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20/05/2025 | FRANCE | N°23PA04357

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 20 mai 2025, 23PA04357


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 avril 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 avril 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2314696 du 20 septembre 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 5 avril 2023 du préfet de police, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'arrêté attaqué méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. B... ne justifie pas de la date et des conditions de son entrée en France, qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en date du 7 janvier 2020, à laquelle il s'est soustrait, que ni la durée, ni les conditions de son séjour en France ne lui ouvrent aucun droit au séjour, que l'intéressé, célibataire et sans charge de famille sur le territoire, ne démontre pas l'intensité des liens avec les membres de sa famille qui résident en France, qu'il n'établit pas le caractère indispensable de l'aide qu'il apporterait à son frère A..., mineur et en situation de handicap, qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où réside une partie de sa fratrie et où lui-même a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans, qu'il ne justifie pas d'une insertion professionnelle sur le territoire et que son état de santé ne justifie pas son admission au séjour ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par M. B..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés les 12 janvier 2024, 24 mars 2025 et 1er avril 2025, M. B..., représenté par Me Semak, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;

3°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 600 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige au motif d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à l'ancienneté de son séjour en France et à sa situation personnelle et familiale sur le territoire ;

- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas justifié de la compétence de l'un des médecins signataires de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation et s'est cru à tort en situation de compétence liée par rapport à l'avis du collège de médecins de l'OFII ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par une décision du 30 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par une ordonnance du 24 février 2025, la clôture de l'instruction de l'affaire a été reportée au 25 mars 2025 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les observations de Me Hammar, substituant Me Semak, avocate de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen, né le 18 avril 1989 et entré en France, selon ses déclarations, le 6 janvier 2017, a sollicité, le 27 juin 2022, la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé. Par un arrêté du 5 avril 2023, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Le préfet de police fait appel du jugement du 20 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté du 5 avril 2023, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.

Sur les conclusions à fin d'annulation du préfet police :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté que M. B... est entré en France au plus tard au mois de février 2017 pour rejoindre ses parents, y résidant depuis de nombreuses années et titulaires d'une carte de résident, ainsi que ses trois frères et sa sœur, nés en France respectivement en 1996, 2001, 2005 et 2008 et qui sont de nationalité française. De plus, il justifie y résider habituellement depuis lors, à Paris, avec sa mère et sa fratrie, son père étant décédé le 8 février 2020. En outre, l'état de santé de M. B..., qui a été pris en charge médicalement depuis le mois de septembre 2017 pour un trouble anxieux et dépressif d'intensité sévère, dans un contexte d'état de stress post-traumatique, lié avec sa séparation de sa famille ainsi que son parcours migratoire, nécessite une prise en charge médicale, notamment un traitement médicamenteux et un suivi régulier en psychiatrie, dont le défaut pourrait avoir pour lui, ainsi que l'a estimé le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) dans son avis du 4 novembre 2022, des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il ressort également des pièces du dossier que cette prise en charge médicale auprès d'un centre médico-psychologique relevant du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, accompagnée d'activités régulières auprès d'un centre d'activité thérapeutique à temps partiel et d'une association, ainsi que l'aide de son entourage familial lui ont permis de stabiliser son état psychique. Par ailleurs, il ne saurait être sérieusement contesté que M. B... a apporté de manière régulière une aide auprès de sa mère, durant la maladie de son époux, ainsi que pour l'un de ses frères, le jeune A..., mineur et en situation de handicap, l'intéressé étant le " principal interlocuteur " avec les équipes éducatives et médicales pour le suivi de son jeune frère, ainsi qu'en attestent, notamment, un compte-rendu de bilan psychologique en date du 13 janvier 2020 et une attestation d'une orthophoniste en date du 5 juin 2023. Enfin et au surplus, si le préfet de police fait valoir que M. B... ne justifie pas d'une insertion professionnelle sur le territoire, il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé a été à même de trouver un emploi, au mois de novembre 2023, dès l'obtention d'un récépissé de demande de carte de séjour. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la durée du séjour en France de M. B..., de son état de santé et du caractère préjudiciable, pour son état psychique, d'un retour dans son pays d'origine, de l'intensité des liens familiaux dont il peut se prévaloir sur le territoire national et de l'intérêt de sa présence pour son jeune frère et alors même que l'intéressé, célibataire, a vécu en Guinée jusqu'à l'âge de vingt-sept ans, qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en date du 7 janvier 2020 et que résident en Guinée des membres de sa fratrie, l'arrêté du 5 avril 2023 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces mesures ont été prises et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 avril 2023, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte de M. B... :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...). " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. "

6. D'une part, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déjà enjoint au préfet de police de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. B.... Il résulte de l'instruction que l'intéressé est d'ailleurs titulaire d'une carte de séjour temporaire, valable du 12 février 2025 au 11 février 2026. Dès lors, les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un tel titre ou, à défaut, de réexaminer sa situation, doivent être rejetées.

7. D'autre part, l'annulation, par le jugement attaqué, de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. B... par l'arrêté en litige en date du 5 avril 2023 implique l'effacement du signalement de l'intéressé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de police de faire procéder à cet effacement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Semak, avocate de M. B..., de la somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de faire procéder à l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à l'avocate de M. B... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Semak renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridique.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au préfet de police et à M. C... B....

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2025.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

M.-D. JayerLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04357


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04357
Date de la décision : 20/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SEMAK

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-20;23pa04357 ?
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