrés par le maire ". L'article R. 423-23 du code de l'urbanisme prévoit que, à défaut d'une décision expresse dans le délai d'instruction, le silence gardé par l'autorité compétente vaut permis de construire et selon l'article R. 423-7 du même code dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque l'autorité compétente pour délivrer le permis ou pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est le maire au nom de la commune, celui-ci transmet un exemplaire de la demande ou de la déclaration préalable au préfet dans la semaine qui suit le dépôt. (...) ". Toutefois, par dérogation, l'article L. 424-8 du même code dispose que : " Le permis tacite et la décision de non-opposition à une déclaration préalable sont exécutoires à compter de la date à laquelle ils sont acquis ".
4. S'il résulte des dispositions de l'article L. 424-8 du code de l'urbanisme citées au point précédent qu'un permis de construire tacite est exécutoire dès qu'il est acquis, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a été transmis au représentant de l'Etat, les dispositions de cet article ne dérogent pas à celles de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, en vertu desquelles le préfet défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 de ce code qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Figurent au nombre de ces actes les permis de construire tacites. Une commune doit être réputée avoir satisfait à l'obligation de transmission dans le cas d'un permis de construire tacite, si elle a transmis au préfet l'entier dossier de demande, en application de l'article R. 423-7 du code de l'urbanisme. Le délai du déféré court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l'hypothèse où la commune ne satisfait à l'obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission.
5. La société Domaine des deux tours, qui exploite un centre équestre sur le territoire de la commune d'Elne, a déposé le 17 juillet 2020 un dossier de demande de permis de construire pour la réalisation d'un hangar agricole équipé d'une toiture photovoltaïque. Par un bordereau d'envoi daté du 22 juillet 2020 la commune a transmis le formulaire de demande de permis de construire aux services de la préfecture des Pyrénées-Orientales. La seule transmission de ce formulaire ne peut être regardée comme valant transmission du dossier complet. Enfin les demandes de dérogation présentée au titre de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme et d'avis au titre de l'article R. 425-21 du même code, ne constituaient pas, en l'absence de toute mention expresse en ce sens, une transmission au préfet au sens et pour l'application de l'article R. 423-7 précité du code de l'urbanisme. Le délai de recours n'a donc commencé à courir au titre des dispositions précitées que le 14 novembre 2023 jour de réception en préfecture de l'entier dossier et du certificat de permis tacite délivré par le maire d'Elne. Par suite, c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté comme tardif le déféré du préfet des Pyrénées-Orientales présenté le 22 décembre 2023, alors que celui-ci avait été formé dans le délai de deux mois. Il y a lieu pour la cour d'annuler ladite ordonnance et de statuer immédiatement par voie d'évocation sur la demande du préfet devant le tribunal.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance en appel :
6. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir, y compris par le représentant de l'Etat lorsqu'il exerce le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation de transmission ne permet pas que soit opposé au préfet le délai de recours fixé par le code général des collectivités territoriales, le représentant de l'Etat dans le département ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le préfet, ce délai ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Cette règle est également applicable à la contestation d'une décision implicite valant délivrance de l'autorisation d'urbanisme en application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, le délai commençant à courir à la date de naissance de cette décision si le préfet peut la connaître au titre de l'exercice du contrôle de légalité.
7. Même s'il n'avait pas reçu l'entier dossier de demande de permis de construire, le service du contrôle de légalité a été destinataire le 22 juillet 2020 du formulaire de demande de ce permis de construire. Toutefois il ne ressort pas des pièces du dossier que ce service ait été destinataire de la majoration du délai d'instruction porté à six mois le 14 août 2020 et du caractère complet du dossier déposé le 25 septembre 2020, ces derniers éléments n'ayant été transmis aux services de l'Etat chargés de l'urbanisme que dans le cadre de l'instruction des dérogations et avis. Le préfet, exerçant le contrôle de légalité, ne pouvait ainsi, au vu du seul formulaire et même s'il n'avait pas non plus reçu une décision de refus de permis de construire, connaître la date de naissance du permis tacite à l'expiration du délai majoré d'instruction résultant de l'application de l'article R. 423-42 du code de l'urbanisme soit le 17 mars 2021, ni même la certitude de son existence. La tardiveté tenant à l'expiration d'un délai raisonnable ne peut donc être accueillie.
Sur la suspension :
8. En l'état de l'instruction les moyens du déféré tirés de la méconnaissance de l'article R. 425-21 du code de l'urbanisme et des articles UD 10 et UD 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune d'Elne sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et la suspension du permis de construire tacite né du silence gardé par le maire d'Elne sur la demande de la société Domaine des deux tours
Sur les frais liés au litige :
9. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune d'Elne et la société Domaine des deux tours ne peuvent qu'être rejetées.
O R D O N N E :
Article 1er : L'ordonnance susvisée du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2024 est annulée.
Article 2 : Le permis de construire tacite né le 17 mars 2021 du silence gardé par le maire d'Elne sur la demande de la société Domaine des deux tours est suspendu.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Elne et à la société Domaine des deux tours présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, à la commune d'Elne et à la société civile d'exploitation agricole Domaine des deux tours.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Fait à Toulouse, le 20 janvier 2025.
Le juge des référés,
signé
J-F. Moutte
La greffière,
signé
M-D... La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N° 24TL03103 2