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25/04/2017 | FRANCE | N°16PA03427

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 25 avril 2017, 16PA03427


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...C...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 3 décembre 2015 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a ordonné qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 10 rue Pierre Méchain à Lieusaint 77127.

Par un jugement du 22 avril 2016, le Tribunal administratif, avant de statuer sur la requête de M. F...C..., a sursis à statuer sur cette requête afin de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administra

tive, le dossier de l'affaire et lui soumettre les questions suivantes :

1°) L'ex...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...C...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 3 décembre 2015 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a ordonné qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 10 rue Pierre Méchain à Lieusaint 77127.

Par un jugement du 22 avril 2016, le Tribunal administratif, avant de statuer sur la requête de M. F...C..., a sursis à statuer sur cette requête afin de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, le dossier de l'affaire et lui soumettre les questions suivantes :

1°) L'existence reconnue par le Conseil Constitutionnel dans sa décision
2016-536 QPC du 19 février 2016 de l'exercice d'un recours effectif par le biais d'une action indemnitaire a posteriori est-elle exclusive d'une action en excès de pouvoir dirigée contre l'ordre de perquisition édicté par le préfet '

2°) En cas de responsabilité pour faute, dans quelle mesure le juge administratif doit-il prendre en compte les moyens tirés de l'illégalité de l'ordre de perquisition pour apprécier l'existence d'une responsabilité de l'administration ' Y a-t-il lieu de distinguer entre les vices propres de cet ordre de perquisition et son bien-fondé '
3°) Dans quelle mesure le juge administratif, s'il demeure compétent, doit-il tenir compte des résultats de la perquisition et des renseignements recueillis sur la personne visée pour déterminer le régime de responsabilité applicable et l'étendue de la responsabilité de l'administration '

Le Conseil d'Etat a statué sur ces questions par un avis n° 399135 du 6 juillet 2016.

Par un jugement n° 1600678 du 23 septembre 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement le 25 novembre 2016,
le 3 mars 2017 et le 31 mars 2017, M.C..., représenté par Me Gafsia, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1600678 du
23 septembre 2016 ;

2°) d'annuler la décision du préfet de Seine-et-Marne du 3 décembre 2015 ordonnant qu'il soit procédé à la perquisition de son domicile ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, une indemnité de 500 000 euros en réparation du préjudice moral subi par lui et sa famille du fait de cette décision de perquisition, des conditions de son déroulement et de l'illégalité de la saisie des données informatiques et, à titre subsidiaire, 400 000 euros pour ces mêmes préjudices en l'absence de faute de l'Etat ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'ordre de perquisition attaqué est insuffisamment motivé en fait, dans la mesure où le préfet se borne à indiquer qu'il serait proche d'individus se livrant en région parisienne au trafic de faux documents et au recrutement de volontaires pour l'Iraq, sans donner de précisions sur cette proximité et n'indique pas le genre de relation qu'il aurait eu avec des djihadistes, ni le nom des associations qui prôneraient le communautarisme et le radicalisme religieux ;
- la commission nationale informatique et libertés (CNIL) a précisé le 25 février 2016 qu'il n'est pas enregistré par la gendarmerie nationale dans le fichier TAJ et le 10 mars 2016 qu'aucune donnée le concernant n'est détenue par les services de renseignement territorial ;
- le préfet a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet ne produit aucun élément factuel permettant de penser qu'il existerait des raisons sérieuses de penser qu'il représenterait une menace pour la sécurité publique ;
- les 29 attestations de témoins qu'il produit démontrent qu'il pratique pacifiquement sa religion musulmane et est tolérant et respectueux des croyances des autres ;
- son épouse ne porte pas le voile ;
- il est diplômé d'une école d'ingénieur en aéronautique et a une activité professionnelle stable ;
- il élève ses deux petites jumelles en bon père de famille ;

- il est généreux, soucieux du bien-être d'autrui, et effectue régulièrement des dons à diverses associations caritatives venant en aide aux populations indigentes, tel que Médecins du monde, en étant membre actif de l'association Espérance qui distribue des plats chauds ;
- s'il lui est arrivé de croiser les frères Arnaudet et SofianeE..., de manière occasionnelle, parce qu'ils résidaient dans le quartier où était situé son domicile à Mitry-Mory et fréquentait la même mosquée, et de jouer au football avec les frères Arnaudet et d'être allé au restaurant avec eux, cela n'implique pas une proximité idéologique avec eux ;
- il ne partageait pas leurs convictions politiques et religieuses et s'opposait à leurs positions politiques ;
- le seul fait de fréquenter de manière ponctuelle certaines personnes sans connaître leurs intentions est insuffisant pour déterminer la dangerosité d'un individu ;
- l'association Barakacity n'est pas considérée comme dangereuse puisque le ministère de l'intérieur ne l'a pas dissoute et son site internet demeure en libre accès ;
- il conteste avoir fréquenté l'association Reconnaissance et ne connaît pas le Cheikh Ayoub ;
- l'ordre de perquisition ayant été exécuté dans des conditions particulièrement violentes et traumatisantes pour les enfants, attentatoire à sa dignité et aux exigences de respect de la vie privée et familiale, l'administration a violé l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ces conditions d'exécution constituent un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ses enfants ont été traumatisés par cette perquisition, notamment sa fille X... alors âgée de 12 mois ;
- cette ingérence dans leur vie privée est dépourvue de base légale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ;
- les autorités de l'enquête n'ont pas reçu l'aval d'un juge avant de prendre cette décision de perquisition et de l'exécuter ;
- ils ont été privés de la protection contre l'arbitraire ;
- ses demandes indemnitaires sont recevables ;
- sa famille sont les tiers auxquels le Conseil d'Etat fait référence dans son avis ;
- la perquisition et les conditions violentes de son exécution étant illégales, l'administration a commis une double faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les conditions de son exécution sont similaires aux faits décrits par la Cour européenne des droits de l'homme dans sa décision du 16 février 2016 condamnant la Bulgarie ;
- l'exécution de cette perquisition a entrainé un traumatisme et donc un préjudice moral conséquent pour lui, son épouse et ses filles en bas âge ;
- ses effets personnels ont été malmenés et la porte d'entrée a été dégradée ;
- aucun juge n'ayant donné l'autorisation de procéder à la saisie de ses données personnelles informatiques, elles sont illégales et fautives ;
- il est dès lors fondé à obtenir réparation du préjudice moral subi à raison de cette atteinte à sa vie privée et familiale.

Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête, au motif qu'aucun des moyens soulevés par M. C...n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. V, président de chambre,
- les conclusions de Mme W, rapporteur public,
- et les observations de Me Gafsia, avocat de M.C....

1. Considérant que M. C...relève appel du jugement du 23 septembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision
du 3 décembre 2015 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a ordonné qu'il soit procédé à la perquisition de son logement situé 10 rue Pierre Méchain à Lieusaint 77127, et à la réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de cette décision et des conditions dans lesquelles la perquisition s'est déroulée ;

Sur la légalité de la décision de perquisition attaquée :

2. Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République " soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique " ; que selon l'article 2 de la même loi, l'état d'urgence est déclaré par décret en conseil des ministres ; que sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi ; que l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l'intérieur et aux préfets le pouvoir d'ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit ; que dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause peuvent être ordonnées " en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (...) Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République (...) " ; que ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l'intérieur et les préfets, lorsque le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence l'a expressément prévu, à ordonner des perquisitions qui, visant à préserver l'ordre public et à prévenir des infractions, relèvent de la police administrative, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge administratif ;

3. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain ; qu'il a été prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi du 3 avril 1955 : " Outre les mesures prévues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955 susvisée, sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain et de la Corse, les mesures mentionnées aux articles 6, 8, et au 1° de l'article 11. " ;

4. Considérant, en premier lieu, que les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui constituent des mesures de police ; que comme telles, et ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC
du 19 février 2016, elles doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du
11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; que la motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que dès lors que la perquisition est effectuée dans un cadre de police administrative, il n'est pas nécessaire que la motivation de la décision qui l'ordonne fasse état d'indices d'infraction pénale ; que le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que si les dispositions de
l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une motivation même succincte ; qu'outre l'énoncé de ses motifs, la décision qui ordonne une perquisition doit, en vertu des dispositions expresses de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, porter mention du lieu et du moment de la perquisition ; que l'indication du lieu a pour objet de circonscrire les locaux devant être perquisitionnés de façon à permettre de les identifier de façon raisonnable ; que le moment indiqué dans la décision est celui à compter duquel la perquisition peut être mise à exécution, en fonction des contraintes opérationnelles ; que si la loi prévoit que doit être indiqué le moment de la perquisition, elle n'impose pas que la décision, par une motivation spéciale, fasse apparaître les raisons qui ont conduit à retenir ce moment ;

5. Considérant que la décision attaquée vise les dispositions légales applicables et les circonstances de fait ayant conduit le préfet de la Seine-et-Marne à ordonner une perquisition ; que si le préfet ne précise pas en détail la nature de la proximité relevée entre M. C...et des associations qui prôneraient le communautarisme et le radicalisme religieux, ainsi que des individus se livrant en région parisienne au trafic de faux documents et au recrutement de volontaires pour l'Iraq, ceci n'est pas de nature à entacher cette décision d'une insuffisance de motivation ;

6. Considérant, en second lieu, que l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public ; qu'il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition, afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC
du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard ;

7. Considérant, en l'espèce, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des éléments précis et circonstanciés contenus dans une note blanche établie par les services de renseignement, figurant dans le dossier de première instance, que M.C..., converti à l'islam, a participé à la création d'une association et s'est investi dans la création d'une école coranique en octobre 2015 présentée comme ayant reçu l'assentiment du Sheik Mohamed Ayoub, connu pour avoir combattu en Afghanistan dans les années 1980, et identifié depuis 2013 comme appartenant à l'entourage de jihadistes ou de personnes évoluant dans le milieu associatif prônant le radicalisme religieux ; que si M. C...affirme, témoignages à l'appui, qu'il serait respectueux des croyances d'autrui et généreux au sein d'associations caritatives, menant par ailleurs une activité professionnelle et une vie familiale stables, et qu'il ne connaît pas le Sheik Ayoub, il ne conteste pas avoir été aperçu,
fut-ce épisodiquement, en compagnie d'individus proches de l'association pro-jihadiste Baraka City, du jihadiste M. D...E..., membre d'un groupe de militants islamistes proche de la mouvance pro-palestinienne, qui a rallié la zone de combat syrienne en juin 2013 et est décédé sur place en novembre 2013, des frères Arnaudet et de M. A...B..., qui ont rejoint les zones de combat syriennes en 2014, et de M. Hadj Fares, président de l'association socioculturelle des musulmans de Mitry-Mory, qui gère la mosquée qu'ont fréquentée les frères Arnaudet et M. D...E... ; que la circonstance qu'il n'est pas mentionné par le fichier de " Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) ", et que la perquisition litigieuse aurait révélé l'absence d'armes ou d'objets liés à des activités à caractère terroriste à son domicile, est sans incidence sur la légalité de cette mesure qui a une finalité préventive ; que, dans ces conditions, à la date à laquelle la mesure de perquisition litigieuse a été prise, et compte tenu des informations précitées dont disposaient alors les autorités de police, le préfet de Seine-et-Marne a pu, sans méconnaitre la matérialité des faits ou commettre des erreurs d'appréciation, estimer que M. C...constituait une menace pour la sécurité et l'ordre public justifiant une perquisition de son domicile, ladite mesure étant adaptée, nécessaire et proportionnée ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne la faute alléguée résultant de la décision de perquisition :

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'illégalité affectant la décision ordonnant la perquisition litigieuse, l'Etat n'a pas commis une faute à ce titre susceptible d'engager sa responsabilité ;

En ce qui concerne les fautes imputables au déroulement de la perquisition :

9. Considérant que les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions ; qu'ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, les conditions de mise en oeuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; qu'en particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour ; que sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité ; que lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents ; que l'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes ; que lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l'opération ; qu'aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition ; que toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute ;

10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 15 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales intitulé " Dérogation en cas d'état d'urgence " : " 1. En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international. 2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation à l'article 2, sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7. 3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d'être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application " ; que, sur le fondement des ces stipulations, le Gouvernement français a, par une déclaration consignée dans une note verbale de la Représentation Permanente de la France, datée du 24 novembre 2015, enregistrée le 24 novembre 2015, informé le secrétaire général du Conseil de l'Europe des mesures prises au titre de l'état d'urgence et des motifs qui les ont inspirées ; que ce dernier en a pris acte ; que, par suite, M. C...ne peut utilement se prévaloir des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au soutien de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat ;

11. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du
procès-verbal et du compte-rendu de l'opération de perquisition réalisée au domicile de
M.C..., le 3 décembre 2015, que les autorités de police n'y ont pénétré par la force que parce que MmeC..., seule présente sur les lieux avec ses enfants, n'a pas répondu aux premières injonctions d'entrée ; que si elle a été immobilisée le temps pour les agents de vérifier l'absence de toute autre personne dans le logement, il n'est aucunement établi qu'elle aurait été plaquée au sol devant ses enfants ; qu'il est par ailleurs constant qu'une fois ces vérifications faites, Mme C...a pu être isolée dans une pièce avec ses jeunes enfants et s'occuper d'elles pendant toute la durée de la perquisition ; que dans la mesure où les enfants n'ont pas été séparées de leur mère et n'ont pas été directement affectées par l'intervention, il n'a pas été porté atteinte à leur intérêt supérieur au sens des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; que, par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables du déroulement de la perquisition ne peuvent qu'être rejetées ;

En ce qui concerne les conséquences de la saisie des données informatiques :

12. Considérant que par une décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permettant à l'autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d'accéder au cours de la perquisition au motif que le législateur n'a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée en l'absence de saisie ou d'exploitation des données ainsi collectées autorisées par un juge, y compris lorsque l'occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s'y oppose et alors même qu'aucune infraction n'est constatée ; qu'il a par ailleurs considéré que cette déclaration d'inconstitutionnalité pouvait être invoquée dans toutes les instances introduites à la date de sa publication soit le 19 février 2016 et non jugées définitivement ;

13. Considérant qu'il résulte de cette décision du Conseil constitutionnel, qu'à la date à laquelle est intervenue la perquisition litigieuse, la saisie des données informatiques appartenant à M. C...était dépourvue de base légale et par suite irrégulière ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral en découlant en condamnant l'Etat à verser une indemnité de
2 000 euros à ce titre ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de réformer dans cette mesure le jugement attaqué du Tribunal administratif de Melun du 23 septembre 2016 ; que s'agissant du surplus de ses conclusions, M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser une indemnité de 2 000 euros à M. C...en réparation des conséquences de la saisie illégale de ses données informatiques.
Article 2 : Le jugement attaqué du Tribunal administratif de Melun du 23 septembre 2016 est réformé dans cette mesure.

Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2017, à laquelle siégeaient :

- M. V, président de chambre,
- Mme X, président assesseur,
- Mme Y, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 avril 2017.

Le président rapporteur,
V Le président assesseur,
X
Le greffier,
ZLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA03427


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03427
Date de la décision : 25/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. V
Rapporteur ?: M. V
Rapporteur public ?: Mme D
Avocat(s) : GAFSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-04-25;16pa03427 ?
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