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30/05/2024 | FRANCE | N°22TL22200

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 30 mai 2024, 22TL22200


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jou

r de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation.



Par un jugement n° 2006733 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2006733 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 4 et 17 novembre 2022 et les 20 mars et 26 avril 2023, Mme D... C..., représentée par Me Naciri, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 mars 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade, dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'État les entiers dépens ainsi que le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique.

Elle soutient que :

Sur le moyen commun aux décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français :

- les décisions sont entachées de vices de procédure en raison du caractère irrégulier de la composition du collège de médecins de l'OFII, en l'absence des signatures des médecins ayant siégé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4127-76 du code de la santé publique, et en raison de l'absence de caractère collégial de l'avis rendu par cet organisme ;

Sur la décision portant refus de séjour :

- elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'avère à tout le moins entachée d'une conséquence d'une exceptionnelle gravité qu'elle emporte sur sa situation personnelle et celle de son fils ;

- elle est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est privée de base légale ;

- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation sur la capacité à voyager de son fils ;

- elle est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle est privée de base légale ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation sur la capacité à voyager de son fils.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par ordonnance du 13 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2023.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 5 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 6 octobre 1970 à Kasserine (Tunisie), de nationalité tunisienne, est entrée en France le 8 septembre 2019 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa court séjour, accompagnée de ses deux enfants mineurs. Elle a sollicité, le 15 juillet 2020, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent accompagnant un enfant malade, sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 8 décembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C... relève appel du jugement du 10 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2020.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, (...), sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. / L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ".

3. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie de produire tous les éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, la possibilité de bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile, notamment la communication de l'entier dossier médical de l'OFII.

4. Le collège des médecins de l'OFII a estimé, dans son avis du 28 octobre 2020, que le défaut de prise en charge de l'état de santé du fils de Mme C..., le jeune E... né le 18 avril 2007, pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que le fils de Mme C... présente des troubles graves de type troubles du spectre autistique avec un retard intellectuel sévère, notamment une absence de langage verbal. Le handicap dont il souffre requiert un accompagnement au quotidien dans tous les actes de la vie courante ainsi qu'un suivi médical très régulier et pluridisciplinaire complexe. Par décision du 26 mai 2020, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées lui a attribué une allocation d'éducation de l'enfant handicapé valable du 1er février 2020 au 30 avril 2027, estimant que son taux d'incapacité était supérieur ou égal à 80% du fait des difficultés ayant des conséquences majeures dans sa vie quotidienne et sur son autonomie. Selon le certificat médical établi le 11 mars 2021 par le docteur A..., psychiatre au centre médico-professionnel La Faourette, l'état clinique du jeune E... à son arrivée en France était particulièrement grave et constituait le signe d'une absence de prise en charge adaptée dans son pays d'origine. Si ce médecin ajoute, sans autres précisions utiles, ne pas avoir connaissance d'une technicité équivalente et adaptée aux troubles de l'enfant en Tunisie, il ressort toutefois du certificat médical du 8 août 2019 établi par le docteur B..., pédopsychiatre à Monastir (Tunisie), qui est produit pour la première fois devant la cour, que l'état de santé du jeune E... requiert une prise en charge en centre spécialisé au regard de sa situation très handicapante nécessitant une intervention complexe et pluridisciplinaire, et qu'en Tunisie les structures adéquates ne sont pas disponibles avec un manque de médecins spécialistes. Il ressort en outre d'une décision du Défenseur des droits du 18 juin 2020 concernant la situation d'un jeune enfant tunisien âgé de 12 ans présentant de très nombreuses difficultés psychiques et cognitives, associées à des troubles du spectre autistique particulièrement sévères, document également produit pour la première fois devant la cour, que selon le médiateur de la République de Tunisie, il n'existe pas d'institution publique polyvalente spécialisée dans la prise en charge médicale des enfants présentant un tel handicap. Selon le médiateur de la République de Tunisie, s'il existe plusieurs associations prenant en charge les jeunes autistes, celles-ci ne le font que pour les jeunes enfants âgés de moins de 5 ans, et seuls les enfants présentant un handicap léger font aujourd'hui l'objet d'une inclusion scolaire. Ces éléments sont corroborés par les autres pièces produites par Mme C... devant la cour, notamment un article d'une chercheuse en droit et sciences politiques de l'union africaine en date du 18 mai 2021, un entretien avec le président de l'association tunisienne de défense des droits de l'enfant du 6 avril 2022, ainsi qu'un document relatif à un projet de coopération monégasque au développement pour la prise en charge et l'inclusion d'enfants autistes, lequel confirme le constat d'une absence d'orientation et de dispositif d'accompagnement de qualité des enfants souffrant de troubles du spectre autistique. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, compte-tenu de la gravité de son état de santé, le jeune E... ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, en refusant d'admettre au séjour Mme C... en qualité d'accompagnant d'un enfant malade, le préfet de la Haute-Garonne a méconnu les dispositions alors applicables prévues à l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. L'annulation de cette décision entraîne par voie de conséquence l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 8 décembre 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à Mme C... un titre de séjour en qualité de parent accompagnant un enfant malade. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à la délivrance de ce document dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

8. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Me Naciri dans les conditions fixées à l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2006733 du tribunal administratif de Toulouse du 10 mars 2022 et l'arrêté du 8 décembre 2020 du préfet de la Haute-Garonne sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à un titre de séjour à Mme C... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Naciri une somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à Me Naciri, au préfet de la Haute-Garonne et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL22200 2


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22200
Date de la décision : 30/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Anne Blin
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : NACIRI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-30;22tl22200 ?
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