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23/04/2024 | FRANCE | N°23PA02239

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 23 avril 2024, 23PA02239


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2022 par lequel le préfet de police lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.



Par un jugement n° 2302098 du 19 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'

arrêté du 14 novembre 2022 du préfet de police et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2022 par lequel le préfet de police lui a retiré sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2302098 du 19 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté du 14 novembre 2022 du préfet de police et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Sulli, avocat de M. A..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mai 2023, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté du 14 novembre 2022 pour erreur de droit dès lors que M. A... a été interpellé et placé en garde à vue pour des faits de viol en réunion le 27 septembre 2021, puis placé sous contrôle judiciaire, que cette infraction est manifestement constitutive d'une menace pour l'ordre public, nonobstant l'absence de condamnation pénale, et que l'appréciation de cette menace est indépendante de toute condamnation pénale ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par M. A..., il s'en réfère à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 14 août 2023, le 5 février 2024, le 6 mars 2024,le 26 mars 2024 et le 9 avril 2024, M. A..., représenté par Me Sulli, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de police ;

2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige pour erreur de droit dès lors que la seule circonstance qu'il a été placé sous contrôle judiciaire ne démontre pas qu'il ait commis les faits qui lui sont reprochés ;

- la décision portant retrait de titre de séjour a été signée par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît le principe du secret de l'instruction ;

- elle méconnaît le principe de la présomption d'innocence, garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs, consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 433-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été signée par une autorité incompétente ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est entachée d'une insuffisance de motivation.

Par une décision du 11 octobre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les observations de Me Sulli, avocate de M. A....

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 avril 2024, présentée pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant malien, né le 18 décembre 2002, entré en France, selon ses déclarations, le 4 août 2018 et qui a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, s'est vu délivrer à sa majorité, sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et devenu l'article L. 423-22 du même code, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du 25 septembre 2020 au 24 septembre 2021. L'intéressé a sollicité le renouvellement de son titre de séjour et le préfet de police a décidé de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " valable du 25 septembre 2021 au 24 septembre 2025. Informé cependant que M. A... avait été interpellé, gardé à vue et placé sous contrôle judiciaire pour des faits de viol en réunion en date du 27 septembre 2021 et après mise en œuvre d'une procédure contradictoire, le préfet de police, par un arrêté du 14 novembre 2022, lui a retiré cette carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de police fait appel du jugement du 19 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris, à la demande de M. A..., a annulé son arrêté du 14 novembre 2022 et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre des frais de l'instance.

Sur l'appel du préfet de police :

2. Aux termes de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public (...) ".

3. Ni les infractions pénales commises par un étranger, ni, a fortiori, les poursuites pénales à son encontre ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure de retrait de son titre de séjour, sur le fondement des dispositions précitées, qui ont pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public qui pourraient résulter de son maintien sur le territoire français, et ne dispensent en aucun cas l'autorité compétente de caractériser, par des éléments suffisamment probants, l'existence d'une telle menace au vu de l'ensemble des éléments caractérisant le comportement de l'intéressé et des risques objectifs que celui-ci fait peser sur l'ordre public.

4. Par l'arrêté contesté, le préfet de police a procédé au retrait de la carte de séjour pluriannuelle de M. A... aux motifs que l'intéressé, qui " a commis un fait délictuel ", a " été placé en garde à vue le 13 octobre 2021 par les services de police pour des faits de viol en réunion qui se sont déroulés le 27 septembre 2021 " et " est actuellement sous contrôle judiciaire " et " qu'eu égard à la nature de cette infraction, la présence en France de M. A... constitue une menace à l'ordre public ". Pour annuler cet arrêté en date du 14 novembre 2022, le tribunal administratif a estimé, notamment, qu'au regard des seuls éléments dont elle disposait à cette date, l'autorité préfectorale a entaché son arrêté d'une erreur de droit en considérant que la présence en France de M. A... constituait une menace pour l'ordre public.

5. Pour démontrer la matérialité des faits retenus afin de caractériser une telle menace pour l'ordre public, le préfet de police a produit, en première instance, un rapport des services de police transmis le 14 octobre 2021, faisant état de ce que M. A... a été placé en garde à vue pour des " faits de viol sur mineur en réunion " et reprenant, en des termes succincts ou très peu circonstanciés, les déclarations de la victime qui a porté plainte, sans apporter d'autres éléments probants, hormis le fait que l'intéressé a été placé par la suite sous contrôle judiciaire, alors que M. A... nie être l'auteur des faits qui lui sont reprochés. De surcroît, le requérant a produit, en appel, un extrait d'une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris en date du 19 décembre 2023 indiquant qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'intéressé du chef de viol en réunion. Enfin, le préfet de police n'apporte pas plus en appel qu'en première instance aucun autre élément probant permettant d'établir la matérialité des faits de viol en réunion, sur lesquels il s'est fondé pour prendre l'arrêté en litige, ni, d'ailleurs, aucun autre élément défavorable à l'encontre de M. A.... Dans ces conditions, les faits reprochés à M. A... ne pouvant être regardés comme étant matériellement établis et alors que les seules poursuites pénales dont il faisait l'objet à la date de l'arrêté attaqué ne sauraient suffire à caractériser une menace pour l'ordre public, le préfet de police, en estimant, par son arrêté du 14 novembre 2022 que le séjour en France de l'intéressé constituait une telle menace et, en conséquence, en lui retirant son titre de séjour, a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 14 novembre 2022.

Sur les frais liés au litige :

7. M. A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Sulli, avocate de M. A..., de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Sulli, avocate de M. A..., la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de M. A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de police et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 16 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02239


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02239
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SULLI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;23pa02239 ?
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