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26/03/2024 | FRANCE | N°23TL00864

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 26 mars 2024, 23TL00864


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

- d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

- d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du jugement

à intervenir ;

- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des di...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

- d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

- d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir ;

- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102997 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de la Haute-Garonne, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme C... dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 avril 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la décision a été prise sans que les spécificités de la situation de Mme C... ne soient prises en compte pour apprécier si elle pouvait bénéficier d'un titre de séjour dans le cadre du pouvoir discrétionnaire reconnu au préfet : en l'absence de liens intenses, stables et anciens en dehors de son cercle familial, c'est à bon droit qu'il n'a pas souhaité user de son pouvoir discrétionnaire et procéder à la régularisation à titre dérogatoire de l'intéressée ni au titre de la vie privée et familiale ni au titre du travail.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2023 et des pièces complémentaires enregistrées les 27 juillet et 23 août 2023, Mme B... A... épouse C..., représentée par Me Mainier-Schall, conclut au rejet de la requête, demande d'ordonner l'exécution immédiate du jugement du tribunal administratif sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'État les entiers dépens ainsi que le versement d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le préfet aurait dû prendre en considération les éléments exceptionnels de sa situation ;

- elle reprend les moyens soulevés devant le tribunal tirés du défaut de motivation, du défaut d'examen de sa situation particulière, de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation, en violation des articles 6-5 de l'accord franco-algérien et L. 313-14 devenu L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par ordonnance du 2 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... épouse C..., née le 10 mars 1978 à Constantine (Algérie), de nationalité algérienne, est entrée en France pour la dernière fois le 17 juillet 2018 sous couvert d'un visa de 90 jours délivré par les autorités espagnoles, accompagnée de ses trois enfants mineurs. Le 2 octobre 2020, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 16 avril 2021, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 17 mars 2023 qui a annulé l'arrêté du 16 avril 2021 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme C... dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Toulouse a estimé que le préfet de la Haute-Garonne a entaché sa décision d'une erreur de droit dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, en ne prenant pas en considération les spécificités de la situation de Mme C... pour apprécier si elle pouvait bénéficier d'un titre de séjour.

3. Si l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne prévoit pas de modalités d'admission exceptionnelle au séjour comparables à celles de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., ingénieur d'Etat hydrogéologue exerçant ses fonctions au sein de la commune de Cherlghoum Laïd située dans la wilaya de Mila en qualité d'inspecteur principal de propreté et d'hygiène publique et de l'environnement depuis janvier 2008, avait été nommée directrice des services techniques à compter du 22 novembre 2015. Elle expose avoir été victime de faits de harcèlement moral et sexuel dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. La collectivité a mis fin à ses fonctions par décision du 17 décembre 2017 et l'intéressée a ensuite été chargée du suivi et de la prise en charge du dossier de la propreté du territoire et de la protection de l'environnement par décision du 6 février 2018. Mme C... est entrée en France pour la dernière fois le 17 juillet 2018 accompagnée de ses enfants mineurs. Avec son conjoint resté en Algérie, elle a acquis un bien immobilier à Toulouse le lendemain. Si elle expose avoir suivi une formation de préparation au concours d'aide-soignante d'une durée de quatre-cents heures à compter du 19 août 2019, elle ne justifie pas s'être présentée à ce concours. Elle se prévaut ensuite de la circonstance que son époux a le projet de venir travailler en France en tant que médecin gynécologue et a dû renoncer à passer les épreuves organisées en 2020 par le ministère de la santé en raison de la pandémie de Covid19. Alors qu'il a été convoqué par le centre national de gestion pour les épreuves d'avril 2021, il s'est vu opposer un refus de visa pour se rendre en France au motif de l'absence d'intérêt majeur. Il est constant que son époux résidait toujours en Algérie à la date de l'arrêté contesté. Il ressort des termes de cet arrêté que le préfet a pris en compte l'ensemble de ces éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de Mme C..., notamment la durée de son séjour en France et la scolarisation de ses enfants mineurs, en relevant que l'intéressée ne démontrait pas avoir tissé des liens d'une intensité particulière depuis trois ans. Si l'arrêté indique de manière erronée que les parents de l'intéressée résident en Algérie alors qu'ils sont décédés, cette circonstance ne révèle pas à elle-seule un défaut d'examen particulier de la situation de Mme C... dans le cadre du pouvoir discrétionnaire dont dispose le préfet. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché l'arrêté contesté pour ce motif doit être écarté.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 16 avril 2021.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif et la cour à l'encontre de cet arrêté.

Sur les autres moyens soulevés par Mme C... :

7. En premier lieu, l'arrêté contesté vise les textes dont il est fait application, notamment le 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier celles des paragraphes I, 3° et II de l'article L. 511-1 alors applicables. Il précise, en outre, les circonstances de fait relatives à la situation administrative et personnelle de Mme C... depuis son arrivée en France. Cet arrêté, qui comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait permettant à Mme C... d'en contester utilement le bien-fondé, est suffisamment motivé.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. Il résulte de ce qui a été exposé au point 4 et des éléments produits devant la cour, en particulier une promesse d'embauche en date du 28 avril 2022 sur un poste de technicien de surface, ainsi que la convocation de M. C... aux épreuves de vérification des connaissances en vue de l'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité gynécologie obstétrique le 29 septembre 2023, qui sont postérieurs à l'arrêté contesté, qu'en prenant la décision critiquée, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

10. En troisième lieu, eu égard aux circonstances mentionnées aux points 4 et 9, en refusant de délivrer à Mme C... un titre de séjour, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas commis, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire de régularisation, d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'exercice par le préfet de la Haute-Garonne de son pouvoir discrétionnaire de régularisation doit être écarté.

11. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protections sociales, des tribunaux, des autorités administratives ou organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Si Mme C... se prévaut de la scolarisation de ses trois enfants en France, elle ne démontre cependant pas qu'ils ne pourraient pas la suivre dans son pays d'origine et y poursuivre leurs études. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit dès lors être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 16 avril 2021, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme C... dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par Mme C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2021 ainsi que les conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l'absence de dépens, sa demande présentée à ce titre doit être également rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2102997 du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande de Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme C... présentées par la voie de l'appel incident et les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A... épouse C....

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°23TL00864 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00864
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : MAINIER-SCHALL

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;23tl00864 ?
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