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10/05/2022 | FRANCE | N°22PA00976

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 10 mai 2022, 22PA00976


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2021 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2127853/8 du 4 février 2022, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours

à compter de la date de notification du jugement et mis à la charge de l'Etat une somme d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2021 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2127853/8 du 4 février 2022, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la date de notification du jugement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 mars 2022, le préfet de police, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 février 2022 ;

2°) de rejeter la requête présentée par Mme B... en première instance.

Il soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris, a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions combinées des articles 21 et 22 du règlement (UE) du 26 juin 2013 ainsi que de l'article 15 du règlement de la commission du 2 septembre 2003, pour défaut de production des accusés de réception " DubliNet " générés par le point d'accès italien ;

- les autres moyens soulevés par Madame B... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Mme B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Célérier, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante camerounaise, née le 6 février 1985 à Douala (Cameroun), entrée irrégulièrement sur le territoire français le 25 août 2021 après avoir franchi irrégulièrement les frontières italiennes, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 14 décembre 2021, le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile. Par un jugement du 4 février 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B..., une attestation de demande d'asile en procédure normale, dans un délai de dix jours à compter de la date de la notification du jugement. Le préfet de police fait appel de ce jugement.

Sur la requête du préfet de police :

2. Aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. / (...)". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n°604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

3. En vertu de ces dispositions, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un État membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le " point d'accès national " du réseau " DubliNet " pour la France. Les autorités de l'État regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes. Les demandes émanant des préfectures sont, en principe, transmises le jour même aux autorités des autres États membres si elles parviennent avant 16 heures 30 au point d'accès national et le lendemain si elles y parviennent après cette heure. En outre, si les préfectures n'avaient pas directement accès aux accusés de réception archivés par le point d'accès national, elles peuvent désormais y accéder directement.

4. La décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable, au vu de la consultation du fichier " Eurodac " ne peut être prise qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis, saisi dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. A cet égard, s'il est nécessaire que les autorités françaises aient effectivement saisi les autorités de l'autre Etat avant l'expiration de ce délai de deux mois et que les autorités de cet Etat aient, implicitement ou explicitement, accepté cette demande, la légalité de la décision de transfert prise par le préfet de police ne dépend pas du point de savoir si les services de la préfecture disposaient matériellement, à la date de la décision du préfet, des pièces justifiant de l'accomplissement de ces démarches. Si le juge de l'excès de pouvoir peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

5. Il résulte des dispositions précitées du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " DubliNet " par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises, établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de l'accusé de réception prévu par ces dispositions ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la prise en charge du demandeur ont été effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de prise en charge.

6. En l'espèce, pour annuler l'arrêté du 14 décembre 2021, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a estimé que le préfet de police n'établit pas par la seule transmission électronique versée au dossier, datée du 7 octobre 2021, émanant de l'adresse électronique française " alerte-si-aef-dgef-@intérieur.gouv.fr " vers une autre adresse électronique française " frdub@nap01.fr.dub.testa.eu ", avoir transmis aux autorités italiennes la requête aux fins de prise en charge de Mme B..., en vue de l'examen de sa demande d'asile. Elle a également considéré qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités italiennes auraient effectivement reçu le constat d'accord implicite de prise en charge transmis par les autorités françaises le 14 décembre 2021, dès lors que le préfet de police n'a pas produit les accusés de réception " DubliNet " afférents, générés par le point d'accès national italien alors qu'il est susceptible d'y avoir accès. Le Tribunal administratif de Paris a ainsi conclu que les autorités italiennes ne pouvaient être regardées comme ayant reçu la requête aux fins de prise en charge de Mme B... et par suite comme ayant donné leur accord même implicite à la prise en charge de la demande d'asile de l'intéressée.

7. Pour contester ce jugement, le préfet de police produit, en appel, la requête de saisine des autorités italiennes aux fins de prise en charge de la demande d'asile de Mme B... et portant le numéro DUB9930499481-750, ainsi que l'accusé de réception de cette saisine émanant du point d'accès italien " itdub@nap01.it.dub.testa.eu " vers le point d'accès français " frdub@nap01.fr.dub.

testa.eu " correspondant au dossier de Mme B..., généré le 7 octobre 2021 à 15 : 31 soit dans le délai de deux mois suivant le résultat positif émanant du fichier " Eurodac ", conformément aux dispositions à l'article 21 du règlement (UE) du 26 juin 2013.

8. En outre, en l'absence de réponse des autorités italiennes dans le délai de deux mois prévu par l'article 22 du règlement précité, le préfet de police se prévaut, à bon droit, du constat d'accord implicite de prise en charge de la demande de Mme B..., nécessairement né le 8 décembre 2021. Ainsi, le défaut de production de l'accusé de réception de cet accord implicite, émanant du point d'accès italien vers le point d'accès français, ne saurait suffire à remettre en cause son existence. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris s'est fondée sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 21 et 22 du règlement (UE) 604/2013 pour annuler son arrêté du 14 décembre 2021.

9. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le Tribunal administratif de Paris, et en appel.

Sur les autres moyens soulevés par Madame B... :

10. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte les considérations de droit et de fait sur lesquels il se fonde, qui permettent de déterminer l'Etat responsable de sa demande d'asile. Par conséquent, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut de motivation.

11. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police aurait entaché son arrêté du 14 décembre 2021 d'un défaut d'examen sérieux de la situation de Mme B.... Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, que le guide du demandeur d'asile de la page 1 à la page 50 ainsi que la brochure A de la page 1 à 13, ont été remis en main propre à Mme B... le 16 septembre 2021 en langue française, qu'elle a déclaré comprendre. La brochure Eurodac de la page 1 à 3 ainsi que la brochure B de la page 1 à 15 ont également été remises en main propre à l'intéressée dans la même langue, le 21 septembre 2021, date de son entretien individuel. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure résultant de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 susvisé doit être écarté.

13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la procédure prescrite par les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 précité a été respectée par le préfet de police, le 21 septembre 2021. Un entretien individuel, dont le compte-rendu a été signé par Mme B..., a été conduit par un agent qualifié de la préfecture de police, en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre, au 12ème bureau de la préfecture de police, délégation à l'immigration. Si cet agent n'est pas identifié sur le compte-rendu d'entretien, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'entretien n'aurait pas été mené par une personne " qualifiée en vertu du droit national ", conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui n'exigent pas plus que les dispositions du droit national que soit identifié l'agent ayant mené cet entretien. Par conséquent, le moyen tiré du vice de procédure résultant de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement susvisé ne peut qu'être écarté.

14. En cinquième lieu, pour le même motif que celui évoqué au point 7, il convient d'écarter le moyen tiré de la saisine tardive de l'Etat membre responsable de la demande d'asile de Mme B....

15. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que les autorités italiennes qui ont donné leur accord implicite ont été saisies d'une demande de prise en charge de Mme B... et de sa fille et que les mentions relatives à l'âge de cette dernière ont été portées à la connaissance des autorités italiennes. En outre, Mme B... ne produit aucun élément de nature à établir que son enfant ne pourrait pas bénéficier en Italie d'une prise en charge adaptée à son âge ni qu'il ne pourrait y être scolarisé. Dans ces conditions, alors que la décision n'a pas pour objet, ni pour effet de séparer l'intéressée de sa fille, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

16. En septième lieu, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et Mme B... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile ou que sa demande ne sera pas traitée dans les conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le préfet de police n'a pas entaché son arrêté d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni d'une erreur manifeste d'appréciation résultant du refus d'appliquer l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 14 décembre 2021.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Paris du 4 février 2022 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présente arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B....

Copie sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 19 avril 2022 à laquelle siégeaient :

M. Célérier, président de chambre,

M. C..., président- assesseur,

Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

L'assesseur le plus ancien,

J-C. C...

Le président-rapporteur,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA00976


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00976
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Thibaut CELERIER
Rapporteur public ?: Mme MACH

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-05-10;22pa00976 ?
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