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30/05/2024 | FRANCE | N°23TL00787

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 30 mai 2024, 23TL00787


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de

séjour, à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2300739 du 10 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2023 et des pièces enregistrées le 20 janvier 2024, M. A... C... B..., représenté par Me Rudloff, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et lui interdisant de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- il est entaché d'irrégularité en l'absence de convocation régulière à l'audience et de la méconnaissance manifeste du principe contradictoire et des droits de la défense ;

Sur le moyen commun à l'ensemble des décisions :

- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente, en l'absence de production d'une délégation régulière par le préfet ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a été prise en violation du droit d'être entendu en méconnaissance des principes généraux du droit de l'Union européenne relatifs aux droits de la défense et de la bonne administration ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'article L.611-3 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation ;

Sur la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est privée de base légale ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle est privée de base légale ;

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle présente un caractère disproportionné ;

- elle est privée de base légale.

Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas présenté d'observations, malgré une mise en demeure adressée le 18 septembre 2023.

Par ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- et les observations de Me Amari de Beaufort substituant Me Rudloff, représentant M. C... B....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., ressortissant tchadien né le 25 juillet 1993 à N'Djamena (Tchad), qui est entré en France en juillet 1994 avec ses parents, a bénéficié d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale du 20 février 2012 au 19 février 2013, renouvelé jusqu'au 7 juillet 2014. Il a sollicité son admission au séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale le 8 mars 2021. Par un arrêté du 5 octobre 2021 que l'intéressé n'a pas contesté, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande et a assorti sa décision de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. A la suite de son interpellation pour des faits de " grivèlerie de restaurant " le 3 mars 2023, M. C... B... a été placé en garde à vue puis en rétention administrative. Par un arrêté du même jour, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par ordonnance du 6 mars 2023, le juge des libertés et de la détention l'a assigné à résidence à Marseille, au regard des réelles garanties de représentation effective dont il justifiait. M. C... B... relève appel du jugement du 10 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2023.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 776-16 du code de justice administrative : " Le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu où le requérant est placé en rétention ou assigné à résidence au moment de l'introduction de la requête ou, si elle a été introduite avant le placement en rétention ou l'assignation à résidence, au moment où cette mesure est décidée. / Toutefois, lorsque, avant la tenue de l'audience, l'étranger est transféré dans un autre lieu de rétention, le président du tribunal administratif peut décider, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, par une décision insusceptible de recours, de transmettre le dossier au tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le nouveau lieu de rétention. / Lorsque le président d'un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'un autre tribunal administratif, il lui transmet le dossier sans délai et par tous moyens, dans les formes prévues au premier alinéa de l'article R. 351-6. (...) ". Aux termes de l'article R. 776-17 du même code : " Lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence après avoir introduit un recours contre la décision portant obligation de quitter le territoire ou après avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle en vue de l'introduction d'un tel recours, la procédure se poursuit selon les règles prévues par la présente section. Les actes de procédure précédemment accomplis demeurent valables. L'avis d'audience se substitue, le cas échéant, à celui qui avait été adressé aux parties en application de l'article R. 776-11. / (...) / Lorsque le requérant est placé en rétention ou assigné à résidence en dehors du ressort du tribunal administratif qu'il a saisi en application des dispositions de la section 2, le dossier est transmis au tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de rétention ou d'assignation à résidence. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet des Bouches-du-Rhône, par un arrêté du 3 mars 2023, a obligé M. C... B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Au moment de l'introduction de la requête de première instance, M. C... B... était retenu au centre de rétention de Nîmes, soit dans le ressort territorial du tribunal administratif de Nîmes. Toutefois, à la suite de l'ordonnance du 6 mars 2023 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nîmes, l'intéressé a été remis en liberté et assigné à résidence à Marseille, au regard des réelles garanties de représentation effective dont il justifiait. Alors que, par courriers du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nîmes a adressé un avis de radiation du rôle initialement prévu le 8 mars suivant, un nouvel avis d'audience a été adressé par courriers du 8 mars 2023. Il est constant que cette convocation a été adressée à l'association Forum réfugiés alors que le conseil de M. C... B... avait pris l'attache du greffe du tribunal dès le 8 mars 2023 en exposant avoir été mandaté par le requérant, et qu'il lui a été indiqué qu'une ordonnance de transfert pour le tribunal administratif de Marseille avait été prise. Dans ces conditions, alors même que le requérant a été représenté par un avocat commis d'office lors de l'audience du 10 mars 2023, M. C... B..., qui était assigné à résidence à Marseille et avait informé le tribunal de la désignation d'un mandataire pour le représenter, est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors qu'il a été privé de la possibilité d'organiser utilement sa défense. M. C... B... est dès lors fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur la demande présentée par M. C... B... devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 mars 2023 :

5. D'une part, aux termes de l'article L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans ses dispositions alors applicables : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) ; 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire.

6. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... B..., qui est entré en France en juillet 1994 à l'âge d'un an, accompagné de ses parents, a été scolarisé à compter du 1er septembre 1999 en classe de cours préparatoire à l'école primaire publique Emile Vayssière à Marseille, puis dans différents établissements scolaires de la même ville et en dernier lieu au lycée des métiers La Viste à Marseille au titre de l'année scolaire 2012/2013 en classe de terminale " bac pro commerce ". Il a bénéficié d'un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale du 20 février 2012 au 7 juillet 2014. S'il est constant qu'il n'a sollicité le renouvellement de son titre de séjour qu'en mars 2021 et que le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande par un arrêté du 5 octobre 2021 que le requérant n'a pas contesté, il ressort cependant des pièces produites pour la première fois devant la cour que le requérant justifie avoir résidé en France postérieurement à l'expiration de son titre de séjour. Il produit ainsi notamment une attestation d'activité artistique établie le 10 mars 2023 par le directeur artistique de la compagnie " Mémoires vives " selon laquelle M. C... B... est intégré en tant qu'artiste/chanteur/auteur/interprète depuis octobre 2015, détaillant l'ensemble de ses activités depuis cette date. Alors qu'il produit de nombreuses pièces justifiant de la continuité de son séjour en France depuis 2021, il est par ailleurs constant que le requérant a été victime de violences dans la nuit du 28 au 29 mai 2016, ainsi qu'il résulte de la convocation au tribunal correctionnel de Marseille pour le 5 novembre 2021. Par suite, nonobstant la circonstance que son passeport a été établi le 9 août 2018 à N'Djamena, le requérant justifie ainsi, à la date de l'arrêté contesté, d'une résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans. Il ne pouvait dès lors pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 cité au point 2. Le requérant est par suite fondé à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu cet article et à demander l'annulation de cette mesure d'éloignement.

8. Au surplus, il ressort des pièces également produites pour la première fois devant la cour que si M. C... B... est célibataire sans charge de famille, ses parents, son frère ainsi que ses demi-sœurs sont de nationalité française. Ainsi qu'il a été exposé au point précédent, l'intéressé, qui résidait au domicile de son père à la date de l'arrêté attaqué, justifie avoir résidé en France de manière continue depuis l'âge d'un an. Il justifie également de son insertion professionnelle en qualité d'artiste chanteur. Par suite, le requérant est fondé à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. L'annulation de cette décision entraîne par voie de conséquence l'annulation des décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. C... B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 3 mars 2023.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet des Bouches-du-Rhône délivre sans délai à M. C... B... une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais de l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement d'une somme de 1 200 euros à M. C... B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes du 10 mars 2023 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 3 mars 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer sans délai à M. C... B... une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... B... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B..., au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°23TL00787 2


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00787
Date de la décision : 30/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Anne Blin
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : RUDLOFF

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-30;23tl00787 ?
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