Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 30 avril 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie, et d'enjoindre à la ministre des armées de lui accorder une pension en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie à compter de la date de sa demande présentée le 28 mars 2019 ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 1906403 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2021 sous le n° 21BX04141 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL24141, M. A... B..., représenté par Me Francos, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 juillet 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 30 avril 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui accorder une pension en qualité de victime civile de la guerre d'Algérie à compter de la date de présentation de sa demande ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le point 6 est insuffisamment motivé, et est entaché d'erreur de droit en ce que les premiers juges ont refusé de procéder à un examen de proportionnalité ;
- il est entaché d'erreur de droit en ce que le point 8 retient qu'il aurait pu solliciter une demande de pension en qualité de victime civile dès 2003 ;
Sur l'illégalité de la décision :
- elle est dépourvue de base légale en raison de la contrariété des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre avec les exigences conventionnelles résultant des dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son protocole additionnel n°1, en l'absence de justification réelle et objective à la différence de traitement discriminatoire instituée par la loi ;
- ces dispositions méconnaissent le principe de sécurité juridique et notamment le principe de prévisibilité de la loi ; elles ont pour effet de remettre en cause les effets légitimement attendus de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 8 février 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mai 2023.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 28 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 23 avril 1946 à Gouraya (Algérie), qui a recouvré la nationalité française par décret de réintégration du 6 mars 2003, a sollicité, le 28 mars 2019, le bénéfice d'une pension d'invalidité en qualité de victime civile en raison des dommages physiques subis lors de la guerre d'Algérie. Par une décision du 30 avril 2019, la ministre des armées a rejeté cette demande au motif de son irrecevabilité conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. M. B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler cette décision et, par un mémoire distinct, a présenté une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par une ordonnance n° 1906403 QPC du 30 juin 2020, le président de la 5ème chambre de ce tribunal a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat. Par une décision n° 441546 du 25 septembre 2020, le Conseil d'Etat a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Par un jugement du 6 juillet 2021 dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande dirigée à l'encontre de la décision du 30 avril 2019 de la ministre des armées.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des pièces du dossier que, dans le point 6 du jugement attaqué, les premiers juges ont considéré qu'eu égard aux circonstances propres à chaque guerre, les victimes civiles de la guerre d'Algérie doivent être regardées comme n'étant pas placées dans une situation analogue ou comparable à celle des victimes civiles d'autres conflits. Les premiers juges, qui n'avaient pas à préciser en quoi lesdites victimes ne seraient pas placées dans une situation analogue ou comparable à celle des victimes civiles d'autres conflits, ont ainsi suffisamment motivé leur jugement. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement ne peut dès lors qu'être écarté.
3. M. B... soutient ensuite que les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'erreur de droit, d'une part, en ne précisant pas en quoi les victimes civiles de la guerre d'Algérie ne seraient pas placées dans une situation analogue ou comparable à celle des victimes civiles d'autres conflits et en refusant de procéder à un examen de proportionnalité ainsi qu'ils y étaient invités dans le respect de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, en estimant au point 8 du jugement qu'il pouvait présenter sa demande de pension dès la date à laquelle il a été réintégré dans la nationalité française par un décret du 6 mars 2003. Toutefois, de tels moyens, qui ne relèvent pas de l'office du juge d'appel, tendent en réalité à remettre en cause leur appréciation sur le fond du litige qui leur était soumis et ne peuvent être utilement soulevés à l'appui d'une contestation de la régularité du jugement. Par suite, les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent être écartés.
Sur les droits à pension :
4. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole à cette même convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. ". Une distinction entre des personnes situées dans une situation analogue est, au sens de ces stipulations, discriminatoire si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne vise pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi.
5. Aux termes de l'article L.113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction issue du I de l'article 49 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense : " Les personnes ayant subi en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 des dommages physiques, du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec la guerre d'Algérie, bénéficient des pensions de victimes civiles de guerre. / (...) / Par dérogation à l'article L. 152-1, les demandes tendant à l'attribution d'une pension au titre du présent article ne sont plus recevables à compter de la publication de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. ". Le droit à l'attribution d'une pension s'appréciant, en vertu de l'article L. 151-2 du même code, à la date du dépôt de la demande, les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 113-6 ont eu pour objet et pour effet de mettre un terme pour l'avenir, à compter de la publication de la loi du 13 juillet 2018, à l'application du régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie.
6. M. B... soutient que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui a pour objet et pour effet de mettre un terme pour l'avenir, à compter de la publication de la loi du 13 juillet 2018, à l'application du régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie, crée une différence de traitement entre les victimes civiles de la guerre d'Algérie et les victimes civiles d'autres conflits qui peuvent continuer à bénéficier du régime d'indemnisation des victimes civiles de guerre postérieurement à la publication de la loi du 13 juillet 2018. Toutefois, les victimes civiles de la guerre d'Algérie ne sont pas placées dans une situation analogue ou comparable à celle des victimes civiles d'autres conflits, eu égard au contexte particulier des circonstances propres à chaque guerre. Le requérant soutient ensuite que ces dispositions créent une différence de traitement entre les victimes civiles de la guerre d'Algérie selon la date de dépôt de leur demande de pension. Toutefois, les victimes civiles de la guerre d'Algérie qui ont déposé une demande de pension antérieurement à l'entrée en vigueur de la modification législative de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne se trouvent pas dans une situation analogue ou comparable à celles qui ont déposé leur demande de pension postérieurement à cette même date. En outre, si ces dispositions conduisent à traiter différemment des demandes selon la date à laquelle elles ont été présentées, cette différence est inhérente à la succession de régimes juridiques dans le temps. Au regard notamment de l'écoulement du temps entre l'institution du régime spécial d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie par la loi de finances rectificative pour 1963 et la modification de celui-ci par la loi du 13 juillet 2018, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en l'absence de but légitime de nature à justifier une différence de traitement, le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre aurait pour effet d'instaurer une différence de traitement discriminatoire injustifiée et disproportionnée, en méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
7. M. B... soutient ensuite que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre méconnaît le principe de prévisibilité. Toutefois, alors que l'intéressé a été réintégré dans la nationalité française par un décret du 6 mars 2003, il disposait à tout le moins de la faculté de solliciter le bénéfice d'une pension civile en qualité de victime de la guerre d'Algérie après la publication de la décision n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré qu'au regard de l'objet de la loi ayant instauré le régime spécial d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie, la différence de traitement selon que les victimes possédaient ou non la nationalité française à la date de la loi n'était justifiée ni par une différence de situation ni par l'objectif de solidarité nationale. Il ne résulte pas de l'instruction qu'il n'était pas en mesure de prévoir à un degré raisonnable, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, les conséquences pouvant résulter du dépôt d'une demande de pension de victime civile de la guerre d'Algérie postérieurement à l'entrée en vigueur du dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre méconnaîtraient le principe de prévisibilité de la loi tel que garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. M. B... soutient enfin que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre porte atteinte au principe de sécurité juridique et aux situations légalement acquises. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, ces dispositions ont mis un terme pour l'avenir, à compter de la publication de la loi du
13 juillet 2018, à l'application du régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie et n'ont aucune portée rétroactive. Ce faisant, le législateur n'a ni porté atteinte au principe de sécurité juridique ou à des situations légalement acquises, ni remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs. Au regard en particulier de l'écoulement du temps tel qu'invoqué au point 6 entre l'institution du régime spécial d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie et la modification de celui-ci par la loi du 13 juillet 2018, la circonstance que le législateur ait simultanément supprimé pour le passé, s'agissant des demandes de pension déposées à compter du 9 février 2018 et des instances en cours au 14 juillet 2018, la condition de nationalité qui figurait dans le texte antérieur, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 et mis un terme pour l'avenir à l'application du régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie, n'a pu avoir pour effet de porter atteinte au principe de sécurité juridique.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. B... demande au bénéfice de son conseil au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Francos et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL24141 2