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12/01/2024 | FRANCE | N°23PA01993

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 12 janvier 2024, 23PA01993


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. B... N... I... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 janvier 2021 par lequel le ministre de l'économie et des finances a imposé une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et a interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2110739 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa dem

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Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 9 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... N... I... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 15 janvier 2021 par lequel le ministre de l'économie et des finances a imposé une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et a interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois.

Par un jugement n° 2110739 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 9 mai 2023, M. I..., représenté par Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 janvier 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance lui a imposé une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et a interdit la mise à disposition, directe ou indirecte, et l'utilisation de fonds ou ressources économiques à son bénéfice pour une durée de six mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement contesté est entaché d'une erreur de droit compte tenu de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier ;

- les juges de première instance ont méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve en exigeant la démonstration de l'inexactitude des faits qui fondent la décision et ont méconnu le principe du contradictoire en ne faisant pas usage de mesures d'instruction supplémentaires ;

- l'arrêté attaqué repose sur des faits dont la matérialité n'est pas établie par une note blanche insuffisamment précise et circonstanciée et dépourvue de valeur probante en l'absence d'identification de son auteur ;

- il est entaché d'erreur de droit compte tenu de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier sur lequel il se fonde.

La requête a été communiquée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté économique et numérique qui n'a pas produit d'observation en défense.

Par ordonnance du 12 juillet 2023, le président de la L... de la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. I... présentée par un mémoire distinct enregistré le 10 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004 ;

- la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;

- la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;

- le code monétaire et financier ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. G..., rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 15 janvier 2021, pris sur le fondement des dispositions des articles L. 562-3 et suivants du code monétaire et financier, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a imposé à M. I... une mesure de gel de ses fonds et ressources économiques et a interdit pour la même durée la mise à disposition directe ou indirecte et l'utilisation de fonds ou de ressources économiques à son profit. M. I... relève régulièrement appel du jugement du 9 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, si M. I... soutient que les premiers juges ont méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, un tel moyen, qui ne critique pas la régularité du jugement, n'est pas susceptible d'être utilement soulevé devant le juge d'appel.

3. En second lieu, si M. I... fait grief aux premiers juges d'avoir méconnu le principe du contradictoire en ne mettant pas en œuvre leur pouvoir d'instruction pour obtenir la production d'éléments complémentaires à la note blanche présentée en défense et dont l'intéressé a eu connaissance dans le cadre de la procédure contradictoire, il ressort des éléments versés par les parties au dossier de première instance que le tribunal, qui dirige seul l'instruction, disposait des éléments nécessaires pour former sa conviction et statuer en toute connaissance de cause sur le litige qui lui était soumis, sans procéder à une telle mesure d'instruction. En tout état de cause, la méconnaissance du principe du contradictoire ne saurait résulter de l'absence de mise en œuvre du pouvoir d'instruction dont dispose le juge du fond. Par suite, le moyen tiré pour ce motif de l'irrégularité du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier : " Le ministre chargé de l'économie peut décider, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques : 1° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actions sanctionnées ou prohibées par les résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ou les actes pris en application de l'article 29 du traité sur l'Union européenne ou de l'article 75 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, y participent ou qui sont désignées sur le fondement de ces résolutions ou ces actes ; 2° Qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° ou agissant sciemment pour le compte ou sur instructions de celles-ci ".

5. Pour prononcer la mesure contestée, le ministre chargé de l'économie s'est fondé sur une " note blanche " versée au débat contradictoire. Il ressort de cette note que depuis 2015, la société de droit libanais M... dont M. B... I... est directeur général et membre fondateur avec ses deux frères, est devenue l'un des premiers fournisseurs en biens entrant dans la fabrication d'armes de destruction massive du centre d'études et de recherches syrien (CERS), organisme d'Etat ayant fait l'objet de mesures de gel et d'interdiction de mise à disposition de fonds au niveau européen depuis 2011, et en méconnaissance du point 2 de la résolution 1540 (2004) du conseil de sécurité des Nations-Unies prévoyant l'interdiction de la fourniture et du financement d'armes chimiques par des acteurs non-étatiques. Elle mentionne que la société A... dispose d'un réseau de sociétés affiliées et précisément identifiées en Chine, au Liban, aux Emirats arabes unis, en Syrie et, en France, la société Smart Pegasus dans laquelle M. B... I... est associé à hauteur de 30 %, afin de financer l'acquisition et de fluidifier la logistique des opérations de fournitures au CERS. Elle précise qu'au printemps 2016, la société A... a acheté à des fournisseurs chinois par l'intermédiaire de ses sociétés affiliées, des produits chimiques listés tels que l'hexamine et l'isopropanol utilisés par le CERS dans la synthèse de toxiques de guerre, produits interdits à la vente, fourniture, transfert ou export vers la Syrie par le règlement (UE) n° 36/2012. Il est relevé que les membres fondateurs et personnels dirigeants de la société A..., de ses sociétés affiliées et de ses intermédiaires (financiers et transitaires) agissent consciemment pour le compte de ou sur instruction du CERS. A ce titre, M. I..., en qualité de membre fondateur et directeur général de la société A..., a parfaitement conscience de fournir au CERS des biens susceptibles d'entrer dans la confection d'armes de destruction massive et des montages financiers pour y parvenir. Cette note mentionne que la société A... et la société syrienne affiliée Electronic system group (ESG) ont poursuivi leurs activités commerciales au bénéfice du CERS en dépit des mesures de police administrative prononcées. Ainsi, elle retient que M. B... I... a créé, depuis les premières mesures de gel initiées en janvier 2018, plusieurs sociétés écrans et a progressivement mis en œuvre une stratégie de dissimulation d'acquisition des biens auprès de fournisseurs étrangers, notamment depuis juillet 2018 au travers de la société syrienne ESG qui a continué à entretenir des relations commerciales avec le CERS, en particulier avec des employés en charge du programme Scud et que depuis janvier 2019, la société A... poursuit l'utilisation et la mise en place de sociétés écrans agissant comme faux consignataires lui permettant de dissimuler ses acquisitions. Elle conclut que depuis juillet 2020, M. B... I... et le groupe A... n'ont pas démontré avoir renoncé aux activités de prolifération au profit du CERS. Le ministre a fait également valoir dans la cadre de la première instance que M. B... I... et la société A... ont été sanctionnés en juillet 2018 par le Trésor américain et sont inscrits pour les mêmes motifs sur le registre (Specially Designated Nationals List) des sanctions de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), ces mesures étant toujours en vigueur.

6. D'une part, aucune disposition législative, ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par une " note blanche " qui a été versée au débat contradictoire, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif dès lors que le contenu peut être utilement contesté par tout élément tendant à établir l'inexactitude matérielle des faits qu'elle rapporte, leurs éventuelles contradictions ou leur imprécision. Par ailleurs, si la note produite à l'instance par le ministre chargé de l'économie ne comporte pas d'indication qui permettrait d'identifier son auteur ou le service qui l'a établie, aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause l'origine de ce document et douter de ce qu'elle a été rédigée par les services spécialisés de renseignement ou par un service autorisé à recourir aux techniques de renseignement visés aux articles R. 811-1 et R. 811-2 du code de la sécurité intérieure.

7. D'autre part, pour contester les éléments de fait figurant dans cette note, M. I... soutient qu'elle ne comporte pas d'indication sur le nombre, la quantité, les dates exactes des transactions visées et sur les modalités d'acheminement, de transit, de livraison et de réception des produits. Cette note comporte toutefois des faits énoncés ci-dessus au point 5 suffisamment précis, actuels et probants qui ne relèvent ni d'une interprétation ni d'une extrapolation et qui ne sont pas sérieusement contredits par l'absence de mention de ces indications ou par les seules dénégations de M. I... auquel il appartient d'établir qu'il est étranger aux faits qui lui sont reprochés et qui fondent l'arrêté en litige. Par ailleurs, la circonstance que M. I... ne fasse l'objet d'aucune poursuite pénale ou inscription dans une résolution prévue à l'article 75 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'a aucune incidence tant sur l'exactitude matérielle des faits contenus dans la note que sur la mesure de police administrative constituée par la décision litigieuse qui a été prise en application des dispositions précitées de l'article L. 562-3 du code des marchés financiers et est indépendante de toute autre procédure susceptible d'être mise en œuvre. Dans ces conditions, les éléments factuels précis et circonstanciés invoqués par le ministre, dont aucun des arguments de l'intéressé ne remet en cause l'exactitude matérielle, la pertinence, la gravité et le sérieux, permettent de considérer que M. I... a continué de commettre, de tenter de commettre, de faciliter ou de financer des actions sanctionnées ou prohibées au sens des dispositions de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier. Par suite, le ministre chargé de l'économie pouvait valablement considérer, à la date où la mesure de renouvellement a été prise, que les conditions posées par l'article L. 562-3 du code monétaire et financier étaient toujours satisfaites.

8. En second lieu, si M. I... soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit en raison de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier, la question prioritaire de constitutionnalité présentée par un mémoire distinct a fait l'objet d'un refus de transmission par une ordonnance du 12 juillet 2023. Il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer, dans un cadre autre que celui d'une question prioritaire de constitutionnalité, sur la conformité d'une disposition législative à une norme à valeur constitutionnelle. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. I... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... N... I... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. E..., président,

- M. D..., président assesseur,

- Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

H...

Le président,

K...

La greffière,

J...

La République mande et ordonne au ministre de de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01993


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01993
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. E...
Rapporteur ?: Mme C...
Rapporteur public ?: M. G...
Avocat(s) : CABINET R...

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;23pa01993 ?
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