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02/07/2024 | FRANCE | N°24PA01047

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 02 juillet 2024, 24PA01047


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2023 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2400444 du 5 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 26 décembre 2023 du préfet de police, lui a enjoint de réexaminer la situation de M.

C... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 100 euros au titre des art...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2023 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2400444 du 5 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 26 décembre 2023 du préfet de police, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 100 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mars 2024, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté du 26 décembre 2023 au motif d'un défaut d'examen sérieux de la situation de M. C... dès lors qu'il n'est pas tenu de reprendre, dans les motifs de la décision de transfert, tous les éléments dont il a connaissance, relatifs à la situation personnelle et familiale dont peut se prévaloir un demandeur d'asile, que l'autorité préfectorale n'a pas l'obligation de rechercher la nature et les modalités et donc la réalité des liens familiaux invoqués devant elle par le demandeur, que M. C... n'a justifié de la présence régulière de sa sœur en France qu'au stade de la procédure contentieuse, que les frères et sœurs d'un demandeur d'asile ne sont pas considérés comme des membres de famille au sens des stipulations de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et qu'en tout état de cause, la seule présence régulière de sa sœur sur le territoire ne saurait impacter de façon déterminante la situation de l'intéressé au regard de l'application de ce règlement, notamment de son article 17 ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par M. C..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.

La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 11 mars 2024, la clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 30 avril 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant soudanais, né le 1er janvier 2002, a présenté, le 18 septembre 2023, une demande d'asile. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes, effectuée le même jour, avec le fichier Eurodac a établi qu'elles avaient déjà été relevées le 11 août 2023 en Italie, pays dans lequel il n'a pas présenté de demande d'asile. L'autorité préfectorale a saisi, le 19 octobre 2023, les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'intéressé, en application des articles 13, paragraphe 1, et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a été implicitement acceptée, en application de l'article 22, paragraphe 7, du même règlement, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la réception de cette demande. Par un arrêté du 26 décembre 2023, le préfet de police a ordonné le transfert de M. C... vers l'Italie. Le préfet fait appel du jugement du 5 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 décembre 2023, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 100 euros au titre des frais de l'instance.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Pour annuler la décision de transfert en litige, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir relevé que cette décision mentionne que M. C... " ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable ", de sorte que cette décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a considéré que l'intéressé a déclaré, lors de l'entretien dont il a bénéficié le 18 septembre 2023, " avoir sa sœur résidant en France en situation régulière ". De plus, après avoir estimé que " s'il peut être admis qu'une relation familiale n'a pas pour effet automatique de conférer un lien familial fort, il appartient au préfet (...), lorsqu'il est destinataire d'une telle information donnée par le [demandeur], de rechercher la nature et les modalités des liens qui unissent ce dernier à la personne qu'il indique, le lien de fraternité ou de sororité, en l'espèce la sœur qu'il mentionne ", le premier juge a relevé que " M. C... verse au dossier (...) son acte de naissance, l'acte de naissance de sa sœur et le témoignage de cette dernière " et a considéré qu'" en l'espèce, la décision litigieuse est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ".

3. Cependant, il ne ressort ni de la motivation de la décision attaquée, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet aurait, avant d'ordonner le transfert de M. C... vers l'Italie, Etat désigné comme responsable de l'examen de sa demande d'asile, omis de procéder à un examen particulier de sa situation. En particulier, s'il est vrai que l'intéressé a déclaré, lors de l'entretien du 18 septembre 2023, avoir une sœur résidant de façon régulière en France, déclaration, au demeurant, dûment mentionnée dans le compte rendu de cet entretien, cette seule circonstance ne saurait caractériser une telle omission, alors que M. C... n'a ni justifié, ni même allégué, lors de cet entretien ou avant l'intervention de la décision en litige, être dans une quelconque situation de dépendance à l'égard de cette sœur. Au surplus, les frères et sœurs d'un demandeur d'asile ne sont pas considérés comme " membres de la famille " au sens des dispositions de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et, en particulier, pour l'application de l'article 9 de ce règlement, aux termes duquel : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". D'ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sœur de M. C..., titulaire d'une carte de résident, mariée à un ressortissant français et en possession d'un passeport soudanais en cours de validité, aurait été admise à résider en France en tant que bénéficiaire d'une protection internationale. Enfin, alors que le préfet n'a pas contesté, dans la décision contestée, le lien familial invoqué par M. C..., la seule circonstance que celui-ci a produit en première instance des documents, notamment des actes d'état civil soudanais, susceptibles d'établir ce lien, ne saurait davantage permettre de considérer que le préfet, n'aurait pas, avant d'ordonner son transfert, procédé, au vu de l'ensemble des éléments dont il disposait, à un examen particulier ou sérieux de sa situation. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté du 26 décembre 2023 au motif d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé.

4. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

5. En premier lieu, la décision de transfert en litige a été signée par Mme D... B..., attachée d'administration de l'Etat, qui bénéficiait d'une délégation de signature à cet effet consentie par un arrêté n° 2023-01464 du 29 novembre 2023 signé par M. E... A..., préfet de police, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté.

6. En deuxième lieu, la décision contestée comporte l'exposé des considérations de droit et de fait qui la fondent et, en particulier, celles qui ont permis de déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de M. C..., à savoir qu'il ressort de la consultation du fichier Eurodac qu'il est entré irrégulièrement en Italie moins de douze mois avant le dépôt de sa demande d'asile en France, une telle motivation faisant apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 13, paragraphe 1, du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En troisième lieu, en vertu de l'article 29, paragraphe 3, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les informations qui, en application du paragraphe 1 de ces articles, doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figurent dans des brochures communes rédigées par la Commission.

8. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté que M. C... s'est vu remettre, lors de l'entretien individuel du 18 septembre 2023, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " ainsi que la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces documents, rédigés en arabe, langue que l'intéressé a lui-même déclaré comprendre, et qui ont été établis conformément aux modèles figurant à l'annexe X du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, comprennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions mentionnées au point 7. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié, le 18 septembre 2023, d'un entretien individuel mené par un agent qualifié à cet effet de la préfecture, avec l'assistance d'un interprète en arabe de l'association ISM interprétariat, organisme agréé. De plus, alors que ni les dispositions précitées, ni aucun autre texte ou principe n'imposent, sur le compte-rendu de l'entretien individuel, la mention de l'identité de cet agent, aucune pièce versée au dossier ne permet d'établir que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national au sens des dispositions précitées, le compte rendu de cet entretien mentionnant expressément que ce dernier a été réalisé au bureau de l'accueil de la demande d'asile de la délégation à l'immigration de la préfecture. En outre, si, en vertu des dispositions de l'article R. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police était en l'espèce l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de M. C..., ni ces dispositions, ni aucun autre texte ne faisaient obstacle à ce que l'entretien individuel requis par les dispositions précitées soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Par ailleurs, si M. C... fait valoir que le compte-rendu de l'entretien ne mentionne ni la durée de cet entretien, ni " la possibilité donnée à l'intéressé de procéder à une relecture de celui-ci avant signature ", ni " la possibilité pour son conseil d'en solliciter la communication avant la prise de l'arrêté " et qu'aucune copie de ce compte-rendu ne lui aurait été remise, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'intéressé, lors de cet entretien, a été en mesure, sans difficulté, de comprendre qu'il était placé en procédure dite " Dublin ", de répondre aux questions posées par l'agent de préfecture et de fournir ainsi toutes les informations pertinentes afin, notamment, de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, compte tenu de son parcours, M. C... ayant indiqué, notamment, avoir franchi la frontière de l'Italie, en provenance d'un pays tiers, avant de gagner la France. D'autre part, M. C... a signé le compte-rendu de cet entretien individuel sans émettre la moindre réserve. Enfin, alors que ce compte-rendu a été versé au débat contradictoire, l'intéressé n'établit pas, ni même n'allègue, que les informations recueillies lors de cet entretien auraient été incomplètes ou inexactes ou encore qu'il aurait été empêché de présenter d'autres informations qu'il aurait estimé indispensables de porter à la connaissance du préfet avant l'édiction de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / (...) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ".

12. Il résulte des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment des articles L. 571-1 et suivants, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions de transfert. Dès lors, les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la décision de transfert en litige. En tout état de cause, si M. C... allègue qu'il n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations avant l'intervention de la décision contestée et se prévaut par erreur de l'article " L. 211-5 " du code des relations entre le public et l'administration, il résulte de ce qui a été dit au point 10 qu'il a été mis à même de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de transfert en litige. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

13. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments fournis par le préfet qu'à la suite du résultat positif (" hit ") Eurodac, le 18 septembre 2023, une demande de prise en charge de M. C... auprès des autorités italiennes a été adressée et reçue le 19 octobre 2023 et qu'en application de l'article 22, paragraphe 7, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités italiennes ont accepté implicitement cette prise en charge le 20 décembre 2023. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 21 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. En septième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III (...), l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17, paragraphe 1, du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

15. Les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, régissant la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile et le transfert des demandeurs, doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

16. Si M. C... se réfère, notamment, à plusieurs rapports de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) de 2019 à 2021, à des articles de presse de 2022 et 2023 et à une circulaire en date du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien demandant la suspension temporaire des transferts vers l'Italie pour des raisons techniques, ces seuls éléments ne sauraient suffire à caractériser l'existence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. En particulier, la note du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil. De surcroît, alors qu'il n'est pas même allégué que la Commission européenne aurait mis en œuvre les stipulations de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à l'égard de l'Italie quant à l'existence éventuelle de défaillances systémiques en matière d'asile, il ressort des pièces du dossier que les autorités italiennes ont accepté au mois de décembre 2023 la prise en charge de la demande d'asile de M. C..., dont le transfert a été ordonné par l'arrêté contesté du 26 décembre 2023, soit plus d'un an après la note du ministre de l'intérieur italien. En outre, M. C..., qui ne fournit aucune précision suffisante, ni aucun élément probant sur les conditions de son séjour en Italie, ne livre aucun développement étayé, personnalisé et crédible de nature à considérer que sa propre demande d'asile ne serait pas examinée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, si M. C... fait état de la présence en France de sa sœur, titulaire d'une carte de résident, de l'époux de celle-ci et de leurs enfants, de nationalité française, qui souhaitent l'héberger, l'intéressé, qui, entré en France au mois de septembre 2023, ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale ancienne et stable en France et n'établit, ni n'allègue qu'il serait dans une quelconque situation de dépendance à l'égard de ces membres de sa famille, tandis qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il se trouverait dans une situation de vulnérabilité telle qu'elle justifierait que sa demande d'asile soit examinée en France. Enfin, si M. C... allègue qu'en cas de transfert en Italie, il y serait exposé, avant même l'examen de sa demande d'asile, à un risque de renvoi vers son pays d'origine, il n'apporte, à l'appui de cette assertion, aucune précision, ni aucun élément. Ainsi, en ordonnant son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de police n'a ni méconnu les stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17, paragraphe 1, du même règlement.

17. En dernier lieu, aux termes de l'article 26, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la décision de transfert " contient des informations sur les voies et délais de recours disponibles (...) et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable ".

18. Si M. C... soutient qu'il n'a pas été informé des modalités concrètes permettant l'exécution spontanée de la mesure de transfert, il n'allègue pas avoir avisé les autorités françaises de son intention de se rendre, par ses propres moyens, dans l'Etat responsable du traitement de sa demande d'asile. Par suite et alors que les dispositions précitées n'imposent pas la mention systématique des informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter, mais précisent uniquement que ces informations sont indiquées " si nécessaire ", le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu ces dispositions ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 décembre 2023, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 100 euros au titre des frais de l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2400444 du 5 février 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. F... C....

Copie en sera transmise au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

L. d'ARGENLIEU

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01047


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01047
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;24pa01047 ?
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