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11/06/2024 | FRANCE | N°23TL02792

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 11 juin 2024, 23TL02792


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2022 par lequel le préfet de l'Aude lui a ordonné de se dessaisir des armes, des munitions et de leurs éléments de toute catégorie dont il est en possession dans un délai de trois mois, lui a fait interdiction d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie, a procédé à son inscription au fichier national des personnes interdites d'acq

uisition et de détention d'armes et prononcé le retrait de la validation de son permis de c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2022 par lequel le préfet de l'Aude lui a ordonné de se dessaisir des armes, des munitions et de leurs éléments de toute catégorie dont il est en possession dans un délai de trois mois, lui a fait interdiction d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie, a procédé à son inscription au fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes et prononcé le retrait de la validation de son permis de chasser.

Par un jugement n° 2200959 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du préfet de l'Aude du 3 janvier 2022 précité.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 novembre et 1er décembre 2023, sous le n° 23TL02792, et une régularisation de pièces enregistrée le 12 décembre 2023, le préfet de l'Aude demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter la demande de M. B... D... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 janvier 2022 par lequel il lui a ordonné de se dessaisir des armes, des munitions et de leurs éléments de toute catégorie dont il est en possession dans un délai de trois mois, lui a fait interdiction d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie, a procédé à son inscription au fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes et prononcé le retrait de la validation de son permis de chasser.

Il soutient que :

- l'arrêté en litige n'est pas entaché d'incompétence de son signataire ;

- il n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 312-11 et R. 312-67 du code de la sécurité intérieure en édictant l'arrêté en litige dès lors que le comportement de M. B... D... et son état de santé sont de nature à porter une atteinte à l'ordre public et à la sécurité des personnes ;

- la plainte déposée contre M. B... D... a seulement fait l'objet d'un classement sans suite en raison de son irresponsabilité pénale et non en raison du caractère insuffisamment caractérisé de l'infraction ;

- l'expertise psychiatrique diligentée par l'autorité judiciaire a conclu à un avis défavorable à la détention d'armes à feu ;

- l'intimé est également défavorablement connu au sein du fichier de traitement des antécédents judiciaires et s'est signalé par un comportement injurieux et harceleur auprès des services de la préfecture à travers des appels et l'envoi de nombreux courriels inappropriés depuis deux ans.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, M. B... D..., représenté par Me Schoegje, conclut au rejet de la requête et à ce que l'État lui verse une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 avril 2024 à 12 heures.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 novembre et 1er décembre 2023, sous le n° 23TL02793, et une régularisation de pièces enregistrée le 12 décembre 2023, le préfet de l'Aude demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2200959 rendu par le tribunal administratif de Montpellier le 3 octobre 2023.

Il soutient que la requête en appel par laquelle il a saisi la cour comporte un moyen sérieux de nature à justifier, en l'état de l'instruction, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées dans le cadre de la demande soumise aux premiers juges.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, M. B... D..., représenté par Me Schoegje, conclut au rejet de la requête et à ce que la cour fasse usage de l'article R. 741-12 du code de justice administrative pour condamner l'État au paiement d'une amende pour recours abusif. Il demande, en outre, qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'il n'existe aucun moyen sérieux de nature à justifier le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 octobre 2023.

Par une ordonnance du 28 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 avril 2024 à 12 heures.

Une note en délibéré, produite pour M. B... D..., a été enregistrée, le 28 mai 2024, dans le cadre de la requête n° 23TL02792.

Vu les autres pièces de ces deux dossiers.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Schoegje, représentant M. B... D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 janvier 2022, le préfet de l'Aude a ordonné à M. B... D... de se dessaisir des armes, des munitions et de leurs éléments de toute catégorie dont il est en possession dans un délai de trois mois, lui a fait interdiction d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie, a procédé à son inscription au fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes et prononcé le retrait de la validation de son permis de chasser. Sous le n° 23TL02792, le préfet de l'Aude relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté. Sous le n° 23TL02793, le préfet de l'Aude demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes précitées n° 23TL02792 et n° 23TL02793 sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 23TL02792 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté du préfet de l'Aude du 3 janvier 2022, le tribunal s'est fondé sur la circonstance qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que le comportement de M. B... D... serait incompatible avec la détention d'armes et que l'autorité préfectorale a fait une inexacte application des articles L. 312-11 et R. 323-67 du code de la sécurité intérieure.

4. Aux termes de l'article L. 312-11 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable au litige : " Sans préjudice des dispositions de la sous-section 1, le représentant de l'État dans le département peut, pour des raisons d'ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d'une arme, de munitions et de leurs éléments de toute catégorie de s'en dessaisir. / Le dessaisissement consiste soit à vendre l'arme les munitions et leurs éléments à une personne titulaire de l'autorisation, mentionnée à l'article L. 2332-1 du code de la défense, ou à un tiers remplissant les conditions légales d'acquisition et de détention, soit à la remettre à l'État. Un décret en Conseil d'État détermine les modalités du dessaisissement. / Sauf urgence, la procédure est contradictoire. Le représentant de l'État dans le département fixe le délai au terme duquel le détenteur doit s'être dessaisi de son arme, de ses munitions et de leurs éléments ". L'article R. 312-67 du même code dispose que : " Le préfet ordonne la remise ou le dessaisissement de l'arme ou de ses éléments dans les conditions prévues aux articles L. 312-7 ou L. 312-11 lorsque : (...) / 3° Il résulte de l'enquête diligentée par le préfet que le comportement du demandeur ou du déclarant est incompatible avec la détention d'une arme ; cette enquête peut donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (...) ".

5. Il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par le préfet de l'Aude qu'à la suite d'un conflit de voisinage au cours duquel l'intéressé a exhibé une arme de type fusil munie d'une lunette en pointant depuis son balcon les immeubles situés en face de sa résidence, M. B... D... a fait l'objet d'une procédure judiciaire pour menace avec arme. Au cours de la perquisition judiciaire de son domicile, menée le 4 novembre 2020, une carabine de calibre 308 pourvue d'une lunette et de pieds de tir et des munitions ont été saisies. Le 11 juin 2021, une nouvelle perquisition a été menée au domicile de l'intéressé au cours de laquelle les services de police ont saisi des munitions et découvert la facture d'une autre arme. Par une lettre du 25 octobre 2021, le préfet de l'Aude lui a transmis le récépissé de déclaration de deux carabines des marques Howa et Savage Arms de calibre 308 win et l'a informé de la précédente déclaration, le 22 septembre 2000, d'un fusil de marque Fabam de calibre 12. Par cette même lettre, l'autorité préfectorale l'a informé qu'à la suite du procès-verbal établi par le commissariat de Narbonne le 4 novembre 2020 et du rapport d'expertise psychiatrique diligenté le 1er juillet 2021, elle envisageait de mettre en œuvre une procédure de dessaisissement des armes en sa possession et l'a invité à présenter ses observations.

6. S'il est constant que la procédure judiciaire mentionnée au point précédent a été classée sans suite par le parquet, il ressort toutefois de l'avis de classement sans suite du 28 septembre 2021 du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Narbonne, également produit pour la première fois en appel, que l'absence de poursuites pénales à l'encontre de M. B... D... est motivée par l'abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes le rendant pénalement irresponsable de ses actes au sens de l'article 122-1 du code pénal, cet avis précisant que l'intéressé souffre d'un trouble mental médicalement constaté qui ne fait pas obstacle à l'engagement de sa responsabilité civile par la victime. Par suite, contrairement à ce que soutient l'intéressé, l'élément matériel de l'infraction pour laquelle il a fait l'objet d'une procédure pénale est caractérisé et la dangerosité de son comportement est matériellement établie.

7. Sur ce point, il ressort de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, le 7 juillet 2022, également produit pour la première fois en appel, que saisie d'un recours contre la décision du procureur de la République de Narbonne du 17 décembre 2021 refusant de restituer à M. B... D... ses armes placées sous main de justice au motif qu'en application de l'article 41-4 du code de procédure pénale, une telle restitution serait de nature à créer un danger pour les personnes et les biens, cette cour a confirmé le refus de restitution des armes saisies en se fondant sur la dangerosité des objets saisis, sur le risque de réitération du passage à l'acte à l'occasion d'un nouveau différend de voisinage, sur le comportement violent de l'intéressé par le passé et l'existence d'une dangerosité neuropsychiatrique. Par cet arrêt, la chambre de l'instruction a ainsi estimé que le classement sans suite des faits reprochés à M. B... D... pour cause d'irresponsabilité pénale n'exclut pas la caractérisation de l'infraction et que le comportement violent et menaçant de l'intéressé est attesté par plusieurs voisins et mains courantes déposées à son encontre, notamment pour des litiges de voisinage, des faits et harcèlement et menaces sur des voisins, des membres de sa famille ou sur conjoint. Par cet arrêt, la cour a également relevé que l'intéressé avait adopté un comportement violent avec les policiers à l'annonce de la confiscation de son arme.

8. Si M. B... D... se prévaut de plusieurs certificats médicaux attestant, notamment, de son absence de morbidité psychique et de l'absence de trouble psychiatrique de nature à contre-indiquer la pratique du tir sportif, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier précité fait état des conclusions de l'expertise psychiatrique réalisée le 1er juillet 2021 à la demande de l'autorité judiciaire décrivant des troubles du comportement et de la personnalité ainsi qu'une dangerosité neuropsychiatrique et une personnalité associant des troubles bipolaires et dépressifs conduisant à émettre un avis défavorable à la détention d'armes à feu compte tenu de son état psychiatrique. De même, si l'intimé se prévaut de l'absence de condamnation figurant sur les bulletins n°s B2 et B3 de de son casier judiciaire, l'arrêté en litige, qui constitue une mesure de police, n'est pas fondé sur l'existence de condamnations pénales mais sur le comportement dangereux de l'intéressé. L'ensemble de ces faits traduisant l'existence d'un comportement laissant craindre une utilisation des armes dangereuse pour lui-même ou pour autrui incompatible avec la détention d'une arme, le préfet de l'Aude n'a, par suite, ni entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits ni fait une inexacte application des dispositions des articles L. 312-11 et R. 323-67 du code de la sécurité intérieure en édictant l'arrêté en litige, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Aude est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation pour annuler l'arrêté du 3 janvier 2022. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. B... D... devant le tribunal administratif de Montpellier.

En ce qui concerne l'autre moyen invoqué devant le tribunal :

10. Par un arrêté du 17 décembre 2021, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de l'Aude donné délégation à Mme C... A..., directrice de cabinet, à l'effet de signer les décisions prises en matière de police administrative. Les décisions contenues dans l'arrêté préfectoral du 3 janvier 2022 n'étant pas exceptées de cette délégation de signature, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aude est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 3 janvier 2022. Dès lors, la demande présentée par M. B... D... devant le tribunal administratif de Montpellier doit être rejetée. Il en est de même, par voie de conséquence, des conclusions présentées par l'intéressé en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 23TL02793 :

12. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2200959 du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Montpellier, les conclusions du préfet de l'Aude tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.

DÉCIDE:

Article 1 : Le jugement n° 2200959 du 3 octobre 2023 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... D... devant le tribunal administratif de Montpellier et les conclusions qu'il a formulées en appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée dans le cadre de la requête n° 23TL02793.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23TL02792 - 23TL02793


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL02792
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05-05 Police. - Polices spéciales. - Police du port et de la détention d'armes.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : SCHOEGJE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-06-11;23tl02792 ?
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