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19/04/2022 | FRANCE | N°20PA00652

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 19 avril 2022, 20PA00652


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BNP Paribas Lease Group a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à titre principal à la condamnation du lycée professionnel régional

Jacques Prévert de Combs-la-Ville ou, à titre subsidiaire, de la région Ile-de-France, à lui verser la somme de 60 116,22 euros TTC en exécution du contrat n°U0127407 conclu avec le lycée le 18 juillet 2012 pour la location de photocopieurs, selon décompte du 7 juin 2016, assortie des intérêts légaux à compter de cette même

date avec capitalisation annuelle de ceux-ci.

Par un jugement n° 1604868 du 19 décemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société BNP Paribas Lease Group a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à titre principal à la condamnation du lycée professionnel régional

Jacques Prévert de Combs-la-Ville ou, à titre subsidiaire, de la région Ile-de-France, à lui verser la somme de 60 116,22 euros TTC en exécution du contrat n°U0127407 conclu avec le lycée le 18 juillet 2012 pour la location de photocopieurs, selon décompte du 7 juin 2016, assortie des intérêts légaux à compter de cette même date avec capitalisation annuelle de ceux-ci.

Par un jugement n° 1604868 du 19 décembre 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2020, et des mémoires, enregistrés les

12 juin 2020 et 20 octobre 2021, la société BNP Paribas Lease Group, représentée par Me Neuer, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2019 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner le lycée Jacques Prévert à lui verser la somme de 44 202 euros, somme portant intérêts capitalisés ;

3°) de mettre à la charge solidaire du lycée Jacques Prévert et de la région

Ile-de-France la somme de 5.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête, qui contient une motivation spécifique d'appel, est recevable ;

- la région n'est pas fondée à soutenir que le contrat incriminé est nul ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'article 8 du contrat était illicite car prévoyant une indemnité de résiliation disproportionnée ;

- à titre subsidiaire, quand bien même cet article 8 serait écarté, elle a droit à la réparation du préjudice résultant de la résiliation du contrat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2021, la région Ile-de-France, représentée par Me Mokhtar, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la modulation du montant de l'indemnité de résiliation et demande, en outre, qu'une somme de

1.500 euros soit mise à la charge de la société BNP Paribas Lease Group, au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable faute de motivation d'appel ;

- la demande indemnitaire fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle est irrecevable faute de demande préalable ;

- le contrat incriminé est nul car entaché de vices d'une particulière gravité ;

- les moyens soulevés par la société BNP Paribas Lease Group sont infondés.

La requête a été communiquée au lycée professionnel régional Jacques Prévert de Combs-la-Ville, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 28 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au

22 octobre 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M Pagès ;

- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Malik pour la région Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat n° TI003116 du 7 janvier 2010, le lycée professionnel régional

Jacques Prévert sis à Combs-la-Ville a conclu avec la SAS Novafinance un contrat d'une durée de 63 mois, soit jusqu'au 6 avril 2015, pour la location des photocopieurs suivants : Ricoh Aficio MP 2550 - 2000 - 3350 et 2500, moyennant un loyer trimestriel de 4 110 euros. Ce contrat a été cédé à la Banque Populaire Lorraine Champagne Lorequip Bail à effet du 1er juillet 2010. Par un bon de commande n° 69/12 du 9 mai 2012, le proviseur du lycée, alors en fonction, a accepté un devis du Centre de la Bureautique Ricoh pour la location et l'entretien de ces quatre mêmes photocopieurs ainsi que d'un autre de type Toshiba E-Studio 305 pour une durée de 21 trimestres, moyennant un loyer mensuel de 1 388,71 euros, ce devis précisant que la proposition de la société interviendrait après solde du contrat en cours et des formalités administratives à sa charge. Le lycée a conclu un autre contrat n° U0127407 le 18 juillet 2012 avec la société BNP Paribas Lease Group, dont le fournisseur est le Centre de la Bureautique Ricoh, pour la location des quatre mêmes photocopieurs que ceux objet du contrat initial de 2010 pour une durée de 63 mois, moyennant un loyer trimestriel de 4 110 euros. L'établissement ayant cessé de s'acquitter des loyers dus à la société BNP Lease Group à compter du second trimestre de l'année 2014, cette dernière a résilié le contrat le 10 avril 2015 et mis en demeure l'établissement de lui régler les loyers échus impayés, augmentés des intérêts de retard ainsi qu'une indemnité de résiliation. Le lycée professionnel a procédé au versement d'une somme de 14 796 euros correspondant aux loyers dus au titre du contrat et a restitué les matériels mais a refusé le paiement de l'indemnité de résiliation. Par courrier en date du 18 février 2016, la société BNP Paris Lease Group a demandé le paiement d'une somme de 57 733,84 euros au titre de l'indemnité de résiliation. En l'absence de réponse expresse à cette demande, une décision implicite de rejet est née le 20 avril suivant. La société BNP Paribas Lease Group a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation, à titre principal, du lycée professionnel régional Jacques Prévert, à titre subsidiaire, de la région Ile-de-France, à lui verser la somme de 60 116,22 euros TTC, en exécution du contrat n° U0127407 conclu avec le lycée le 18 juillet 2012, selon décompte du 7 juin 2016, assortie des intérêts légaux à compter de cette même date avec capitalisation annuelle de ceux-ci. Par un jugement du 19 décembre 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. La société BNP Paribas Lease Group relève appel de ce jugement en limitant sa demande indemnitaire, dans le dernier état de ses écritures, à la somme de 44 202 euros, somme portant intérêts capitalisés.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Région

Ile-de-France :

Sur les conclusions indemnitaires de la société BNP Paribas Lease Group :

En ce qui concerne le fondement de la demande de la requérante :

2. Par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 2 du jugement attaqué, la société BNP Paribas Lease Group est bien fondée à se prévaloir du contrat conclu par elle avec le lycée en 2012 tel que précisé ci-dessus, et ce nonobstant la circonstance que le lycée aurait de son propre fait conclu divers contrats auprès de plusieurs entités pour les mêmes photocopieurs, dont un lui appartiendrait, et portant en partie sur les mêmes périodes.

En ce qui concerne l'exception tirée de la nullité du contrat opposée par la région Ile-de-France :

3. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat.

4. En l'espèce, d'une part, les seules circonstances que le contrat n° U0127407 en date du 18 juillet 2012 ait été conclu, pendant les vacances scolaires et à la suite d'un démarchage téléphonique, ne sont pas constitutives d'un dol, contrairement à ce que soutient la région. D'autre part, si les dispositions du code de l'éducation imposaient l'accord du conseil d'administration du lycée pour la passation de ce contrat, il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier n'aurait pas donné son accord alors que la société pouvait légitimement supposer que le proviseur pouvait engager juridiquement le lycée. Enfin, la circonstance que le contrat aurait dû être soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence n'est pas constitutive d'un vice d'une particulière gravité. Dès lors, l'exception tirée de la nullité du contrat opposée par la région Ile de France doit être écartée.

En ce qui concerne l'indemnité de résiliation anticipée :

5. En vertu de l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non-renouvellement qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ou de ce non-renouvellement. Si, dans le cadre d'un litige indemnitaire, l'une des parties ou le juge soulève, avant la clôture de l'instruction, un moyen tiré de l'illicéité de la clause du contrat relative aux modalités d'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée, il appartient à ce dernier de demander au juge, à qui il n'appartient pas de se prononcer d'office sur ce point, la condamnation de la personne publique à l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs.

6. D'une part, il résulte de l'article 8 des conditions générales du contrat en litige qu'en cas de résiliation anticipée pour non-respect de l'un des engagements contractuels, dont notamment le défaut de paiement d'une échéance ou de toute somme due en vertu du contrat, le bailleur a droit à une indemnité, égale à tous les loyers dus et à échoir au jour de la résiliation, majorée de 10 %. Cette indemnité, d'un montant supérieur aux loyers que le lycée aurait dû régler en exécution du contrat si celui-ci n'avait pas été résilié, sans qu'en soient notamment décomptées les charges afférentes à cette exécution, présente un caractère manifestement disproportionné au regard du préjudice causé à la société requérante par ladite résiliation et alors même qu'elle aurait finalement vendu les photocopieurs, objet dudit contrat, pour leur valeur vénale résiduelle à la date de la vente. Par suite, comme l'a jugé à juste titre le tribunal, la société BNP Paribas Lease Group n'est pas fondée à se prévaloir de cette clause, qui présente un caractère illicite, nonobstant les circonstances que le juge du contrat aurait pu moduler l'indemnité de résiliation et que, dans le dernier état de ses écritures, elle renonce à la somme correspondant à la pénalité de 10%, pour réclamer une indemnité au titre de la résiliation anticipée du contrat en litige prononcée le 10 avril 2015.

7. D'autre part, si la requérante s'est exclusivement prévalue, en première instance, de la clause de résiliation prévue par le contrat, dans la présente requête d'appel, elle formule une demande tendant à l'indemnisation des conséquences de la résiliation anticipée du contrat sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs.

8. Toutefois, la société BNP Paribas Lease Group n'est pas fondée à se prévaloir des règles générales d'indemnisation au bénéfice du cocontractant de l'administration qui a subi une résiliation anticipée du contrat par l'administration alors que, comme il a été dit au point 1, c'est la requérante qui a résilié le contrat. Au surplus, la société BNP Paribas Lease Group chiffre son préjudice à la somme de 44 202 euros correspondant aux loyers non versés du fait de la résiliation anticipée du contrat. Or, ce préjudice résulterait, pour la société requérante, des dépenses qu'elle aurait exposées et du gain dont elle aurait été privée, et l'indemnisation du manque à gagner de la société requérante doit être calculée non sur la perte de chiffre d'affaires mais sur la base de la marge nette qu'aurait engendrée la complète exécution des prestations prévues par le marché résilié. Or, d'une part, la société BNP Paribas Lease Group a récupéré le matériel dès le mois d'avril 2015 et l'a vendu en août 2015 pour le prix allégué de 186 euros, sans en justifier par la production des factures et, d'autre part, la société ne justifie pas du coût d'acquisition du matériel loué. La région Ile de France est donc fondée à soutenir qu'en tout état de cause, la requérante ne justifie pas d'un préjudice indemnisable.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société BNP Paribas Lease Group n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur la demande de modulation de l'indemnité de résiliation formulée par la Région Ile de France:

10. En l'absence de toute condamnation des défendeurs au titre d'une indemnité pour la résiliation anticipée du contrat litigieux, les conclusions de la Région Ile-de-France, formulées à titre subsidiaire, tendant à la modulation du montant de cette indemnité sont sans objet et doivent être rejetées.

Sur les conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative:

11. D'une part, les dispositions susvisées font obstacle à ce que la Région

Ile-de-France et le lycée professionnel régional Jacques Prévert, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, versent une somme à la société BNP Paribas Lease Group. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Région Ile-de-France et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société BNP Paribas Lease Group est rejetée.

Article 2 : Les conclusions subsidiaires de la Région Ile-de-France tendant à la modulation de l'indemnité de résiliation sont rejetées.

Article 3 : La société BNP Paribas Lease Group versera une somme de 1500 euros à la

Région Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4: Le présent arrêt sera notifié à société BNP Paribas Lease Group, à la Région

Ile-de-France et au lycée professionnel régional Jacques Prévert de Combs-la-Ville.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 avril 2022.

Le rapporteur,

D. PAGES

Le président,

T. CELERIER

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA00652


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00652
Date de la décision : 19/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : NEUER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-19;20pa00652 ?
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