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27/02/2024 | FRANCE | N°23PA02522

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 février 2024, 23PA02522


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugem

ent n° 2302504 du 15 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2302504 du 15 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du 9 février 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis, lui a enjoint de délivrer à Mme B..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait à nouveau statué sur son cas et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023 sous le n° 23PA02522, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- en annulant la décision portant refus de séjour, qui n'a pas été contestée par Mme B..., le jugement est entaché d'irrégularité ;

- c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté en litige au motif d'une méconnaissance des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute d'une saisine préalable pour avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dès lors que Mme B... n'a jamais fait part à l'administration de son état de santé, ni sollicité un titre de séjour pour raisons de santé ;

- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité qui bénéficiait d'une délégation de signature ;

- il est suffisamment motivé ;

- il est exempt d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé ;

- il ne méconnaît pas les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est exempt d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée ;

- il ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Casagrande, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le préfet aurait dû au préalable saisir pour avis le collège des médecins de l'OFII ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation, notamment au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une décision du 9 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

II. Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023 sous le n° 23PA02523, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué.

Il soutient que :

- les conditions prévues à l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ;

- les conditions prévues à l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables, notamment quant à la question du droit au séjour de Mme B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Casagrande, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que ni les conditions prévues à l'article R. 811-15 du code de justice administrative, ni celles prévues à l'article R. 811-17 du même code ne sont remplies.

Par une décision du 9 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne, née le 1er janvier 1996 et entrée en France, selon ses déclarations, le 5 novembre 2021, a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par une décision du 30 juin 2022 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 8 décembre 2022 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 9 février 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Le préfet de la Seine-Saint-Denis fait appel du jugement du 15 mai 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a, à la demande de Mme B..., annulé son arrêté du 9 février 2023, lui a enjoint de délivrer à l'intéressée, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait à nouveau statué sur son cas et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il est vrai que, par l'arrêté attaqué, le préfet de la Seine-Saint-Denis a également rejeté la demande d'admission au séjour au titre de l'asile présenté par Mme B... et que celle-ci n'a pas demandé, devant le tribunal administratif de Montreuil, l'annulation de cette décision de refus de séjour. Il ressort cependant de l'examen du jugement attaqué, notamment de son article 2 et de ses points 5 et 6 dont les motifs constituent le soutien nécessaire de l'annulation prononcée, que le premier juge n'a annulé, à la demande de Mme B..., l'arrêté contesté qu'en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français, fixe le pays de destination et prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est donc pas fondé à soutenir que le premier juge aurait annulé une décision de refus de séjour dont l'annulation n'aurait pas été sollicitée. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait de ce chef entaché d'irrégularité doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ".

4. Il résulte des dispositions précitées que, dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elles prévoient des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'OFII.

5. En l'espèce, Mme B... n'établit pas, ni même n'allègue sérieusement, avoir, notamment lors de l'enregistrement de sa demande d'asile auprès des services de la préfecture le 23 novembre 2021, au cours duquel elle a, de surcroît, été informée, conformément aux dispositions de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de la possibilité de solliciter un titre de séjour pour raisons médicales, ou au cours de la procédure d'examen de sa demande d'asile par l'OFPRA et par la CNDA, soit entre les mois de novembre 2021 et décembre 2022, ou même après le rejet de sa demande d'asile, informé le préfet de la Seine-Saint-Denis de la nature et de la gravité de la pathologie dont elle souffre et qui, selon elle, auraient dû conduire cette autorité à solliciter, avant l'intervention de la mesure d'éloignement en litige, l'avis du collège de médecins de l'OFII. En outre, alors qu'il incombe à l'OFPRA et à la CNDA de garantir la confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France, la seule circonstance que l'intéressée aurait fait état d'éléments tenant à son état de santé devant ces deux organismes ne saurait permettre de considérer que le préfet disposait, à la date de l'arrêté attaqué du 9 février 2023, d'éléments d'information suffisamment précis devant le conduire à saisir pour avis le collège de médecins de l'OFII. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a annulé son arrêté du 9 février 2023 au motif tiré de ce qu'en l'absence d'un tel avis, la mesure d'éloignement litigieuse a été édictée au terme d'une procédure irrégulière.

6. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les moyens communs aux différentes décisions attaquées :

7. D'une part, l'arrêté contesté portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français a été signé par M. C... F..., adjoint à la cheffe du bureau de l'asile de la direction des étrangers et des naturalisations de la préfecture, qui bénéficiait d'une délégation de signature à cet effet en vertu d'un arrêté n° 2023-0028 du 10 janvier 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis, publié au bulletin d'informations administratives du 11 janvier 2023. Le moyen tiré de ce que la compétence du signataire des trois décisions en litige n'est pas justifiée doit, par suite, être écarté.

8. D'autre part, l'arrêté attaqué portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français, comporte les considérations de droit et de fait qui fondent ces deux décisions, et est, par suite, suffisamment motivé, alors même qu'il ne mentionne pas l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de Mme B.... Par ailleurs, s'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, cette motivation révèle la prise en compte par l'autorité préfectorale des critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Enfin, il ne ressort ni de cette motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier qu'avant de prendre à l'encontre de Mme B... la mesure d'éloignement et l'interdiction de retour contestées, le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait omis de procéder à un examen particulier de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont seraient entachées de ce chef ces deux décisions en litige doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L.542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ". Aux termes de cet article L. 542-1 : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ".

11. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, du relevé des informations de la base de données " Telemofpra ", produit en défense par le préfet, et il n'est d'ailleurs pas contesté que la décision de la CNDA rejetant la demande d'asile de Mme B... a été lue en audience publique le 8 décembre 2022. Ainsi, en application des dispositions précitées de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le droit de l'intéressée de se maintenir sur le territoire français a pris fin à cette date. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis pouvait légalement, par son arrêté du 9 février 2023, obliger Mme B... à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions précitées du 4° de l'article L. 611-1 du même code.

12. En deuxième lieu, si les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée. Toutefois, dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le rejet de la demande d'asile, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire.

13. En l'espèce, Mme B..., qui a présenté une demande d'asile, n'établit, ni n'allègue d'ailleurs, qu'elle n'aurait pas été entendue devant l'OFPRA ou devant la CNDA. En outre, il lui appartenait, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, de fournir spontanément à l'administration, au cours de l'instruction de sa demande d'asile par l'OFPRA, puis par la CNDA, ou à la suite du rejet de sa demande d'asile, tout élément utile relatif à sa situation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait été empêchée de présenter les éléments relatifs à sa situation de manière utile et effective, alors que, de surcroît, l'autorité administrative a fait application des dispositions de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, en particulier, a, dès le 23 novembre 2021, informé l'intéressée de la possibilité de solliciter un titre de séjour pour raisons médicales. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance de son droit à être entendue.

14. En troisième lieu, Mme B..., qui fait valoir qu'elle souffre d'un " symptôme dépressif " et d'un " stress post traumatique ", soutient que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine. Toutefois, les quelques documents d'ordre médical produits par l'intéressée, notamment une attestation établie le 4 novembre 2022 de la sage-femme coordinatrice de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis, un certificat médical établi le 8 novembre 2022 par un médecin légiste, indiquant un " état dépressif chronique " et un " syndrome de stress post traumatique ", ainsi qu'un certificat médical établi le 3 mars 2023 par un psychiatre, mentionnant un " trouble de stress post-traumatique sévère " ainsi qu'un suivi multidisciplinaire à la Maison des Femmes depuis le mois de janvier 2022, ne permettent pas, compte tenu des termes dans lesquels ils sont rédigés et en l'absence d'éléments précis et objectifs sur la nature, l'étiologie et la gravité de sa pathologie, son évolution et la prise en charge médicale qu'elle nécessite, de démontrer qu'un défaut de prise en charge de Mme B... pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni, en tout état de cause, qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Sur ce dernier point, si l'intéressée fait valoir que les deux antidépresseurs qui lui sont prescrits en France (Paroxétine et Mirtazapine) ne figurent pas sur la liste des médicaments essentiels de la Côte d'Ivoire de 2019, qu'elle produit, le médicament Paroxétine figure sur cette liste et Mme B... n'apporte aucun autre élément de nature à établir qu'elle ne pourrait pas bénéficier effectivement dans ce pays d'un traitement approprié à sa pathologie. Par ailleurs, si Mme B... soutient qu'il existe un lien entre la pathologie dont elle souffre et des événements traumatisants qu'elle aurait vécus en Côte d'Ivoire et que, dans ces conditions, la prise en charge et le traitement que nécessite son état de santé ne peuvent être regardés comme existants dans ce pays, les deux certificats médicaux produits par l'intéressée se bornent à faire état, de manière particulièrement succincte, des mêmes faits que ceux invoqués par l'intéressée à l'appui de sa demande d'asile qui a, au demeurant, été rejetée par une décision du 30 juin 2022 de l'OFPRA, confirmée par une décision du 8 décembre 2022 de la CNDA. Enfin, l'intéressée n'apporte aucune autre précision, ni aucun commencement de preuve de nature à démontrer la réalité des événements qu'elle aurait vécus en Côte d'Ivoire, ni, par suite, le lien entre ces événements et sa pathologie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, doit être écarté.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

16. Mme B... fait valoir qu'elle a quitté la Côte d'Ivoire par crainte d'être exposée à des persécutions ou des atteintes graves du fait de sa soustraction à un mariage imposé. Elle se prévaut également de la durée de son séjour en France depuis le mois de novembre 2021 et fait valoir qu'elle y vit avec un compatriote, M. G... E..., et leur fils H... A..., né en France le 3 septembre 2022. Toutefois, l'intéressée, dont la demande d'asile a été, au demeurant, rejetée, ne justifie pas des craintes qu'elle allègue en cas de retour dans son pays d'origine. A cet égard, elle ne fournit aucun développement étayé, cohérent et vraisemblable sur son environnement familial, sur les circonstances du mariage forcé allégué, sur le profil ou la personnalité de son époux, sur les violences dont elle aurait fait l'objet, sur les circonstances de son départ du domicile conjugal ou encore sur l'organisation et les modalités de son départ de son pays. En tout état de cause, elle ne démontre pas qu'elle serait obligée, en cas de retour, d'aller vivre auprès de sa famille qu'elle a quittée en 2019. Par ailleurs, elle ne justifie d'aucune autre circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'elle poursuivre normalement, avec son concubin qui est également en situation irrégulière, et leur enfant en bas âge, sa vie privée et familiale à l'étranger et, en particulier, en Côte d'Ivoire où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans. Enfin, Mme B..., qui ne peut se prévaloir que d'une durée de séjour en France relativement brève, ne justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle sur le territoire. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour en France de Mme B..., la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation par le préfet des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de Mme B... doit être également écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

17. D'une part, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.

18. D'autre part, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Cet article 3 stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

19. Ainsi qu'il a été dit au point 16, Mme B..., dont la demande d'asile a été, au demeurant, rejetée, ne fournit aucune précision suffisante ou crédible, ni aucun élément probant sur son histoire personnelle, y compris celle de sa famille, les lieux où elle aurait résidé avant de quitter son pays ou encore les menaces dont elle aurait fait ou ferait l'objet dans ce pays et qu'elle relate de manière particulièrement succincte et non circonstanciée. Ainsi, elle n'apporte aucun élément sérieux et convaincant permettant de considérer qu'elle encourrait dans le cas d'un retour en Côte d'Ivoire, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que Mme B... ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement et d'un suivi appropriés à sa pathologie dans le cas d'un retour dans son pays d'origine. Par suite, en décidant, par la décision attaquée, que l'intéressée pourra être éloignée d'office à destination de la Côte d'Ivoire, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas méconnu les dispositions et stipulations précitées.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

20. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

21. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

22. Alors même que la présence en France de Mme B... ne constitue pas une menace pour l'ordre public et que l'intéressée n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en se fondant sur les conditions d'entrée et de séjour sur le territoire de l'intéressée, le rejet de sa demande d'asile et l'absence de circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'elle reconstitue sa cellule familiale en Côte d'Ivoire, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 9 février 2023 obligeant Mme B... à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Sur les conclusions du préfet de la Seine-Saint-Denis à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

24. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 23PA02522 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23PA02523 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2302504 du 15 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23PA02523 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et Mme D... B....

Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLa greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02522-23PA02523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02522
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : CASAGRANDE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;23pa02522 ?
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