Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 17 mars 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français.
Par un jugement n° 2111079 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 novembre 2022 et le 14 février 2024, M. B..., représenté par Me Mileo, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de résident dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans le même délai, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision d'expulsion attaquée est entachée d'un vice d'incompétence, ni la commission d'expulsion de Paris, ni le préfet de police n'étant territorialement compétents pour rendre un avis ou prendre cette décision ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen complet de la situation ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par un courrier du 8 février 2024, une mesure d'instruction a été diligentée par la Cour.
Par un mémoire, enregistré le 9 février 2024, le préfet de police a répondu à cette mesure.
Par une décision du 7 septembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,
- et les observations de Me Moller, substituant Me Mileo, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo), né le 10 février 1987, a fait l'objet d'un arrêté du 17 mars 2021 par lequel le préfet de police a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et devenu l'article L. 631-1 du même code, prononcé son expulsion du territoire français. M. B... fait appel du jugement du 1er juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et devenu l'article L. 631-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ".
3. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
4. Par l'arrêté contesté du 17 mars 2021, le préfet de police a prononcé, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, l'expulsion de M. B... du territoire français aux motifs, notamment, qu'il " a été condamné les 21 avril 2015 par le tribunal correctionnel de Meaux à 15 jours d'emprisonnement pour recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et 3 juin 2016 par la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis-Bobigny à 7 ans d'emprisonnement pour violence avec usage d'une arme ou menace d'une arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner " et que la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public.
5. Toutefois, en premier lieu, il ressort de l'arrêt du 3 juin 2016 de la cour d'assises de la Seine-Saint-Denis-Bobigny et de la feuille de motivation qui l'assortit, versés au dossier par le préfet de police en réponse à la mesure d'instruction diligentée par la Cour, que M. B..., poursuivi pour meurtre, a été reconnu coupable, après requalification, d'avoir à Pantin, le 18 novembre 2012, volontairement commis des violences ayant entraîné sans intention de la donner la mort d'un individu avec cette circonstance que les faits ont été commis avec l'usage d'une arme, en l'occurrence en ayant porté à la victime un coup de couteau, qui était en sa possession, et a été condamné pour ces faits à une peine de 7 ans d'emprisonnement. Pour écarter la qualification d'homicide volontaire, la cour d'assises a expressément relevé la taille de l'arme utilisée qui ne caractérise pas l'intention homicide, le fait qu'un seul coup a été porté, le fait que la confrontation entre M. B... et la victime n'a duré que quelques secondes, l'intention de viser une zone vitale n'étant pas caractérisée, et l'absence de conflit antérieur entre les protagonistes, qui ne se connaissaient pas avant les faits. Enfin, s'il ne saurait être contesté que ces faits revêtent un caractère d'extrême gravité, ils ont été commis plus de huit ans avant l'intervention de la décision d'expulsion attaquée du 17 mars 2021.
6. En deuxième lieu, s'il est constant que M. B... a également été condamné le 21 avril 2015 par le tribunal correctionnel de Meaux à une peine de 15 jours d'emprisonnement pour recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement, le préfet de police ne fournit aucune précision, ni aucun autre élément sur la matérialité de ces faits, tandis que le requérant indique, sans être contesté sur ce point, qu'il s'est agi d'une affaire de détention d'un téléphone portable en cellule, alors que M. B... était en détention préventive pour les faits mentionnés au point 5, et que celui-ci a reconnu les faits et fait l'objet d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et d'une condamnation à une peine de 15 jours d'emprisonnement. Enfin, ces faits, d'une gravité relative, ont été commis plus de cinq ans avant l'intervention de la décision attaquée.
7. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté que M. B..., qui est entré en France le 10 décembre 2006 dans le cadre d'un regroupement familial à l'âge de 19 ans pour rejoindre son père, titulaire d'une carte de résident, sa mère, ses deux frères et sa sœur, qui sont de nationalité française, et qui a exercé une activité professionnelle, avant son placement en détention préventive en novembre 2012, entre 2007 et 2012, a, durant cette détention préventive, travaillé en 2015, durant plusieurs semaines, dans un atelier de production et, par ailleurs, suivi une formation d'agent de propreté et d'hygiène et obtenu un titre professionnel. De plus, M. B... a bénéficié, outre de 15 mois de crédits de réduction de peine, de 10 mois et 15 jours de réductions supplémentaires de peine à raison de son comportement en détention ainsi que, par un jugement du 29 décembre 2016 du juge de l'application des peines, d'une mesure de semi-liberté probatoire à la libération conditionnelle à compter du 24 janvier 2017, puis d'une mesure de liberté conditionnelle à compter du 5 mai 2017. En outre, lors de cette libération conditionnelle, l'intéressé a suivi une formation d'agent d'entretien du bâtiment organisée par l'agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) du 9 mai au 22 décembre 2017, a effectué un stage de 8 mois en qualité d'agent d'entretien polyvalent dans deux établissements et a obtenu un livret de certification. De même, après avoir purgé ses peines, M. B... a effectué des missions d'intérim pour la société SES comme manutentionnaire entre juillet et septembre 2018, puis a été recruté comme agent de service par la société ASP à compter du mois de mai 2020. Parallèlement, l'intéressé a réussi, au mois de novembre 2019, le concours d'entrée à la formation d'aide-soignant auprès de l'APHP, a débuté cette formation au mois de janvier 2020, a effectué plusieurs stages dans différents hôpitaux entre les mois de février et octobre 2020, en faisant l'objet de bonnes appréciations de la part de ses maîtres de stage, et a d'ailleurs obtenu le diplôme d'Etat d'aide-soignant le 13 décembre 2021. Enfin, M. B..., qui bénéficie du soutien des membres de sa famille et qui justifie des liens, notamment d'ordre amical, qu'il a entretenus en France, a noué, à la fin de l'année 2019, une relation avec une ressortissante française, Mme D..., avec qui il a d'ailleurs emménagé au mois de décembre 2021.
8. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, notamment de l'ensemble des garanties sérieuses et avérées de réinsertion et de non réitération dont M. B... justifie depuis la commission des faits de 2012, d'une gravité incontestable, mais commis il y a plus de huit ans, en l'absence de tout autre fait délictueux depuis 2015 susceptible d'être retenu à son encontre et alors même que l'intéressé n'a pas encore indemnisé les parties civiles pour un montant de 114 000 euros, le préfet de police, en estimant, par son arrêté du 17 mars 2021, que la présence en France de l'intéressé constituait une menace grave pour l'ordre public et, en conséquence, en prononçant son expulsion du territoire français, a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de cet arrêté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mars 2021 du préfet de police.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
11. L'exécution d'un arrêt annulant un arrêté d'expulsion n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'étranger qui n'était pas titulaire, à la date de l'arrêté ordonnant son expulsion, d'un titre de séjour en cours de validité. Il appartient seulement au préfet d'examiner la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour en tenant compte des motifs de la décision juridictionnelle et au vu de la situation de droit et de fait prévalant à la date de cet examen. Par suite, si l'exécution du présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à M. B... qui n'était pas titulaire, à la date de l'arrêté ordonnant son expulsion, d'un titre de séjour en cours de validité, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
12. M. B... bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à l'avocat de M. B... sur le fondement de ces dispositions, sous réserve que Me Mileo renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2111079 du 1er juillet 2022 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 17 mars 2021 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à l'avocat de M. B... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Mileo renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. d'Haëm, président,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.
Le président-rapporteur,
R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,
D. PAGES
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04869