Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse suivante :
M. E... D..., représenté par Me Girard, avocat, membre de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Lysis Avocats, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, de prescrire, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, une mesure d'expertise pour constater l'insuffisance des volumes d'eau mis à disposition du domaine viticole qu'il exploite sur le territoire de la commune de Narbonne par l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel et l'association syndicale autorisée du Fossé arrosoir de la Rèche, rechercher l'origine et les causes de ces désordres et décrire les travaux propres à remédier aux désordres.
Par une ordonnance n° 2307612 du 3 mai 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 mai et 22 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Girard, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance en date du 3 mai 2024 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'ordonner une expertise sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative en donnant comme mission à l'expert de :
- se rendre sur les lieux du litige ;
- convoquer les parties ;
- se faire remettre tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- constater et décrire les désordres allégués ;
- indiquer la nature de ces désordres, leur importance et leur date d'apparition ;
- rechercher l'origine et les causes de ces désordres, en cas de pluralité de causes, préciser la part et l'imputabilité respective de chacune d'entre elles ;
- dire s'il y a un chevauchement du périmètre des associations syndicales autorisées requises sur les terres de sa propriété ;
- s'il existe des tours de distribution d'eau pour l'irrigation, dire s'ils ont été respectés pour les terres de sa propriété ;
- dire si les ouvrages de la propriété de l'association syndicale autorisée du Raonel et de l'association syndicale autorisée de la Rèche ont été exécutés conformément aux règles de l'art, et préciser s'il y a erreur de conception, vice de construction, vice des matériaux, malfaçons ou autre cause des désordres ;
- dire si des ouvrages nécessaires à la réalisation de l'objet social de l'association syndicale autorisée du Raonel et de l'association syndicale autorisée de la Rèche sont manquants ou défectueux ;
- dire si ces désordres sont, ou non, de nature à nuire à la submersion et à l'irrigation des terres de sa propriété ;
- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités éventuellement encourues ;
- décrire les travaux propres à remédier aux désordres, en prévoir la durée et en chiffrer le coût ;
- proposer, le cas échéant, les mesures d'urgence à mettre en œuvre afin d'éviter, pendant les opérations d'expertise, une aggravation des désordres ;
- fournir tous éléments de nature à permettre d'apprécier l'étendue du préjudice subi ;
- adresser aux parties un pré-rapport dans lequel seront exposées les conclusions de l'expert ;
- répondre aux dires des parties déposés dans le mois suivant la communication dudit pré-rapport.
3°) de mettre à la charge de l'association syndicale autorisée du fossé arrosoir de la Rèche et de l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'expertise est utile pour déterminer si l'état dégradé de ses cultures de vigne résulte d'une insuffisance d'irrigation par submersion.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juillet 2024, l'association syndicale autorisée du fossé arrosoir de la Rèche et l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel, représentées par Me Berguet, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. D... de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que rien ne permet de présumer qu'elles seraient concernées par les désordres allégués et qu'un lien de causalité existerait entre les désordres et une quelconque faute.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., viticulteur, est propriétaire de 42 hectares plantés en vigne sur le territoire de la commune de Narbonne (Aude). Ses terres sont incluses dans le périmètre de l'association syndicale autorisée du fossé arrosoir de la Rèche et l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel. L'objet de ces deux établissements publics administratifs est de pourvoir à l'irrigation des terres des adhérents. Se plaignant de l'insuffisance des volumes d'eau mis à sa disposition par les ouvrages syndicaux, et du non-respect de ses tours d'eau, circonstances auxquelles il impute un état dégradé de ses vignes, M. D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier d'une demande d'expertise en vue pour l'expert, de constater l'insuffisance des volumes d'eau mis à disposition du domaine viticole qu'il exploite sur le territoire de la commune de Narbonne par l'association syndicale des canaux de Raonel et l'association syndicale autorisée du Fossé arrosoir de la Rèche, de rechercher l'origine et les causes de ces désordres et décrire les travaux propres à remédier aux désordres. Il relève appel de l'ordonnance du 3 mai 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Sur l'utilité de la mesure demandée :
2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. Il peut notamment charger un expert de procéder, lors de l'exécution de travaux publics, à toutes constatations relatives à l'état des immeubles susceptibles d'être affectés par des dommages ainsi qu'aux causes et à l'étendue des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de sa mission. (...) ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.
3. Pour justifier de l'utilité de la mesure sollicitée, M. D... soutient qu'une expertise lui permettrait de déterminer si l'état dégradé de ses cultures de vigne résulte notamment d'une insuffisance d'irrigation par submersion et serait utile pour une éventuelle action en responsabilité devant la juridiction administrative dirigée contre les deux associations syndicales autorisées. M. D... produit en appel, comme il l'avait déjà fait en première instance, un rapport établi par M. F... C... docteur ingénieur agronome et expert auprès de la cour d'appel de Montpellier en date du 19 octobre 2023 constatant l'état très dégradé de l'ensemble des parcelles du Domaine Saint Michel les Vignes dont il est propriétaire que l'expert attribue à un défaut d'irrigation par submersion entraînant des remontées salines et le dépérissement de la majeure partie des vignes. L'expert relève aussi, en se référant il est vrai aux dires de M. D... mais en les reprenant à son compte, que l'eau distribuée par l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel n'arrive pas en quantité suffisante. Le requérant produit également deux constats établis par un commissaire de justice en date du 8 septembre 2023 et du 8 janvier 2024 décrivant l'état du canal de l'association syndicale du Raonel et relevant des travaux imparfaitement réalisés ou inachevés. Dès lors, sans qu'y fasse obstacle la circonstance invoquée en défense selon laquelle l'association syndicale n'est pas tenue de fournir un volume d'eau minimal notamment en raison des conditions climatiques ce qui n'exclut pas que sa responsabilité puisse engagée au titre d'un défaut d'entretien des ouvrages dont elle a la charge, la mesure d'expertise demandée revêt le caractère utile requis par les dispositions précitées à son encontre.
4. En revanche le rapport de M. C... ne fait pas référence au canal de la Rèche et le constat d'huissier du 8 janvier 2024 se borne à constater que ce canal est rempli d'eau sans plus de précision. Alors que l'association autorisée du fossé arrosoir de la Rèche reprend en appel ses conclusions de rejet notamment fondées sur l'imprécision des écritures de M. D... et l'absence de pièces, la responsabilité de cet établissement public n'est en l'état de l'instruction manifestement pas susceptible d'être engagée ce qui n'interdit pas une éventuelle extension de la mission de l'expert s'il l'estime utile.
5. Il résulte de ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a refusé de faire droit à sa demande d'expertise s'agissant de l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel. Il y a lieu de faire droit à la demande de M. D... en ordonnant une expertise dans les conditions définies dans le dispositif de la présente ordonnance.
6. L'expert est tenu, entre autres, d'informer les parties de ses constatations, de recueillir leurs dires et d'en faire état dans son rapport. S'il lui est loisible de communiquer aux parties un pré-rapport aux fins de recueillir leurs observations, aucune disposition législative ou réglementaire applicable devant le juge administratif ne lui impose cette formalité. Les conclusions du requérant sur ce point ne peuvent donc être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. Les conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par le requérant à l'encontre de l'association autorisée du fossé arrosoir de la Rèche ne peuvent qu'être rejetées tout comme celles dirigées contre le requérant par l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux autres conclusions présentées au même titre.
O R D O N N E :
Article 1er : Il sera procédé à une expertise contradictoire entre les parties.
Article 2 : Mme A... B..., ingénieur en hydrologie, 8 impasse de la Pyramide - 34240 Bouzigues, aura pour mission de :
- se faire communiquer tous documents qu'elle estimera utiles à sa mission ;
- se rendre sur les parcelles plantées de vigne constituant le Domaine Saint Michel les Vignes et sur le canal du Raonel sur le territoire de la commune de Narbonne ;
- se prononcer sur l'existence des difficultés d'irrigation de ces parcelles ;
- dans l'affirmative, déterminer la nature et l'origine des difficultés d'irrigation, et, notamment, dire si ces difficultés sont causées par des dysfonctionnements affectant le canal du Raonel et si les tours de distribution d'eau pour l'irrigation ont été respectés ;
- dire si les ouvrages du canal ont été réalisés dans les règles de l'art et préciser s'il y a une erreur de conception, un vice de construction, un vice des matériaux ou tout autre malfaçon ;
- dire si les désordres éventuels de l'ouvrage sont de nature à nuire à la submersion et à l'irrigation des terres plantées de vignes du requérant et quelle est l'incidence sur ces vignes de ces insuffisances ;
- indiquer le coût des travaux de nature à y mettre fin ;
- fournir tous éléments permettant d'évaluer les préjudices de toute nature subis par le requérant.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour.
Article 4 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe dans un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 6 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera les frais et honoraires.
Article 7 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 3 mai 2024 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... D..., à l'association syndicale autorisée des canaux de Raonel et à l'association syndicale autorisée du Fossé arrosoir de la Rèche.
Fait à Toulouse, le 15 octobre 2024.
Le président,
signé
J-F. MOUTTE
La République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,