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17/12/2021 | FRANCE | N°19PA03448

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 17 décembre 2021, 19PA03448


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lab'eau a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler le marché conclu entre la Nouvelle-Calédonie et la société Calédonienne des Eaux en vue de la réalisation de prestations d'analyse des eaux destinées à la consommation humaine.

Par un jugement n° 1800316 du 29 juillet 2019, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a annulé en intégralité ce marché, et décidé que son jugement prendrait effet le 29 novembre 2019.

Procédure devant la

cour :

Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2019, et par un mémoire complémentaire, enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lab'eau a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler le marché conclu entre la Nouvelle-Calédonie et la société Calédonienne des Eaux en vue de la réalisation de prestations d'analyse des eaux destinées à la consommation humaine.

Par un jugement n° 1800316 du 29 juillet 2019, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a annulé en intégralité ce marché, et décidé que son jugement prendrait effet le 29 novembre 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2019, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 28 novembre 2019, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par la SCP Meier-Bourdeau Le´cuyer et associe´s, avocat aux Conseils, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du

29 juillet 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Lab'eau devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

3°) de mettre à la charge de la société Lab'eau une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a irrégulièrement soulevé d'office les moyens tirés d'un détournement de pouvoir et d'un manquement du gouvernement à son devoir d'impartialité, qui ne sont pas d'ordre public, sans avoir mis en œuvre la procédure de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

- c'est à tort qu'il s'est fondé sur ces moyens ;

- les vices ainsi retenus par le tribunal administratif étaient susceptibles de régularisation ;

- ils ne pouvaient justifier l'annulation du contrat qui porte une atteinte excessive à l'intérêt général.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2020, la société Lab'eau, représentée par Me Plaisant, demande à la Cour :

1°) de constater un non-lieu à statuer sur la requête de la Nouvelle-Calédonie ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête de la Nouvelle-Calédonie ;

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie une somme de 450 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Nouvelle-Calédonie n'ayant pas lancé de nouvel appel d'offres, et sa requête présentant un caractère dilatoire, il y a lieu pour la Cour de constater un non-lieu à statuer sur cette requête, et de rejeter les conclusions de la Nouvelle-Calédonie ;

- les moyens soulevés par la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la société Calédonienne des Eaux qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 27 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au

22 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La Nouvelle-Calédonie a, le 2 mai 2016, conclu avec la société Calédonienne des Eaux un marché public en vue de la réalisation de prestations d'analyse des eaux destinées à la consommation humaine. Ce contrat a toutefois été résilié à la demande de la société Lab'eau, concurrente évincée, par un jugement n°1600168 du Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie du 16 février 2017, au motif notamment que la société Calédonienne des Eaux ne satisfaisait pas à l'obligation de séparation des activités de distributeur d'eau et de contrôleur de la qualité des eaux résultant de l'article 6 du règlement particulier d'appel d'offres. La Nouvelle-Calédonie a supprimé cette obligation dans le règlement particulier d'appel d'offres qu'elle a adopté avant de lancer une nouvelle procédure d'appel d'offres, à l'issue de laquelle elle a une nouvelle fois confié le marché de réalisation de prestations d'analyse des eaux à la société Calédonienne des Eaux.

2. Par son jugement du 29 juillet 2019, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, à la demande de la société Lab'eau, annulé, avec effet au 29 novembre 2019, le nouveau marché en vue de la réalisation de prestations d'analyse des eaux destinées à la consommation humaine, attribué le 31 mai 2018 par la Nouvelle-Calédonie à la société Calédonienne des Eaux. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie fait appel de ce jugement.

Sur les conclusions de la société Lab'eau tendant au non-lieu à statuer :

3. La circonstance que la Nouvelle-Calédonie n'aurait pas lancé de nouvel appel d'offres à la suite du jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du

29 juillet 2019, et le caractère " dilatoire ", selon la société Lab'eau, de sa requête, ne sauraient priver cette requête de son objet. Les conclusions de la société Lab'eau tendant au non-lieu à statuer, ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

5. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. Il ressort du jugement attaqué que, pour annuler le nouveau marché conclu entre la Nouvelle-Calédonie et la société Calédonienne des Eaux, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie s'est fondé sur la suppression, dans ce marché, de l'obligation de séparation des activités de distributeur d'eau et de contrôleur de la qualité des eaux, et a estimé que cette suppression ne poursuivait aucune finalité d'intérêt général et n'avait d'autre but que de faire échec à la chose jugée par son précédent jugement du 16 février 2017. S'il a considéré que cette suppression était " révélatrice d'un détournement de pouvoir ", il a estimé qu'elle " était également de nature à faire douter dès l'origine de l'impartialité de la Nouvelle-Calédonie, qui pouvait sembler avoir d'ores et déjà choisi le candidat qu'elle entendait retenir au stade même de la rédaction du règlement particulier d'appel d'offres ", et que cette atteinte grave à l'obligation d'impartialité, qui était en rapport direct avec l'éviction de la société Lab'eau, avait totalement vicié la procédure d'attribution, et ne pouvait conduire qu'à une annulation totale du marché, avec un effet différé de quatre mois, compte tenu de considérations d'intérêt général.

7. En contestant en page 14 de son mémoire enregistré devant le Tribunal administratif le 25 janvier 2019 " un biais en faveur de la société CDE " à la suite du jugement de ce tribunal du 16 février 2017, et en page 12 de son mémoire enregistré le 28 mai 2019 la " partialité constatée", la société Lab'eau a, contrairement à ce que soutient la Nouvelle-Calédonie, soulevé le moyen tiré d'un manquement à l'obligation d'impartialité sur lequel le tribunal s'est fondé.

Sur le bienfondé du jugement attaqué :

8. En premier lieu, la Nouvelle-Calédonie ne saurait utilement contester l'existence d'un détournement de pouvoir, le Tribunal administratif s'étant fondé, non sur un tel vice qu'il n'a relevé qu'à titre surabondant, mais sur un manquement à l'obligation d'impartialité en rapport direct avec l'éviction de la société Lab'eau.

9. En deuxième lieu, la Nouvelle-Calédonie fait valoir que l'obligation de séparation des activités de distributeur d'eau et de contrôleur de la qualité des eaux, résultant de l'article 6 du règlement particulier de son premier appel d'offres, n'interdisait pas à la société Calédonienne des Eaux de se porter candidate, mais lui faisait seulement interdiction d'exécuter le marché dans les communes où elle était déjà` prestataire de la commune pour effectuer les autocontrôles du réseau d'eau potable de cette commune, et dans celles où elle exerçait une activité´ de distribution d'eau en qualité´ de concessionnaire, et soutient, sans d'ailleurs l'établir, que la clause de l'article 6 de ce règlement était inutile, le prestataire en situation d'autocontrôle ne pouvant connaitre la provenance des échantillons analysés. Ces circonstances sont en tout état de cause sans rapport avec le doute sur l'impartialité de la procédure que pouvait légitimement faire naitre la suppression de cette clause à la suite de l'annulation du précédent marché par le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 16 février 2017, mentionné ci-dessus, au motif, notamment, que la société Calédonienne des Eaux n'y satisfaisait pas.

10. En troisième lieu, le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 16 février 2017, ayant décidé de résilier le précédent marché conclu par la Nouvelle-Calédonie avec la société Calédonienne des Eaux au motif, notamment, que cette société ne satisfaisait pas à l'obligation de séparation des activités de distributeur d'eau et de contrôleur de la qualité des eaux résultant de l'article 6 du règlement particulier d'appel d'offres, la suppression de cette obligation dans le règlement particulier du nouvel appel d'offres doit, contrairement à ce que soutient la Nouvelle-Calédonie, être regardée comme en rapport direct avec l'éviction de la société Lab'eau à l'issue de ce nouvel appel d'offres.

11. En quatrième lieu, eu égard à sa nature, la méconnaissance du principe d'impartialité relevée ci-dessus était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure, notamment, contrairement à ce que soutient la Nouvelle-Calédonie, de toute mesure de régularisation et de toute résiliation du marché.

12. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ressort du jugement attaqué que le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n'a prononcé l'annulation du marché qu'avec un effet différé de quatre mois, au motif que le marché en litige vise à assurer la qualité des eaux consommées par la population. Si la Nouvelle-Calédonie soutient devant la Cour que cette annulation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, elle ne fait état d'aucune autre considération d'intérêt général et n'assortit sa contestation d'aucune précision de nature à démontrer que ce délai n'était pas suffisant.

13. Il résulte de ce qui précède que la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 29 juillet 2019, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé le marché en litige.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Lab'eau qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la Nouvelle-Calédonie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie une somme de

180 000 francs CFP au titre des frais exposés par la société Lab'eau et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est rejetée.

Article 2 : La Nouvelle-Calédonie versera à la société Lab'eau une somme de 180 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Nouvelle-Calédonie, à la société Lab'eau et à la société Calédonienne des Eaux.

Copie en sera adressée pour information au ministre des Outre-mer ainsi qu'au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2021.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

T. CELERIER

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 19PA03448


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03448
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : SCP MEIER-BOURDEAU LECUYER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-17;19pa03448 ?
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