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12/04/2022 | FRANCE | N°20TL20282

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 12 avril 2022, 20TL20282


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 4 janvier 2020, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis pour attribution à la cour administrative d'appel de Bordeaux la requête de M. B... A..., enregistrée le 16 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, dirigée contre le jugement n° 1601165 du 27 septembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse.

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 443 799 euros en répara

tion du préjudice résultant, d'une part, de la faute commise par le commissair...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 4 janvier 2020, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis pour attribution à la cour administrative d'appel de Bordeaux la requête de M. B... A..., enregistrée le 16 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, dirigée contre le jugement n° 1601165 du 27 septembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse.

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 443 799 euros en réparation du préjudice résultant, d'une part, de la faute commise par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à cette caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 et, d'autre part, de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une codification erronée du code de l'aviation civile.

Par un jugement n° 1601165 du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux le 27 janvier 2020 sous le n° 20BX00282, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL20282, et un mémoire enregistré le 15 août 2020, M. A..., représenté par le cabinet Briard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2018 ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, eu égard à l'ampleur des développements de la requête, en ce qu'il écarte toute carence fautive du commissaire du gouvernement dans l'exercice de son pouvoir de tutelle de la caisse de retraite ;

- le jugement attaqué est entaché d'une double erreur de droit en ce qu'il a considéré que la loi du 13 septembre 1984 n'était pas applicable aux personnels affiliés à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et qu'elle ne prévoyait pas la suppression de toute décote à la limite d'âge ; les autorités de tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile ont commis une faute lourde en ne remettant pas en cause l'application par celle-ci de la minoration de pension instituée par le décret du 18 juin 1984 alors, d'une part, que ce mécanisme avait été implicitement mais nécessairement abrogé par la loi du 13 septembre 1984 supprimant la décote à la limite d'âge, que la décote instituée par le décret du 18 juin 1984, ayant trait à la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution de la retraite, est intervenue dans un domaine réservé à la loi, et, d'autre part, que la minoration des années prises en compte au-delà des vingt-cinq dernières années est également contraire à la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972, abrogée et reprise à l'article L. 921-3 du code de la sécurité sociale en ce qu'elle prévoit la validation de toutes les périodes travaillées, cotisées ou non ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il a écarté tout lien de causalité entre la faute commise par les services du Premier ministre consistant en la présentation irrégulière de la version papier des dispositions réglementaires du code de l'aviation civile relatives aux retraites et les préjudices subis.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 juin 2020 et le 23 septembre 2020, la ministre de la transition écologique, représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 août 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 25 septembre 2020.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la décision n° 84-136 L du 28 février 1984 du Conseil constitutionnel ;

- le code de l'aviation civile ;

- la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 ;

- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;

- le décret n° 67-334 du 30 mars 1967 ;

- le décret n° 84-469 du 18 juin 1984 ;

- le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 ;

- le décret n° 2005-609 du 27 mai 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., retraité de l'aviation civile et affilié à la caisse de retraite du

personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, relève appel du jugement du 27 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande, qui tendait à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 443 799 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison des fautes lourdes commises, d'une part par le Premier ministre en procédant à une codification erronée du code de l'aviation civile, d'autre part, par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995, et enfin par les représentants des administrations exerçant la tutelle de la caisse en s'abstenant de remettre en cause la minoration de pension introduite par le décret du 18 juin 1984.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En indiquant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre du commissaire du gouvernement exerçant la tutelle sur la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, au regard de son abstention à inviter cette dernière à mettre en œuvre les dispositions plus favorables du décret du 30 juin 1995 aux pensions de retraite liquidées avant son entrée en vigueur, dès lors que la cour de cassation avait jugé que ces dispositions n'avaient aucune portée rétroactive, les premiers juges ont suffisamment répondu à l'argumentation que M. A... faisait valoir sur ce point. Ainsi, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, en contradiction avec les exigences résultant de l'article L. 9 du code de justice administrative, ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la carence fautive des organes de tutelle en s'abstenant de remettre en cause la minoration de pension introduite par le décret du 18 juin 1984 :

3. En premier lieu, la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public n'est pas applicable au personnel navigant de l'aviation civile et, au demeurant, ne prévoit pas, dans sa version applicable à la date d'entrée en vigueur du décret du 30 juin 1995, la suppression de toute décote à la limite d'âge. Il suit de là que cette loi ne peut en aucun cas être regardée comme ayant implicitement abrogé le décret n° 84-469 du 18 juin 1984 en ce que ce dernier prévoit une décote et, par voie de conséquence, le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 en tant qu'il modifie le décret du 18 juin 1984. Dès lors, et en tout état de cause, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en s'abstenant de demander à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile de ne pas faire application du décret du 18 juin 1984, les représentants de l'Etat et les commissaires du gouvernement successifs auprès de la caisse auraient commis une faute lourde dans l'exercice de leurs pouvoirs de tutelle de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

4. En deuxième lieu, par sa décision n° 84-136 L du 28 février 1984, le Conseil constitutionnel, sollicité par le Premier ministre pour se prononcer sur la nature juridique des dispositions de l'article L. 426-1 du code de l'aviation civile telles qu'elles résultent de la loi n° 72-1090 du 8 décembre 1972, a considéré que si, dans le régime complémentaire de retraite du personnel navigant de l'aéronautique civile, la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution de la retraite est au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qui relèvent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi, il appartient au pouvoir réglementaire, sauf à dénaturer ces conditions, d'en préciser les éléments, tels que l'âge. Il a ainsi jugé que, si les dispositions en cause relèvent du domaine de la loi en tant qu'elles subordonnent l'acquisition du droit à la retraite à l'existence d'une condition d'âge ou qu'elles dispensent de cette condition les personnels devant cesser leur activité de navigant à la suite d'un accident ou d'une maladie consécutifs à l'exercice de la profession, elles ont au contraire un caractère réglementaire dans la mesure où elles se bornent à fixer l'âge de la retraite, et que, si la détermination des personnes assujetties à l'obligation de cotiser ainsi que le partage de cette obligation entre employeur et salarié constituent des principes fondamentaux réservés au législateur, le soin de fixer le taux de la part qui incombe à chacune de ces catégories de personnes entre dans la compétence du pouvoir réglementaire.

5. Eu égard à ce qu'a ainsi jugé le Conseil constitutionnel, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le principe d'une décote introduit par le décret du 18 juin 1984 tiendrait de la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution de la retraite et serait donc au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qui relèvent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le décret du 18 juin 1984 serait entaché d'incompétence doit être écarté.

6. En troisième lieu, ni la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés, ni les dispositions de l'article L. 921-3 du code de la sécurité sociale reprenant ses dispositions, ne traitent de la validation de périodes travaillées. Ces textes n'ont pas davantage vocation à régir les modalités de calcul des pensions, ni à interdire l'institution d'une décote. Dans ces conditions, et en tout état de cause, il ne saurait être reproché au commissaire du gouvernement auprès de la caisse d'avoir méconnu ces textes en s'abstenant de demander à cette caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées les dispositions du décret du 30 juin 1995.

En ce qui concerne la faute commise par le Premier ministre en ayant laissé subsister une version erronée du code de l'aviation civile au Journal officiel de la République française :

7. Il résulte de l'instruction qu'alors que le décret du 30 mars 1967 portant codification des textes règlementaires applicables à l'aviation civile a organisé un découpage du chapitre VI intitulé " retraites " du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile en sept sections comportant les articles R. 426-5 à R. 426-31, l'article 9 du décret n° 84-469 du 18 juin 1984 a introduit une nouvelle rédaction des articles R. 426-13 à R. 426-25, lesquels étaient positionnés au sein des sections IV, V et VI du code, sans toutefois reprendre expressément le découpage retenu dans le code. Il résulte également de l'instruction qu'à compter de 1987, l'édition papier du code de l'aviation civile publiée par la direction des journaux officiels ne comportait plus, dans le corps du texte, les sections IV à VII du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire. Ainsi, même si le découpage en sept sections demeurait mentionné dans la table analytique de ce code, l'ensemble des dispositions des articles R. 426-11 à R. 426-28 s'est trouvé positionné dans la section III relative à la constitution du droit à pension, et notamment l'article R. 426-16-1 qui était antérieurement placé dans la section IV intitulée " calcul de la pension ". A compter de l'édition papier de l'année 2005, ce même découpage ne figurait plus ni dans le corps du texte ni dans la table analytique. Ces sections ont toutefois été rétablies sur le site internet Légifrance à compter de février 2010.

8. S'il apparaît donc une discordance effective entre le découpage initial en sections du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile issu du décret précité du 30 mars 1967 et les éditions sur papier consolidées successives de ce code, puis les éditions électroniques, il ne résulte toutefois pas de l'instruction, alors que l'intitulé des divisions et subdivisions d'un texte juridique est en principe dépourvu de valeur normative, qu'elle a pu être de nature à faire obstacle à la bonne compréhension, accessibilité et intelligibilité de la norme. En tout état de cause, dès lors qu'aucune disposition du décret du 30 juin 1995 ne prévoit expressément l'application des dispositions introduites par ce texte aux pensions déjà liquidées et en l'absence, à les supposer même légaux, de tout protocole d'accord ou de toute autre pièce émanant de l'administration ou de la caisse de retraite elle-même de nature à révéler une quelconque intention expresse en ce sens, il ne saurait être soutenu que la différence de présentation invoquée peut avoir une incidence sur l'interprétation juridique des articles concernés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros à verser à l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera à l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée, pour information, au Premier ministre et à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL20282


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL20282
Date de la décision : 12/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Pensions - Régimes particuliers de retraite - Pensions diverses.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : CABINET BRIARD SARL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-04-12;20tl20282 ?
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