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21/06/2022 | FRANCE | N°20PA03633

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 21 juin 2022, 20PA03633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... D... a demandé au Tribunal administratif C... de condamner la ville C... à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime, d'annuler la décision du 12 octobre 2018 par laquelle la ville C... lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision du 29 novembre 2018 rejetant son recours gracieux, et de condamner la ville C... à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral

subi du fait de ces décisions, et une somme de 7 000 euros en indemnisation ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... D... a demandé au Tribunal administratif C... de condamner la ville C... à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime, d'annuler la décision du 12 octobre 2018 par laquelle la ville C... lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision du 29 novembre 2018 rejetant son recours gracieux, et de condamner la ville C... à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de ces décisions, et une somme de 7 000 euros en indemnisation des frais de justice exposés.

Par un jugement n° 1819484/2-2 et n° 1902460/2-2 du 2 octobre 2020, le Tribunal administratif C... a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2020, M D..., représenté par

Me Achour, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif C... du 2 octobre 2020 ;

2°) de condamner la ville C... à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 octobre 2018 par laquelle la maire C... lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision du

29 novembre 2018 rejetant son recours gracieux ;

4°) d'enjoindre à la ville C... de réexaminer sa situation afin de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de condamner la ville C... à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral causé par le rejet de sa demande de protection fonctionnelle ;

6°) de mettre à la charge de la ville C... une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a été victime d'agissements de harcèlement et de discrimination, à raison desquels il doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ; il doit également être indemnisé à hauteur de 10 000 euros à raison des troubles dans ses conditions d'existence subis du fait de ces agissements, et à hauteur de 10 000 euros à raison du préjudice financier qu'ils lui ont causé ;

- la ville C... a méconnu les dispositions relatives à la protection fonctionnelle en refusant de l'admettre au bénéfice de cette protection.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2021, la ville C..., représentée par la SCP Froussard-Froger, avocat aux Conseils, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. D... sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au

29 octobre 2021.

Un mémoire a été présenté pour M. D... le 2 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 alors en vigueur ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 alors en vigueur ;

- le décret n°94-415 du 24 mai 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique,

- et les observations de Me Achour, pour M. D... et de Me Froger, pour la ville C....

Une note en délibéré présentée par M. D... a été enregistrée le 9 juin 2022.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été recruté par la ville C... le 27 juin 1994 en qualité d'adjoint administratif stagiaire et titularisé dans ce grade le 27 juin 1995. Ayant accédé au corps des attachés d'administrations E... le 19 novembre 2002, il a été affecté, à compter du 12 septembre 2016, au sein de la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection, en qualité de chef du bureau du budget, de la comptabilité et du contrôle de gestion. Par un courrier du 27 août 2018, notifié le 30 août 2018, M. D... a adressé à son employeur une demande indemnitaire préalable afin d'obtenir réparation du préjudice dont il s'estimait victime en raison d'une situation de harcèlement moral et de discrimination. Le 30 octobre 2018, une décision implicite de rejet est née du silence gardé pendant deux mois par la maire C... sur cette demande. La maire C... a, par ailleurs, par deux décisions des 12 octobre et 29 novembre 2018, rejeté la demande de protection fonctionnelle qu'il avait présentée le 31 août 2018, et son recours gracieux introduit le 15 novembre 2018. Par un jugement du 2 octobre 2020, le Tribunal administratif C... a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux décisions et à l'indemnisation des préjudices qu'il soutenait avoir subis. Il fait appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices liés au harcèlement moral et à la discrimination :

2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, visée ci-dessus, alors en vigueur : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race (...) ". Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 6 quinquiès de la même loi, alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/ 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;/2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;/3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés./Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ". D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent, un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit être alors intégralement réparé.

4. Enfin, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'ils n'excèdent pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

5. Ainsi que le tribunal administratif l'a relevé à juste titre, le rejet par le supérieur hiérarchique de M. D..., le 13 février 2018, de sa candidature au grade d'attaché principal était justifié par ses états de services tels que renseignés sur sa fiche d'évaluation de 2017, et faisait suite à une décision identique de son précédent supérieur hiérarchique, du 17 mars 2017. De même, le refus opposé à sa demande de financement en vue de suivre une formation à l'Institut d'études politiques pendant l'année universitaire 2017/2018 était motivé par les nécessités de l'organisation du service, compte tenu du caractère tardif de cette demande, de l'absence de lien direct entre la formation demandée et l'exercice de sa fonction et du cout de cette formation (18 900 euros). En outre, l'établissement des fiches budgétaires qui lui avaient été demandées en octobre 2017 n'était pas illégitime ou impossible, alors qu'il occupait le poste de chef du bureau du budget, de la comptabilité et du contrôle de gestion, et a réalisé une de ces fiches, et alors que son supérieur hiérarchique a explicité ses attentes à plusieurs reprises, notamment par un message électronique du 27 février 2018. Son argumentation tirée de réprimandes infondées qui lui auraient été adressées à propos de sa note du 31 août 2017, doit également être écartée, son supérieur hiérarchique s'étant borné à préciser ses exigences en matière de respect des commandes et des délais impartis. Il a en va de même de son argumentation tirée d'une mise à l'écart systématique, dès lors, en premier lieu, qu'au-delà de son poste de travail, la totalité du bureau du budget a déménagé d'un étage et que le principe de ce déménagement était acquis avant la prise de poste de son supérieur hiérarchique, en deuxième lieu, que le déjeuner du 10 juillet 2017 rassemblait seulement les membres du comité de direction, dont il ne fait pas partie, et qu'il n'était pas le seul chef de bureau tenu à l'écart de ce déjeuner, et en troisième lieu, que son supérieur hiérarchique était fondé à assumer une partie de ses fonctions dans l'intérêt du bon fonctionnement du service et dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, eu égard à sa manière de servir telle qu'elle ressort notamment de son évaluation annuelle de 2017. De plus, sa hiérarchie est intervenue, pour trouver une issue à la situation conflictuelle de M. D..., qui ne s'est pas montré réceptif à cette tentative et a au contraire, par son comportement, contribué aux tensions et aux difficultés relationnelles qu'il a rencontrées. Comme le tribunal administratif l'a estimé à bon droit, les divers éléments de fait qui lui étaient ainsi soumis par M. D... pour faire présumer une atteinte au principe d'égalité et des agissements constitutifs de harcèlement moral, n'ont, même s'il a bénéficié de deux arrêts de travail les 10 et 19 juillet 2018 en raison de troubles anxio-dépressifs qu'il estime imputables à sa situation professionnelle, pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et les nécessités de l'organisation du service, ni révélé une carence dans la gestion de la situation, et ne permettent donc pas de retenir l'existence d'une discrimination ou d'un tel harcèlement. Enfin, les propos tenus le 16 avril 2018 par le supérieur hiérarchique de M. D..., dont il n'est pas établi qu'ils étaient dirigés contre sa personne, ne permettent pas non plus de retenir l'existence d'une discrimination à son encontre.

6. Si M. D... fait également état, devant la Cour, du placardage, pendant une quinzaine de jours à partir du 10 décembre 2018, sur le panneau extérieur de la porte du bureau de son supérieur hiérarchique, d'une affiche représentant un cochon rose en peluche, en dessous duquel était inscrite la mention " Front de Libération du Cochon ", à laquelle il prête une signification " identitaire ", la ville C... fait valoir que cette initiative de certains de ses collègues s'inscrivait dans le cadre d'une plaisanterie dont elle explique le détail dans ses écritures sans être contredite, qu'elle qualifie de " potache ", et à laquelle elle dénie toute portée politique. Dans ces conditions, cette initiative ne permet pas davantage de retenir l'existence d'une discrimination ou d'actes de harcèlement.

7. Enfin, ni l'attestation imprécise d'une des collègues de M. D..., d'origine antillaise, ni le licenciement de M. D..., décidé par un arrêté de la maire C... du

12 juillet 2019, motivé par son insuffisance professionnelle, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1920107/2-2 du Tribunal administratif C... du 2 octobre 2020, et par un arrêt de la Cour n° 20PA03651 de ce jour, ne permettent de retenir l'existence d'une discrimination ou de tels actes.

Sur les conclusions dirigées contre les décisions des 12 octobre et 29 novembre 2018:

8. Aux termes du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle ne puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en a résulté ".

9. N'étant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pas fondé à soutenir avoir été victime de harcèlement moral ou de discrimination, M. D... n'est pas davantage fondé à demander l'annulation des décisions des 12 octobre et 29 novembre 2018, par lesquelles la maire C... a rejeté sa demande de protection fonctionnelle, à demander qu'il soit enjoint à la ville C... de réexaminer sa situation, et à demander à être indemnisé du préjudice moral que les décisions des 12 octobre et 29 novembre 2018 lui auraient causé.

10. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif C... a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville C... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ville sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la ville C..., présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... D... et à la ville C....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet C....

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.

Le rapporteur,

J-C. B...Le président,

T. CELERIER

Le greffier,

K. PETIT

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet C..., en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA03633


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03633
Date de la décision : 21/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : SCP FOUSSARD-FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-21;20pa03633 ?
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