Vu la requête, enregistrée le 31 décembre 2013, présentée pour la société Triago Europe, dont le siège est au 1 boulevard de la Madeleine à Paris (75001), par MeB... ; la société Triago Europe demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1302634/1-2 du 5 novembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution complète d'un crédit d'impôt recherche constitué au titre de l'année 2011 dont elle s'estime titulaire, pour un montant total de 140 019 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- elle n'a jamais soutenu, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, que la décision de rejet de la réclamation préalable n'était pas motivée mais que cette décision était dépourvue de tout fondement ;
- le directeur régional des finances publiques en se bornant à alléguer, pour rejeter la demande de restitution du crédit d'impôt recherche constitué au titre de l'année 2011, que les travaux correspondants s'inscrivaient dans la continuité des travaux de l'année précédente pour lesquels l'expert de ministère chargé de la recherche a émis un avis défavorable, n'a pas apporté la preuve qui lui incombe de l'inéligibilité des dépenses en cause ;
- en l'absence de rapport d'expertise pour l'année 2011, il appartenait au directeur d'établir par ses propres constatations l'inéligibilité des dépenses de recherche de l'année 2011 au dispositif du crédit d'impôt recherche ;
- le champ des travaux de recherche et de développement en cause se situe prioritairement dans les domaines de l'économie et de la science de gestion lesquels relèvent, selon le Manuel de Frascati, des sciences sociales ;
- pour déterminer l'éligibilité des travaux au dispositif du crédit d'impôt recherche, l'expert du ministère de la recherche s'est placé à tort quasi-exclusivement sur le terrain du développement de logiciels ;
- la société requérante a clairement indiqué devant le tribunal administratif que l'intégralité des publications relatives à l'état de l'art dans le domaine du capital investissement était citée en annexe et qu'elle tenait à la disposition de la juridiction cette documentation sous format papier ;
- les outils développés par la société au moyens de logiciels informatiques tendent à fournir une base de connaissances permettant de répondre à une question de recherche fondamentale qui est celle de savoir comment fluidifier la mise en relation des acteurs du capital investissement dans des processus identifiés bien particuliers ;
- la conception de ce nouveau modèle de données, si elle procède certes de la combinaison de différents outils logiciels, peut s'analyser comme un processus permettant de convertir les connaissances acquises au cours de la recherche en programmes opérationnels au sens du Manuel Frascati ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2014, présenté par le ministre des finances et des comptes publics qui demande à la Cour de rejeter la requête ;
Il soutient que :
- la motivation de la décision du directeur régional des finances publiques rendue au titre de l'année 2011 tient compte des observations formulées par les services du ministère de la recherche au titre de l'année précédente, la notification de cette décision étant en outre accompagnée de l'avis des services dudit ministère ;
- le moyen tiré de l'irrespect des règles qui gouvernent la charge de la preuve n'est pas fondé ;
- dès lors que les deux projets concernés qui ont pour objet, pour l'un, une base de données et pour l'autre, une plate forme d'échanges, ont trait à l'exploitation de l'outil informatique, la société requérante ne peut valablement soutenir que l'expert s'est mépris sur l'objet de ces projets ;
- il n'apparait nullement que la présentation formelle des projets motive le sens de l'avis de l'expert, ni que celui-ci se serait mépris sur l'objet des opérations de recherche en cause ;
- dès lors que les projets décrits par la société requérante au titre de l'année 2011 sont identiques à ceux présentés au titre de l'année 2010, les observations de l'expert du ministre chargé de la recherche concernant ces derniers s'avèrent pertinentes au titre de l'année en litige ;
- la société requérante dont les projets ont pour objet d'enrichir l'outil informatique existant afin d'améliorer son exploitation et de procéder à la collecte et au stockage de données existantes ne justifie nullement avoir effectué des opérations de recherche visant à créer de nouveaux produits d'investissement ou à élaborer de nouvelles méthodes de leur gestion ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 janvier 2015, présenté pour la société
Triago Europe qui confirme ses précédents moyens et conclusions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 mars 2015 :
- le rapport de Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Triago Europe ;
1. Considérant que la société Triago Europe, qui exerce une activité de conseil dans la levée de fonds en capital-investissement et le reclassement de parts de fonds, relève appel du jugement n° 1302634/1-2 du 5 novembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution complète d'un crédit impôt recherche constitué au titre de l'année 2011 dont elle s'estime titulaire, pour un montant total de 140 019 euros ;
Sur les conclusions à fin de restitution :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. Les entreprises industrielles et commerciales (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations (...) / c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel mentionnées à la première phrase du b (...) " ; qu'aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté " ; qu'il incombe au juge de l'impôt, au terme de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, de constater si l'entreprise remplit les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B précité du code général des impôts ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour répondre aux besoins spécifiques du marché du capital investissement, la société requérante a initialement élaboré un logiciel de gestion de la relation client, dénommé " e-Triago ", en lien avec l'outil de messagerie Outlook de Microsoft ; que compte tenu des insuffisances du logiciel " e-Triago ", lequel était essentiellement axé sur les missions de levées de fonds (marché primaire), elle a procédé en 2010 à la conception de deux projets, " structuration de la base NewB " et " structuration d'une base CRM LPs-GPs ", de façon à permettre respectivement le renforcement des fonctions " gestion prospective " et " gestion de projet ", le premier projet concernant une gestion plus efficace de la prospection de clientèle et le second permettant de réaliser le suivi des investisseurs et des investissements potentiels ainsi que de la conformité aux règles et aux usages ; que les travaux que la société Triago Europe a conduits en 2011 ont consisté, pour renforcer les fonctions " gestion de projet " et " gestion prospective ", à mettre en place une nouvelle base de données de gestion de la relation client permettant l'analyse des actions réalisées par les gestionnaires de fonds de capital investissement et de leurs relations avec les investisseurs, non seulement pour les missions de levées de fonds mais également pour celles relatives au marché de gré à gré (marché secondaire) ; que selon les propres termes utilisés par la société Triago Europe pour décrire la restructuration de l'architecture de son système de gestion, notamment dans son rapport relatif à l'éligibilité de ses dépenses de recherche de l'année 2011 au dispositif du crédit d'impôt recherche, ces travaux ont ainsi eu pour objectif de permettre une meilleure utilisation de l'intelligence générée par l'activité de la société en procédant à des explorations de données par la création d'un système d'interface plus simple, constitué d'une base centrale de données, d'un logiciel d'entrée d'informations, de rapports produits facilement grâce à des applications spécifiques, telle " MS Reporting services ", ou des fichiers Excel connectés directement à la base de données ainsi que d'applications complémentaires réalisées avec l'application Access de façon à inciter les utilisateurs à saisir de l'information dans la base de données pour qu'elle bénéficie à l'ensemble de l'organisation et une redéfinition des tables de données afin de permettre la réalisation des futures statistiques ; que, dans ces conditions, les projets conduits par la société Triago Europe au cours de l'année 2011 ont eu pour finalité d'enrichir son outil informatique grâce à la combinaison d'applications déjà existantes afin d'améliorer l'exploitation de cet outil et de procéder à la collecte et au stockage de données ; que les incertitudes identifiées dans le cadre du projet relèvent de problématiques classiques du développement informatique, telles la rapidité et la fluidité de l'usage de l'outil ou encore l'adaptation de celui-ci aux évolutions du marché dans le domaine en cause ; qu'il suit de là que les travaux réalisés par la société requérante en 2011, alors même qu'ils auraient permis d'élaborer une nouvelle base de données avec un degré de précision jamais atteint dans le domaine du capital investissement, procèdent d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et se sont traduits par des améliorations non substantielles de ces techniques ; qu'ils ne peuvent, dès lors, être regardés comme ayant le caractère d'opérations de développement expérimental présentant un caractère de nouveauté au sens de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts ;
4. Considérant que la société requérante soutient par ailleurs que les outils qu'elle a développés tendent à fournir une base de connaissances permettant de répondre à une question de recherche fondamentale dans le domaine des sciences humaines et sociales, qui est celle de savoir comment fluidifier la mise en relation des acteurs du capital investissement dans des processus identifiés bien particuliers ; que, toutefois, en dépit de ce que l'objectif de la société requérante est de parvenir à une modélisation du marché du capital investissement, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux en cause aient conduit à l'élaboration de nouvelles théories dans le domaine du capital investissement, ni qu'ils aient été conduits par des personnels titulaires d'un doctorat ou de doctorants ou encore qu'ils aient débouché sur la publication de résultats de recherche ou des contributions à l'organisation de séminaires scientifiques ou de revues avec comités de rédaction reconnus par des institutions scientifiques comme le CNRS ou des instituts de recherche internationalement réputés, comportant une évaluation par des chercheurs ou des pairs indépendants des projets de publications soumis à un de ces comités; que, dans ces conditions, la société Triago Europe ne peut être regardée comme ayant conduit des travaux de recherche fondamentale ; qu'il ne résulte pas plus de l'instruction que les travaux dont s'agit auraient débouché sur l'étude de nouveaux algorithmes relevant de la recherche appliquée ;
5. Considérant que si le rapport produit devant la Cour de céans par la requérante et réalisé à sa demande mentionne que le projet de la société Triago Europe est novateur en ce qu'il repose sur l'utilisation de l'outil informatique pour modéliser les méthodes et le savoir-faire de ladite société dans le domaine du capital investissement, il indique également que ce projet tend à développer, dans un premier temps, de nouveaux concepts et de nouvelles stratégies et qu'il n'a pas encore débouché sur des applications dans le domaine technique de l'intelligence artificielle ; qu'ainsi les conclusions de ce rapport ne sont pas de nature à infirmer l'appréciation sur l'absence d'éligibilité des travaux en cause au dispositif du crédit d'impôt recherche, telle qu'elle résulte des points 3 et 4 ;
6. Considérant que, comme cela a été dit au point 3, la société Triago Europe a procédé en 2010 à la conception de deux projets, " structuration de la base NewB " et " structuration d'une base CRM LPs-GPs " de façon à permettre respectivement le renforcement des fonctions " gestion prospective " et " gestion de projet " et que les travaux qu'elle a conduits en 2011 ont consisté, pour renforcer ces fonctions, à mettre en place une nouvelle base de données de gestion de la relation client ; que, dans ces conditions, et alors que, contrairement à ce que soutient la société Triago Europe, le service a pu valablement estimer, pour rejeter sa demande tendant à la restitution du crédit d'impôt recherche dont elle s'estime titulaire au titre de l'année 2011, au regard des éléments analysés aux points 3 et 4, que les travaux correspondants s'inscrivaient dans la continuité des travaux de l'année précédente pour lesquels l'expert de ministère chargé de la recherche avait émis un avis défavorable ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Triago Europe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que les conclusions de la requête tendant à l'annulation dudit jugement et à la restitution du crédit d'impôt recherche de l'année 2011 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Triago Europe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Triago Europe et au ministre des finances et des comptes publics. Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris. (Pôle fiscal Paris Centre et services spécialisés).
Délibéré après l'audience du 17 mars 2015 à laquelle siégeaient :
M. Krulic, président,
M. Luben, président assesseur,
Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,
Lu en audience publique le 31 mars 2015.
Le rapporteur,
A. MIELNIK-MEDDAH
Le président,
J. KRULIC
Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13PA04836