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19/10/2021 | FRANCE | N°20PA03559

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 19 octobre 2021, 20PA03559


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande du 1er octobre 2017 tendant à ce que soit attribuée la mention " Mort pour la France " à son père, feu M. D... B..., d'annuler la décision implicite de la ministre des armées de refuser de lui verser le solde de la prime de captivité ainsi que la prime de démobilisation qui étaient dus à son père et de lui enjoindre le versement de cette somme, assortie des

intérêts au taux légal, ainsi que de désigner un expert avec pour mission de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande du 1er octobre 2017 tendant à ce que soit attribuée la mention " Mort pour la France " à son père, feu M. D... B..., d'annuler la décision implicite de la ministre des armées de refuser de lui verser le solde de la prime de captivité ainsi que la prime de démobilisation qui étaient dus à son père et de lui enjoindre le versement de cette somme, assortie des intérêts au taux légal, ainsi que de désigner un expert avec pour mission de chiffrer le montant des sommes qui lui sont dues et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803260 du 25 septembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 novembre 2020 et 6 juillet 2021,

M. B..., représenté par M. C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 25 septembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de refus par la ministre des armées de lui verser le solde de la prime de captivité ainsi que la prime de démobilisation dus à son père ;

3°) d'ordonner une expertise destinée à chiffrer son préjudice financier ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a, à tort, jugé que le délai de prescription de la créance avait pu courir alors que sa famille avait eu des informations imprécises et parfois erronées sur ce qu'il était advenu de son père et ignorait donc son statut juridique ;

- les ayants droit de M. B... ont été abusés par une volonté délibérée de l'Etat de dissimuler la tuerie des tirailleurs sénégalais ;

- le jugement est entaché de contradiction en ce qu'il retient, d'une part, que la circulaire du 4 décembre 1944 indique que le contingent, ayant quitté Morlaix le

5 novembre 1944 aurait reçu l'intégralité de ses soldes de captivité et, d'autre part que les violences dans le camps de Tharoye le 1er décembre résultaient d'un défaut de paiement par l'Etat de certaines sommes dues aux tirailleurs sénégalais ;

- la veuve de M. B... n'a pas perçu non plus le pécule auquel elle avait droit en tant qu'ayant droit d'un prisonnier de guerre décédé avant le 3 décembre 1951.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2021, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), représenté par la SCP Marlange-de La Burgade, demande à la Cour :

1°) A titre principal de le mettre hors de cause ;

2°) A titre subsidiaire de rejeter la requête ;

3°) En tout état de cause de mettre à la charge de M. B... une somme de

3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il doit être mis hors de cause dès lors que les conditions de paiement de soldes et primes aux personnels militaires sont régies exclusivement par les dispositions du code de la défense et du code du service national et relèvent dès lors de la seule compétence du ministère des armées ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été reportée au

23 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 29 janvier 1831 modifiée par le décret du 30 octobre 1935 et la loi du

31 décembre 1945 ;

- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Labetoulle,

- et les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Né en 1913 à Diakhao (Sénégal). M. D... B..., père du requérant, a incorporé le 6ème régiment d'artillerie coloniale (RAC) en 1933 comme appelé pour une durée de trois ans. Il a rejoint de nouveau le 6ème RAC le 3 septembre 1939 conformément à l'ordre de mobilisation générale. Il a servi en France au cours de la seconde guerre mondiale, a été fait prisonnier de guerre et a été retenu captif au Frontstalag de Rennes jusqu'à la Libération. Embarqué à Morlaix avec plusieurs centaines d'autres tirailleurs sénégalais, il a débarqué à Dakar. Il a alors séjourné au camp de Thiaroye, qui accueillait ces tirailleurs dans l'attente de leur démobilisation. Il est constant qu'il est décédé le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye, dans le cadre de violences opposant l'armée française à ces tirailleurs sénégalais. Par un courrier en date du 1er octobre 2017, réceptionné le 25 octobre suivant, son fils, M. A... B... a demandé à la ministre de armées de faire procéder, d'une part, à l'attribution à son père décédé de la mention " Mort pour la France ", d'autre part, au versement de certaines sommes dues à son père et qui ne lui avaient pas été versées, consistant en un reliquat de solde de captivité et en primes de démobilisation. Des décisions implicites de rejet sont nées du silence gardé par la ministre sur ces demandes. M. A... B... a dès lors saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions et à ce qu'il soit enjoint à la ministre des armées de procéder au versement à lui-même, en qualité d'ayant-droit de son père, des sommes dues, telles que fixées par expert judiciaire. Toutefois, par jugement du 25 septembre 2020, le tribunal administratif a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaitre des conclusions tendant à l'attribution à son père de la mention " Mort pour la France " et il a par ailleurs rejeté le surplus des conclusions pour prescription. Par la présente requête M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet par la ministre des armées de sa demande de versement du solde de la prime de captivité et de la prime de démobilisation de son père, ainsi que les conclusions à fins d'injonction de paiement de ces sommes et de désignation d'un expert.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1968 visée ci-dessus : " Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date. / Les causes d'interruption et de suspension prévues aux articles 2 et 3, survenues avant cette date, produisent effet à l'égard de ces mêmes créances. ". Aux termes de l'article 148 de la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 portant fixation du budget général (services civils) pour l'exercice 1946, qui abroge et remplace l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 : " Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics, sans préjudice des déchéances prononcées par des lois antérieures ou consenties par des marchés et conventions, toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés en Europe et de cinq années pour les créanciers domiciliés hors du territoire européen. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que l'avis de décès de M. D... B..., père du requérant, mentionnant que ce décès était survenu à Thiaroye le 1er décembre 1944, a été notifié au maire de la commune de Fatick, le 13 juin 1953, et remis le 8 août 1953 à l'épouse de M. D... B.... Dès lors, quelles qu'aient été les erreurs ou incertitudes ayant existé, jusqu'à cette date et au-delà, quant aux conditions du décès de M. B..., au lieu et aux modalités de son inhumation, ou plus généralement aux évènements tragiques qui se sont déroulés au camp de Thiaroye le 1er décembre 1944, sa veuve et ses enfants ne pouvaient, à compter au plus tard de cette année 1953, ignorer qu'ils avaient la qualité d'ayant-droits de leur père et époux et qu'ils devenaient en cette qualité créanciers de toutes sommes dues par l'Etat au défunt et non encore versées. Par ailleurs, il ne résulte pas des pièces du dossier que les erreurs et inexactitudes dans l'information donnée sur les évènements tragiques du 1er décembre 1944, pour regrettables qu'elles soient, auraient été constitutives de manœuvres destinées à induire en erreur l'appelant et sa famille sur leurs droits, de telle sorte que ces tentatives auraient pu avoir pour effet de faire obstacle à l'écoulement du délai de prescription. Ainsi, notamment, la circulaire du 4 décembre 1944, dont fait état le requérant, n'a pu, avant l'expiration du délai de prescription, les induire en erreur sur le non-versement du solde de captivité alors que le requérant indique lui-même devant le tribunal, dans son mémoire enregistré le 20 mars 2019, que " la circulaire du 4 décembre 1944 (qu'il) ne pouvait connaitre (...) a été retrouvée grâce à l'intervention du ministre Le Drian en 2013 ". En tout état de cause, il résulte des propres écritures du requérant que son action a pour objet le versement non seulement de la prime de captivité mais aussi de la prime de démobilisation. Ainsi, le délai de prescription de la créance des ayants-droits de M. D... B... vis-à-vis de l'Etat, qui, en application des dispositions de l'article 148 de la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945, seule applicable aux termes de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1968, était d'une durée de cinq ans dès lors qu'ils résidaient hors d'Europe, avait commencé à courir en 1953. Par suite, c'est à juste titre, et sans par ailleurs aucune contradiction, que le tribunal administratif a jugé que la créance était prescrite lors de leur demande au ministre des armées.

4. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de statuer sur la demande de mise hors de cause de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à la ministre des armées et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2021.

La rapporteure,

M-I. LABETOULLELe président,

T. CELERIER

La greffière,

K. PETIT

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20PA03559


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03559
Date de la décision : 19/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : BANBANASTE HERVÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-10-19;20pa03559 ?
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