La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2024 | FRANCE | N°23PA05184

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 février 2024, 23PA05184


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 9 août 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2323370 du 14 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 9 août 2023 du préfet de Seine-et-Marne, lui a enjoint, ou à tout préfet territoria

lement compétent, de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 9 août 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2323370 du 14 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 9 août 2023 du préfet de Seine-et-Marne, lui a enjoint, ou à tout préfet territorialement compétent, de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, Me Pafundi, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2023, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté du 9 août 2023 au motif d'une méconnaissance des dispositions de l'article 3, paragraphe 2, et de l'article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que ni le fait que Mme A... n'a pas sollicité l'asile en Italie, ni la circonstance que les autorités italiennes ont accepté implicitement sa prise en charge, ni la circulaire du ministre de l'intérieur italien du 5 décembre 2022 annonçant une suspension temporaire des transferts, qui n'est plus d'actualité, ne sauraient permettre de caractériser une violation de ces dispositions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Pafundi, demande à la Cour ;

1°) de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de constater qu'il n'y plus lieu de statuer sur la requête du préfet de Seine-et-Marne ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter cette requête ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- elle s'est vu délivrer une autorisation de demande d'asile en procédure normale le 22 décembre 2023 et sa demande d'asile est pendante devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, faisant obstacle à son transfert dans ce pays, alors que son état de grossesse permet d'établir sa particulière vulnérabilité.

Par une décision du 8 janvier 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, née le 1er janvier 1990, a présenté au guichet unique des demandeurs d'asile de Melun, le 13 février 2023, une demande d'asile. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes, effectuée le même jour, avec le fichier Eurodac a établi qu'elles avaient déjà été relevées le 29 décembre 2022 en Italie, pays dans lequel elle n'a pas présenté de demande d'asile. L'autorité préfectorale a saisi, le 20 mars 2023, les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'intéressée, en application des articles 13, paragraphe 1, et 22 de l'article du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a été implicitement acceptée, en application de l'article 22, paragraphe 7, du même règlement, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la réception de cette demande. Par un arrêté du 9 août 2023, le préfet de Seine-et-Marne a ordonné le transfert de Mme A... vers l'Italie. Le préfet fait appel du jugement du 14 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 9 août 2023, lui a enjoint, ou à tout préfet territorialement compétent, de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.

Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :

2. Par une décision du 8 janvier 2024 susvisée, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a statué sur la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A.... Dans ces conditions, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :

3. S'il ressort des pièces du dossier que le préfet de Seine-et-Marne a délivré à Mme A..., le 28 décembre 2023, une attestation de demande d'asile en procédure normale et que sa demande d'asile a été enregistrée auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ces mesures sont intervenues en exécution du jugement attaqué du 14 novembre 2023 et n'excèdent pas ce qui était nécessaire à l'exécution de ce jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer opposée par Mme A... doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

4. Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17, paragraphe 1, du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

5. Les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, régissant la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile et le transfert des demandeurs, doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

6. Pour annuler l'arrêté contesté du 9 août 2023 au motif d'une méconnaissance des stipulations et dispositions citées au point 4, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, après avoir relevé que " Mme A... fait valoir que, par une circulaire prise en date du 5 décembre 2022, le ministre de l'intérieur italien a informé ses homologues membres de l'espace Schengen de la suspension temporaire, pour des raisons techniques, des transferts de demandeurs d'asile vers l'Italie ", a estimé qu'" en l'absence de demande d'asile effectivement déposée par Mme A... en Italie et compte tenu du risque élevé que les autorités de ce pays ne l'autorisent pas à solliciter l'asile, la requérante est fondée à soutenir qu'un transfert vers les autorités italiennes l'exposerait à un risque sérieux de ne pas voir sa demande d'asile traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ".

7. Toutefois, si Mme A... se réfère, notamment, à plusieurs rapports de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) de 2019 à 2021, à des articles de presse de 2022 et 2023 et à une circulaire en date du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien demandant la suspension temporaire des transferts vers l'Italie pour des raisons techniques, ces seuls éléments ne sauraient suffirent à caractériser l'existence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. En particulier, la note du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil. De surcroît, alors qu'il n'est pas même allégué que la Commission européenne aurait mis en œuvre les stipulations de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à l'égard de l'Italie quant à l'existence éventuelle de défaillances systémiques en matière d'asile, il ressort des pièces versées du dossier que les autorités italiennes ont accepté au mois de mai 2023 la prise en charge de la demande d'asile de Mme A..., dont le transfert a été ordonné par l'arrêté contesté du 9 août 2023, soit plusieurs mois après la note du ministre de l'intérieur italien. En outre, les seules circonstances que Mme A... n'a pas sollicité l'asile en Italie et que les autorités italiennes ont accepté de façon implicite sa prise en charge ne sauraient permettre de considérer que sa demande d'asile ne serait pas examinée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, si Mme A... se prévaut de son état de grossesse, avec un terme prévu au mois d'avril 2024, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle se trouverait dans une situation de vulnérabilité telle qu'elle justifierait que sa demande d'asile soit examinée en France. Enfin, si Mme A... allègue qu'en cas de transfert en Italie, elle y serait exposée, avant même l'examen de sa demande d'asile, à un risque de renvoi vers son pays d'origine, elle n'apporte, à l'appui de cette assertion, aucune précision, ni aucun élément. Ainsi, en ordonnant son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de Seine-et-Marne n'a ni méconnu les stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17, paragraphe 1, du même règlement. Par suite, le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté du 9 août 2023 au motif d'une méconnaissance de ces stipulations et dispositions.

8. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par Mme A... :

9. En premier lieu, la décision de transfert en litige a été signée par M. C... E..., chef du bureau de l'asile et de l'intégration de la préfecture de Seine-et-Marne, qui bénéficiait d'une délégation de signature à cet effet, par un arrêté du 27 juillet 2023 signé par M. B... D..., préfet délégué à l'égalité des chances assurant par intérim les fonctions de préfet, et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 1er août suivant. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été signée par une autorité incompétente manque en fait et doit être écarté.

10. En deuxième lieu, la décision contestée comporte l'exposé des considérations de droit et de fait qui la fondent et, en particulier, celles qui ont permis de déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A..., à savoir qu'il ressort de la consultation du fichier Eurodac qu'elle est entrée irrégulièrement en Italie moins de douze mois avant le dépôt de sa demande d'asile en France, une telle motivation faisant apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 13, paragraphe1, du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. En troisième lieu, en vertu de l'article 29, paragraphe 3, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les informations qui, en application du paragraphe 1 de ces articles, doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figurent dans des brochures communes rédigées par la Commission.

12. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté que Mme A... s'est vu remettre, lors de l'entretien individuel du 13 février 2023, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " ainsi que la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces documents, rédigés en français, langue que l'intéressée a elle-même déclaré comprendre, et qui ont été établis conformément aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, comprennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions mentionnées au point 11. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

14. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié, le 13 février 2023, d'un entretien individuel mené par un agent qualifié à cet effet de la préfecture, avec l'assistance d'un interprète en dioula de l'association ISM interprétariat, organisme agréé. De plus, alors que ni les dispositions précitées, ni aucun autre texte ou principe n'imposent la mention sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de cet agent, aucune pièce versée au dossier ne permet d'établir que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national au sens des dispositions précitées. En outre, si, en vertu des dispositions de l'article R. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Seine-et-Marne était en l'espèce l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme A..., ni ces dispositions, ni aucun autre texte ne faisaient obstacle à ce que l'entretien individuel requis par les dispositions précitées soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Par ailleurs, si Mme A... fait valoir que le compte-rendu de l'entretien ne mentionne ni la durée de cet entretien, ni " la possibilité donnée à l'intéressée de procéder à une relecture de celui-ci avant signature ", ni " la possibilité pour son conseil d'en solliciter la communication avant la prise de l'arrêté " et qu'aucune copie de ce compte-rendu ne lui aurait été remise, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'intéressée, lors de cet entretien, a été en mesure, sans difficulté, de comprendre qu'elle était placée en procédure dite " Dublin ", de répondre aux questions posées par l'agent de préfecture et de fournir ainsi toutes les informations pertinentes afin, notamment, de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, compte tenu de son parcours, Mme A... ayant indiqué, notamment, avoir franchi la frontière de l'Italie, en provenance d'un pays tiers, avant de gagner la France. D'autre part, Mme A... a paraphé le compte-rendu de cet entretien individuel sans émettre la moindre réserve. Enfin, alors que ce compte-rendu a été, en première instance, versé au contradictoire, l'intéressée n'établit pas, ni même n'allègue, que les informations recueillies lors de cet entretien auraient été incomplètes ou inexactes ou encore qu'elle aurait été empêchée de présenter d'autres informations qu'elle aurait estimé indispensables de porter à la connaissance du préfet avant l'édiction de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / (...) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ".

16. Il résulte des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment des articles L. 571-1 et suivants, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions de transfert. Dès lors, les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la décision de transfert en litige. En tout état de cause, si Mme A... allègue qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations avant l'intervention de la décision contestée et se prévaut par erreur de l'article " L. 211-5 " du code des relations entre le public et l'administration, il résulte de ce qui a été dit au point 14 qu'elle a été mise à même de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de transfert en litige. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

17. En sixième lieu, Mme A..., qui a fait l'objet d'une demande de prise en charge par les autorités françaises auprès des autorités italiennes et d'un accord implicite de ces dernières en application des dispositions des articles 21 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de la décision de transfert en litige des dispositions des articles 24 et 25 de ce règlement, qui portent sur les demandes de reprise en charge. Au surplus, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du résultat positif (" hit ") Eurodac, le 13 février 2023, une demande de prise en charge de Mme A... auprès des autorités italiennes a été adressée et reçu le 20 mars 2023 et qu'en application de l'article 22, paragraphe 7, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités italiennes ont accepté implicitement cette prise en charge. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 24 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

18. En dernier lieu, aux termes de l'article 26, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la décision de transfert " contient des informations sur les voies et délais de recours disponibles (...) et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable ".

19. Si Mme A... soutient qu'elle n'a pas été informée des modalités concrètes permettant l'exécution spontanée de la mesure de transfert, elle n'allègue pas avoir avisé les autorités françaises de son intention de se rendre, par ses propres moyens, dans l'Etat responsable du traitement de sa demande d'asile. Par suite et alors que les dispositions précitées n'imposent pas la mention systématique des informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter, mais précisent uniquement que ces informations sont indiquées " si nécessaire ", le moyen tiré de ce que le préfet de Seine-et-Marne aurait méconnu ces dispositions ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 9 août 2023, lui a enjoint, ou à tout préfet territorialement compétent, de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que le versement d'une somme soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2323370 du 14 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme F....

Copie en sera transmise au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGES

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA05184


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05184
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : ANGLADE & PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;23pa05184 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award