Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Laboratoire du Catalan et Mme D... E... ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédonie à leur verser les sommes respectives de 55 200 000 francs Pacifique et de 10 000 000 francs Pacifique en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 mars 2020 abrogeant l'arrêté du 25 août 2009 portant autorisation d'ouverture d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale " Laboratoire du Catalan " à Robinson, sur le territoire de la commune du Mont-Dore.
Par un jugement n° 2100253 du 10 novembre 2021, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 février 2022, la société Laboratoire du Catalan et Mme E..., représentées par Me Loste, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2100253 du 10 novembre 2021 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de condamner la Nouvelle-Calédonie à leur verser les sommes respectives de 55 200 000 francs Pacifique et de 10 000 000 francs Pacifique en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 mars 2020 abrogeant l'arrêté du 25 août 2009 ;
3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- l'arrêté du 3 mars 2020, annulé pour défaut de motivation, était entaché d'illégalité fautive ; aucun motif ne pouvait justifier la fermeture du laboratoire situé à Robinson, dès lors que la démission de Mme A... de ses fonctions de gérante n'a jamais été formalisée par la présentation d'une lettre recommandée avec avis de réception ; la société n'a jamais pris acte de cette démission, et aucune modification n'a été effectuée au registre du commerce et des sociétés ; Mme A... doit donc être regardée comme étant toujours associée, gérante et directeur de laboratoire ;
- la fermeture du laboratoire est à l'origine d'un préjudice financier pour la société Laboratoire du Catalan, lié au départ des salariés, au paiement à perte d'un loyer, à la perte de patientèle et à la perte de chiffre d'affaires ; Mme E... a en outre subi un préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 juin 2022, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge des requérantes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999,
- la délibération n° 553 du 1er juin 1983 du Congrès de la Nouvelle-Calédonie relative aux laboratoires d'analyses de biologie médicale,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Marion, rapporteure publique désignée en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative,
- les observations de Me Jouanin, représentant la société Laboratoire du Catalan et Mme E...,
- et les observations de Me Cathelineau, représentant la Nouvelle-Calédonie.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 28 octobre 2004, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a autorisé l'ouverture d'un laboratoire d'analyses médicales exploité sous la forme d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) dénommée Laboratoire du Catalan sur le territoire de la commune de Nouméa. Puis par un arrêté du 29 janvier 2008, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a pris acte de la modification de la forme sociale de la société et a agréé la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Laboratoire du Catalan en vue d'exploiter le laboratoire d'analyses médicales situé à Nouméa. Par un arrêté du 25 août 2009, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a autorisé l'ouverture d'un second laboratoire d'analyse de biologie médicale sur le territoire de la commune du Mont-Dore exploité sous la forme d'une SELARL dénommée Laboratoire du Catalan ; l'arrêté du 29 janvier 2008 a été modifié afin de prévoir que la SELARL Laboratoire du Catalan était agréée en vue de l'exploitation de deux laboratoires d'analyses de biologie médicale situés l'un à Nouméa, l'autre sur le territoire de la commune du Mont-Dore, ce dernier étant dirigé par M. C.... Après le départ de celui-ci en 2017, Mme A... est devenue associée gérante de la SELARL Laboratoire du Catalan, et mentionnée comme étant directrice du laboratoire situé sur la commune du Mont-Dore par un arrêté du 12 décembre 2017. Informé de la démission de Mme A... à compter du 22 juin 2019, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a, par un arrêté du 3 mars 2020, abrogé les arrêtés du 25 août 2009 et du 12 décembre 2017. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie pour insuffisance de motivation. La société Laboratoire du Catalan et Mme E... relèvent appel du jugement du 10 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la Nouvelle-Calédonie à leur verser les sommes respectives de 55 200 000 francs Pacifique et de 10 000 000 francs Pacifique en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 mars 2020.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 1er de la délibération susvisée n° 553 du 1er juin 1983 relative aux laboratoires d'analyses de biologie médicale : " Les laboratoires dans lesquels sont effectuées des analyses de biologie médicale doivent répondre aux conditions fixées par le présent texte. / (...) les analyses ne peuvent être effectuées que dans les laboratoires mentionnés à l'alinéa précédent, sous la responsabilité de leurs directeurs et directeurs adjoints. ". Aux termes de l'article 2 de la même délibération : " Un laboratoire d'analyses de biologie médicale ne peut être ouvert, exploité ou dirigé que par : " 1 - une personne physique, / 2 - une société civile professionnelle régie par la loi du 29 novembre 1966 modifiée et les dispositions du présent texte, / 3°- une société anonyme ou une société à responsabilité limitée remplissant les conditions prévues par le présent texte. / 4°- un organisme ou service relevant de l'Etat, d'une collectivité publique ou d'un établissement public, / 5°- un organisme mutualiste, / 6°- un organisme à but non lucratif reconnu d'utilité publique. / 7°- une société d'exercice libéral de directeurs et directeurs adjoints. ". Aux termes de l'article 3 de cette délibération : " Lorsque le laboratoire est exploité par une personne physique, celle-ci est directeur du laboratoire. / Lorsqu'il est exploité par une société civile professionnelle, tous les associés sont directeurs de laboratoire. / Lorsque le laboratoire est exploité par une société anonyme, par une société à responsabilité limitée ou par une société d'exercice libéral, le président du conseil d'administration, les directeurs généraux, les membres du directoire ou le directeur général unique et les gérants, ainsi que la majorité au moins des membres du conseil d'administration et du conseil de surveillance sont directeurs ou directeurs adjoints du laboratoire. (...) ". Selon l'article 4 de ladite délibération : " Aucun laboratoire d'analyses de biologie médicale ne peut être ouvert sans une autorisation délivrée dans les conditions prévues au présent titre. ". En outre, aux termes de l'article 80 de la même délibération : " Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie retire l'autorisation lorsque les conditions légales ou réglementaires cessent d'être remplies. / (...) La décision de retrait total ou partiel de l'autorisation ne peut intervenir qu'après que le responsable du laboratoire a été mis en mesure de présenter ses observations sur les faits de nature à justifier la décision. Elle doit être motivée. (...) ", et aux termes de son article 81 : " Les directeurs et directeurs adjoints de laboratoires d'analyses de biologie médicale doivent exercer personnellement et effectivement leurs fonctions. / Ils ne peuvent les exercer dans plus d'un laboratoire. (...) ". Enfin, l'article 82 de ladite délibération dispose : " Les directeurs et directeurs adjoints de laboratoires doivent être titulaires de l'un des diplômes d'Etat de docteur en médecine, de docteur en pharmacie ou de pharmacien ou de docteur vétérinaire, être inscrits au tableau de l'ordre professionnel dont ils relèvent et avoir reçu une formation spécialisée dont la nature et les modalités sont fixées ci-dessous. ".
3. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. L'intervention d'une décision illégale ne saurait toutefois ouvrir droit à réparation notamment si les dommages ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité, mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s'est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l'administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment ou si une décision d'effet équivalent aurait dû légalement être prise.
4. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 3 mars 2020 du gouvernement de Nouvelle-Calédonie était entaché d'illégalité fautive, étant dépourvu de motivation. Toutefois, cet arrêté était fondé sur le constat d'une absence de directeur au sein du laboratoire d'analyses de biologie médicale situé commune du Mont-Dore depuis la démission de Mme A... à compter du 22 juin 2019, les conditions énoncées au point 2 du présent arrêt cessant d'être remplies. Il n'est pas contesté que Mme A... n'exerçait plus de manière effective ses fonctions depuis cette dernière date, ayant par ailleurs été recrutée par un laboratoire concurrent. La circonstance qu'elle n'aurait jamais formalisé sa démission selon les règles de droit privé régissant la société, ni revendu sa part sociale, et qu'elle devrait dès lors toujours être regardée comme associée, co-gérante, et directrice dudit laboratoire, est sans incidence sur son absence d'exercice effectif des fonctions de direction au sens des dispositions précitées de l'article 81 de la délibération du 1er juin 1983. Il est par ailleurs constant que le laboratoire concerné était dépourvu, à la date de l'arrêté annulé du 3 mars 2020, de directeur, la pénurie de biologistes et les difficultés de recrutement en raison de la crise sanitaire, alléguées par les requérantes, étant sans incidence à cet égard. Enfin, les recrutements de MM. Pescarmona et Garrigos en qualité de pharmaciens biologistes, pour des durées déterminées, n'étaient pas susceptibles de pallier l'absence de direction constatée par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Dans ces conditions, les préjudices financier et moral dont il est demandé réparation découlent exclusivement de la situation irrégulière ayant affecté le laboratoire exploité par la société, et l'absence de directeur était de nature à justifier une décision, légalement prise, d'effet équivalent à l'arrêté annulé.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Laboratoire du Catalan et Mme E... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leurs demandes indemnitaires.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Laboratoire du Catalan et Mme E... et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces dernières le versement de la somme de 1 500 euros à la Nouvelle-Calédonie en application des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Laboratoire du Catalan et de Mme E... est rejetée.
Article 2 : La société Laboratoire du Catalan et Mme E... verseront la somme de 1 500 euros à la Nouvelle-Calédonie en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Laboratoire du Catalan, à Mme D... E... et à la Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2023.
La rapporteure,
G. B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
É. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00600