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07/05/2024 | FRANCE | N°23TL01222

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 07 mai 2024, 23TL01222


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 février 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2300745 du 25 avril 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du pré

fet de la Haute-Garonne.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 25...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 février 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300745 du 25 avril 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- les dispositions du 4° de l'article 34 du règlement n° 604/2013 excluent les demandes d'information en dehors du cadre de la protection internationale et M. B... n'a aucunement sollicité une protection internationale sur le territoire français ;

- les dispositions du 4° de l'article 24 du même règlement rendent possible l'édiction d'une mesure portant obligation de quitter le territoire dans le cas où la demande de protection internationale réalisée dans un autre Etat membre a été définitivement rejetée et il ne ressort d'aucun élément du dossier que la demande d'asile auprès des autorités italiennes serait toujours en cours et n'aurait pas fait l'objet d'un rejet définitif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2023, M. A... B..., représenté par Me Cohen, conclut à la confirmation du jugement rendu en première instance et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne ne sont pas fondés ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation ;

- le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit en considérant qu'il entrait dans le champ des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il entrait dans celui de l'article L. 572-1 du même code ;

- le préfet de la Haute-Garonne a commis une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile tel que protégé par la convention de Genève.

Par ordonnance du 21 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 septembre 2023.

M. B... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barthez ;

- et les observations de Me Cohen pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 24 avril 1990 et déclarant être entré en France durant l'année 2021, a fait l'objet d'un arrêté du 8 février 2023 du préfet de la Haute-Garonne qui l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 25 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté au motif que la décision portant obligation de quitter le territoire français était entachée d'un défaut d'examen.

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 (...) ". Les articles L. 621-1 à L. 621-3 du même code prévoient que, par dérogation, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre Etat membre de l'Union européenne, notamment lorsqu'en provenance directe du territoire d'un Etat partie à la convention d'application des accords de Schengen, il est entré en France ou y a séjourné sans se conformer aux stipulations de cette convention. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 572-1 du même code : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ".

3. Le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat membre de l'Union européenne ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que si l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre.

4. Il en va toutefois différemment du cas d'un étranger demandeur d'asile. Les stipulations du 2 de l'article 31 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent en effet nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Ainsi, lorsqu'en application des dispositions du règlement du 26 juin 2013, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises mais de celles d'un autre Etat, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais dans celui des dispositions de l'article L. 572-1 du même code. En vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement ne peut être qu'une décision de transfert prise sur le fondement de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile et non une obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement de l'article L. 611-1 du même code.

5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal d'audition de M. B... par les services de police du 8 février 2023, que l'intéressé a répondu à la question de savoir s'il avait effectué une demande d'asile dans un pays européen : " oui, en Italie, en novembre 2021 lorsque j'étais au centre " et a également indiqué qu'il n'avait " pas attendu la réponse " et qu'il était d'accord " pour retourner dans l'Etat membre dans lequel une demande d'asile a été introduite ". Il suit de là que le préfet de la Haute-Garonne disposait d'éléments suffisamment précis susceptibles d'impliquer que l'intéressé ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement à destination d'un Etat tiers à l'Union européenne mais entrait dans le champ d'application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Or, il est constant que le préfet de la Haute-Garonne n'a pas vérifié les déclarations de M. B... concernant sa situation en Italie. A supposer que les autorités françaises n'auraient pu solliciter les autorités italiennes sur le fondement des dispositions du 4° de l'article 34 du règlement du 26 juin 2013 en l'absence de demande d'asile en France explicitement formulée, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de la circonstance que les locaux de police ne disposent pas nécessairement de borne Eurodac permettant de comparer les empreintes, que cette vérification aurait été impossible. La circonstance que M. B... n'établisse pas que sa demande d'asile effectuée auprès des autorités italiennes était toujours en cours et n'avait pas fait l'objet d'un rejet définitif n'était pas de nature à faire obstacle à la vérification des déclarations de l'intéressé par la consultation du fichier Eurodac en vue de déterminer si la situation de ce dernier entrait dans le champ d'application du règlement (UE) n° 604/2013.

6. Ainsi, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le préfet de la Haute-Garonne, en s'abstenant de rechercher si M. B... entrait dans le champ d'application du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, a entaché sa décision d'un défaut d'examen.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 8 février 2023.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au conseil de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Cohen la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Léa Cohen.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

Le président rapporteur,

A. Barthez

L'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau,

N. Lafon

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23TL01222 2


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01222
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Barthez
Rapporteur ?: M. Alain Barthez
Rapporteur public ?: M. Clen
Avocat(s) : COHEN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-07;23tl01222 ?
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