La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/03/2024 | FRANCE | N°23TL00595

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 28 mars 2024, 23TL00595


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie p

rivée et familiale " ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2103103 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixe le pays de renvoi et prononce une interdiction de retour pour une durée de deux ans, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 9 mars 2023 sous le n° 23TL00595, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement, en tant qu'il a fait droit à la demande de M. B....

Il soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2023, M. B..., représenté par Me Durand, conclut :

1°) à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions en annulation ;

4°) à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ou de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et, dans l'attente, de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ;

5°) à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour pour une durée de deux ans sont privées de base légale.

M. B... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 octobre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 9 mars 2023 sous le n° 23TL00596, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2103103 du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, en tant qu'il a fait droit à la demande de M. B....

Il soutient que le moyen d'annulation soulevé dans sa requête au fond présente un caractère sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2023, M. B..., représenté par Me Durand, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne ne présente pas un caractère sérieux.

M. B... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 octobre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 février 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Par la requête n° 23TL00595, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 10 février 2023 du tribunal administratif de Toulouse en ce qu'il a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixe le pays de renvoi et prononce une interdiction de retour pour une durée de deux ans, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la voie de l'appel incident, M. B... demande l'annulation de ce jugement, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses conclusions en annulation et en injonction. Par la requête n° 23TL00596, il demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de ce jugement dans cette mesure.

2. Les requêtes n° 23TL00595 et n° 23TL00596 présentées par le préfet de la Haute-Garonne étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. M. B... a bénéficié, par deux décisions du 18 octobre 2023, du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet et il n'y a donc pas lieu de statuer.

Sur la requête n° 23TL00595 :

En ce qui concerne l'appel principal du préfet de la Haute-Garonne :

4. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

5. Le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans un avis du 27 mai 2019, que si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il lui permet de voyager sans risque à destination de son pays d'origine, où, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui a levé le secret médical le concernant, souffre d'une hépatite B chronique sans agents delta, de rectocolites hémorragiques et rectorragies, d'hypertension et d'une pathologie vasculaire d'origine embolique. Il résulte de certificats établis par le médecin hépato-gastroentérologue qui suit M. B... que l'état de santé de ce dernier nécessite notamment un traitement à partir des antihypertenseurs amlodipine et atorvastatine, de l'antiagrégant clopidogrel, de l'anticoagulant eliquis et de l'anti-inflammatoire intestinal pentasa, ainsi que d'une surveillance médicale pluriannuelle de ces pathologies vasculaire, digestive et hépatique. Toutefois, ni le pentasa, ni la substance active qu'il contient, la mésalazine, ne figurent sur la liste nationale des médicaments essentiels en Guinée produite devant le tribunal. En se bornant à soutenir qu'il appartient à M. B... de justifier d'une impossibilité de bénéficier d'un traitement équivalent dans son pays d'origine, le préfet de la Haute-Garonne n'apporte aucun élément, alors que le rapport médical confidentiel destiné au collège de médecins ne mentionne pas, à tort, que l'intéressé suit un traitement à base de pentasa, permettant d'établir qu'un médicament adapté à la pathologie dont souffre M. B... y serait disponible. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ne pouvant pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine et, par suite, comme ne pouvant pas légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a estimé que la décision du préfet de la Haute-Garonne portant obligation de quitter le territoire français avait méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 5 février 2021 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixe le pays de renvoi et prononce une interdiction de retour pour une durée de deux ans, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

En ce qui concerne l'appel incident de M. B... :

8. Aux termes de l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 313-11 du même code, applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Lorsque l'administration oppose à un étranger le motif tiré de ce que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public pour refuser de faire droit à sa demande de titre de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui, s'il a déclaré être entré sur le territoire national le 15 novembre 2004, ne fait état d'aucune attache familiale ou personnelle en France, à l'exception de son frère et de sa sœur. Il a été condamné à une peine de réclusion criminelle de dix ans par la cour d'assises de la Haute-Garonne le 25 octobre 2013 pour des faits de viol commis en réunion commis le 21 mai 2011. Nonobstant l'ancienneté et le caractère non-répété de ces faits, mais eu égard à leur nature et à leur particulière gravité, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en estimant que le séjour en France de M. B... constituait une menace pour l'ordre public.

10. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que, contrairement à ce qu'a retenu le préfet de la Haute-Garonne pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, il ne peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur le motif tiré de ce que la présence en France de M. B... constitue une menace pour l'ordre public. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'erreur de droit et de l'" erreur manifeste d'appréciation " doivent être écartés.

11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 février 2021 en tant qu'il porte refus de titre de séjour et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, ni de limiter à un mois le délai laissé au préfet de la Haute-Garonne pour procéder au réexamen de la situation de M. B..., ni d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le jugement attaqué.

Sur la requête n° 23TL00596 :

12. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation partielle du jugement n° 2103103 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 23TL00596 tendant au sursis à exécution de ce jugement, dans cette mesure, sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme à verser au conseil de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête n° 23TL00595 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. B... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23TL00596 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 février 2023.

Article 5 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Clémence Durand.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23TL00595, 23TL00596 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00595
Date de la décision : 28/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. LAFON
Rapporteur ?: M. Nicolas LAFON
Rapporteur public ?: M. CLEN
Avocat(s) : DURAND;DURAND;DURAND

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-28;23tl00595 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award