Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2205979 du 20 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Moulin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 octobre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'aucun interprète en langue anglaise ne l'a assistée durant l'audience ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- cette décision méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant fixation du pays de destination est entachée d'une erreur de fait ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention contre la torture.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 avril 2023.
Par ordonnance du 6 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Alain Barthez a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 26 janvier 1991 déclarant être entrée sur le territoire français le 3 juin 2019 avec ses quatre enfants mineurs, a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 3 février 2022, le recours contre cette décision étant également rejeté par la Cour nationale du droit d'asile le 22 juin 2022. Par un arrêté du 21 octobre 2022, le préfet de l'Hérault a alors fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de quatre mois. Mme B... fait appel du jugement du 20 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 octobre 2022.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, applicable aux recours formés contre les obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence : " Dans le cas où l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française, le demande, le président nomme un interprète qui doit prêter serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience. Cette demande peut être formulée dès le dépôt de la requête introductive d'instance. Lors de l'enregistrement de la requête, le greffe informe au besoin l'intéressé de la possibilité de présenter une telle demande ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que Mme B... avait demandé le concours d'un interprète en langue anglaise dans sa requête enregistrée devant le tribunal administratif le 16 novembre 2022. Alors qu'une telle demande n'apparaissait pas manifestement injustifiée, l'intéressée ayant notamment sollicité l'assistance d'un interprète lors de son entretien avec deux internes du centre hospitalier universitaire de Montpellier, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a statué sans se prononcer préalablement sur cette demande. Dans ces conditions, le jugement attaqué est irrégulier et Mme B... est fondée à demander qu'il soit annulé.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, le préfet de l'Hérault a notamment visé, dans l'arrêté contesté du 21 octobre 2022, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles pertinents du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a rappelé la demande d'asile présentée par Mme B... ainsi que les décisions de rejet prises par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Il a également mentionné la situation familiale de l'intéressée, en indiquant qu'elle a déclaré être en concubinage et être mère de quatre enfants mineurs pour lesquels elle a introduit un réexamen de la demande d'asile ayant fait l'objet de décisions d'irrecevabilité par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides les 11 et 19 juillet 2022. Le préfet de l'Hérault a, en outre, estimé qu'une mesure d'éloignement ne porterait pas une atteinte disproportionnée au droit C... B... au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est donc suffisamment motivée.
6. En deuxième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats de scolarité au titre de l'année 2022-2023, que les filles mineures C... Mme B... sont scolarisées en France. Toutefois, l'obligation faite à Mme B... de quitter le territoire français n'a pas pour conséquence de la séparer de ses filles, qui sont d'ailleurs toutes de la même nationalité, et il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que leur scolarité ne pourrait pas être poursuivie dans leur pays d'origine. En outre, si l'appelante soutient que ses filles seraient exposées à un risque d'excision en cas de retour dans son pays d'origine et produit, à l'appui de ses allégations, son propre compte-rendu médical, cet élément n'est pas, à lui seul, de nature à établir la réalité du risque auquel ses filles seraient exposées en cas de retour au Nigéria, alors d'ailleurs que le réexamen des demandes d'asile de ses filles a été rejeté par quatre décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides les 11 et 19 juillet 2022. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France selon ses déclarations le 3 juin 2019, à l'âge de vingt-huit ans. L'intéressée, qui a formulé auprès des services de la préfecture de l'Hérault une demande d'asile le 12 juin 2019, n'a été autorisée à séjourner sur le territoire français que dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. En outre, son ex-concubin et ses filles ont également vu leurs demandes d'asile rejetées par les mêmes instances précitées. Ainsi, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'appelante aurait établi en France le centre de ses intérêts privés et familiaux, la vie familiale peut se reconstituer dans le pays d'origine. Dans ces conditions, en l'absence de circonstances exceptionnelles ou humanitaires, le préfet de l'Hérault n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation sur la situation personnelle C... B... en l'obligeant à quitter le territoire français.
Sur la décision fixant le pays de destination :
9. Aux termes de l'article 3 de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : " 1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. / 2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui reprend à compter du 1er mai 2021 les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du même code, dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
10. Mme B... soutient être menacée en cas de retour au Nigéria dès lors qu'elle s'est soustraite à un proxénète en Italie et qu'elle craint d'être retrouvée en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, la production d'un compte-rendu médical faisant notamment état de son excision et de troubles psychologiques et psychiatriques en lien avec sa vie au Nigéria n'est pas, à elle-seule, de nature à établir la réalité et l'actualité des risques auxquels l'appelante dit être exposée en cas de retour dans son pays d'origine, alors d'ailleurs que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, le préfet de l'Hérault n'a pas méconnu les stipulations et dispositions précitées ni n'a entaché sa décision fixant le pays de destination d'une erreur de fait.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 21 octobre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser au conseil C... B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2205979 du 20 décembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Montpellier et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Julie Moulin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
Le président-rapporteur,
A. BarthezL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL01236 2