Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2207381 du 4 janvier 2023, la présidente du tribunal administratif de Toulouse a transmis la requête de la société à responsabilité limitée Optique Austerlitz à la cour administrative d'appel de Toulouse afin qu'elle y statue en premier et dernier ressort en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative et de l'article L.600-10 du code de l'urbanisme.
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif de Toulouse, puis par des mémoires en réplique enregistrés au greffe de la cour le 5 avril 2023 et le 23 janvier 2024, la société Optique Austerlitz, représentée par Me Thalamas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le maire de Toulouse a délivré à la société Caso Patrimoine un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et permis de démolir, en vue notamment de la démolition et de la reconstruction de bureaux et de commerces sur un terrain sis 9 allées Président Franklin Roosevelt, ensemble la décision du maire de Toulouse rejetant son recours gracieux
2°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable pour avoir été introduite dans le délai de recours contentieux interrompu par un recours gracieux régulièrement formé ;
- elle justifie d'un intérêt pour agir contre la décision contestée dès lors que le chantier est générateur de nuisances et que le projet autorisé offre un paysage urbain et volumétrique sensiblement différent de l'environnement immédiat de son bien et des immeubles qui existaient précédemment, et est générateur de nuisances, l'impactant directement avec ses locaux se trouvant exactement en face du projet, de sorte que sa recevabilité à agir sur un plan urbanistique n'est pas sérieusement contestée ;
- en rapprochant les mentions d'enregistrements des pièces du dossier réglementaire, les mentions de l'arrêté de permis de construire et en visant les dates auxquelles les avis obligatoires ont été rendus, notamment celui de l'architecte de bâtiments de France, le 1er décembre 2021, il est impossible de justifier de la composition du dossier au moment de son examen par telle autorité, entachant de fait la procédure d'instruction suivie dans des conditions justifiant l'annulation recherchée ;
- le maire ne pouvait sans commettre d'erreur d'appréciation au regard des contraintes résultant du deuxième alinéa de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, autoriser la démolition des quatre bâtiments de la rue d'Austerlitz à raison de l'impact de cette démolition pour le patrimoine toulousain et l'aspect de ses rues de centre-ville ;
- le projet autorisé concernant la toiture-terrasse n'est pas conforme aux dispositions de l'article UC 11.1 du règlement du plan local d'urbanisme et n'est pas justifié ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 10.2.1 du même règlement concernant la règle de hauteur ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 7.2 du même règlement concernant la règle d'implantation en limite séparative ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 9.1 du même règlement relatif à l'emprise au sol de constructions ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 4.3.1 du même règlement concernant la gestion des eaux pluviales ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 4.4 du même règlement concernant la gestion des déchets ménagers ;
- le projet autorisé méconnaît l'article UC 2 du même règlement concernant l'interdiction de supprimer des logements ;
- la surface de vente du projet ne correspond plus à celle autorisée en commission départementale d'aménagement commercial et le projet ne correspond plus à celui autorisé par ladite commission en méconnaissance des articles L. 425-4 et R. 425-22-1 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires en défense enregistrés le 20 mars 2023 et le 14 juin 2023, la société à responsabilité limitée Caso Patrimoine, représentée par la SCP Courrech et Associés, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit mis à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir, qui ne doit pas s'apprécier par rapport aux nuisances des démolitions mais au regard du bâtiment projeté, lequel induit une amélioration du secteur, comme elle le reconnaît et dès lors que le préjudice doit résulter d'une atteinte à l'exploitation de son fonds de commerce, ce qui n'est pas démontré ;
- le moyen tiré de ce que la surface de vente du projet ne correspond plus à celle autorisée en commission départementale de l'aménagement commercial et de ce que le projet ne correspond plus à celui autorisé par ladite commission est irrecevable en application de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme ;
- aucun des autres moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2023, la commune de Toulouse, représentée par la SCP Bouyssou et Associés, agissant par Me Lecarpentier, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la Cour sursoit à statuer sur le fondement des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir dès lors que l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme exclut la prise en compte des travaux de chantier pour déterminer cet intérêt et dès lors que, alors que le projet va améliorer la situation existante fortement dégradée et que la requérante ne démontre pas que ses conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet de construction ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 8 janvier 2024 la clôture de l'instruction a été fixée au 23 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- les observations de Me Thalamas, représentant la société Optique Austerlitz ;
- les observations de Me Lecarpentier, représentant la commune de Toulouse ;
- et les observations de Me Courrech, représentant la société Caso Patrimoine.
Considérant ce qui suit :
1. La société Caso Patrimoine a déposé le 26 août 2021 auprès des services de la commune de Toulouse (Haute-Garonne) une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et valant permis de démolir pour la création d'un magasin de secteur 2 d'une surface de vente de 2 975,94 m² sis 9 allées Président Franklin Roosevelt et rue d'Austerlitz, dans le cadre d'un projet de réhabilitation d'un bâtiment accueillant auparavant l'ancien cinéma UGC et vacant depuis le 2 juillet 2019. La commission départementale d'aménagement commercial de la Haute-Garonne a rendu un avis favorable le 17 novembre 2021 concernant ce projet. A l'issue de cette procédure, par un arrêté du 11 juillet 2022, le maire de Toulouse a délivré à la société Caso Patrimoine un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et permis de démolir. La société Optique Austerlitz, exerçant une activité commerciale riveraine du projet, a formé le 8 septembre 2022 un recours gracieux à l'encontre de cette autorisation auprès du maire de Toulouse, qui a été rejeté par décision expresse le 27 octobre 2022. Par la présente requête, la société Optique Austerlitz demande l'annulation de cet arrêté en tant qu'il vaut permis de construire et de démolir.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir de la société requérante :
2. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-4 du même code : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 de ce code: " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction. En dehors du cas où les caractéristiques particulières de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d'exploitation d'un établissement commercial, ce dernier ne justifie pas d'un intérêt à contester devant le juge de l'excès de pouvoir un permis de construire délivré à une entreprise concurrente, même située à proximité.
4. Pour justifier de son intérêt à agir, la société Optique Austerlitz, qui se prévaut de l'exercice d'une activité commerciale d'optique lunetterie dans des locaux pris à bail au 5 rue d'Austerlitz de l'autre côté du projet immobilier autorisé par le maire de Toulouse, fait valoir que le chantier induit par le projet en litige aura un impact important pour la circulation et que le projet autorisé " sensiblement plus important que les bâtiments existants, modifiera sensiblement l'aspect et le cachet de la rue et, bien évidemment, la volumétrie des bâtiments confrontant le bien commercial [par elle ] exploité ". Toutefois, les difficultés transitoires de circulation et les nuisances liées au chantier de démolition et de construction d'un bâtiment ne sont pas au nombre des atteintes susceptibles d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien au sens des dispositions précitées de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme. Par ailleurs, il est constant que le projet autorisé porte sur la démolition d'immeubles délabrés et la reconstruction d'un bâtiment neuf de bureaux et de commerces accueillant auparavant l'ancien cinéma UGC, avec conservation et réhabilitation de la façade classée de l'ancien théâtre des Variétés. D'une part, la société requérante n'établit ni même n'allègue que les caractéristiques particulières de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d'exploitation de son fonds de commerce. D'autre part, en se bornant à critiquer les choix architecturaux de construction de l'immeuble, en lieu et place d'immeubles menaçant ruine, dont les caractéristiques et la volumétrie ont été approuvé par le conservateur régional des monuments historiques dans son avis du 1er décembre 2021, et dans la continuité de bâtiments voisins ne présentant pas une homogénéité et un intérêt architectural particulier, la société requérante ne démontre pas que la construction projetée est susceptible d'affecter directement, au sens des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, les conditions d'utilisation et de jouissance du bien immobilier dans lequel elle exerce son activité.
5. Par suite, et dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée respectivement par la commune de Toulouse et la société Casino Patrimoine, et de rejeter, en tant qu'elle est irrecevable, la requête de la Sarl Optique Austerlitz.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée par la société requérante, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société le versement d'une somme de 1 500 euros à la commune de Toulouse et une somme de 1 500 euros à la société Caso Patrimoine au titre des frais exposés par elles dans cette instance et non compris dans les dépens sur le même fondement.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de la société Optique Austerlitz est rejetée.
Article 2 : La société Optique Austerlitz versera à la commune de Toulouse la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Optique Austerlitz versera à la société Caso Patrimoine une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Optique Austerlitz, à la commune de Toulouse, à la société à responsabilité limitée Caso Patrimoine.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.
Le rapporteur,
X. HaïliLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00118