Vu la requête, enregistrée le 24 septembre 2010, présentée pour la société SANEF, représentée par son président en exercice et dont le siège social est 30 boulevard Galliéni à
Issy-les-Moulineaux (92130), par Me Martin ; la société SANEF demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0811217/3-1 du 13 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que la société Scetauroute soit condamnée à lui verser, d'une part, la somme de 199 941, 70 euros au titre des mesures de réparation d'urgence des désordres ayant affecté la section d'autoroute A4 Noisy-le-Grand/Meaux et, d'autre part, la somme de 3 750 000 euros au titre de la réparation définitive desdits désordres ;
2°) de condamner la société Egis Route - Scetautoroute, qui vient aux droits de la société Scetautoroute, à verser les sommes de 221 989, 68 euros au titre des mesures de réparation d'urgence, 6 922 919 euros au titre des travaux de reprise, 4 702, 57 euros au titre des frais d'expertise et de 44 504, 40 euros au titre de frais d'investigation, augmentées des intérêts légaux à compter du 20 juin 2008 et capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la société Egis Route - Scetautoroute une somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, et notamment son article 1792 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 mai 2012 :
- le rapport de M. Ladreyt, rapporteur,
- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,
- les observations de Me Radiguet, représentant la société SANEF, puis celles de
Me Barbosa, représentant la société Egis Route - Scetauroute ,
- et connaissance prise des notes en délibéré présentées respectivement les 31 mai, 11, 19 et 22 juin 2012, pour la société SANEF et les 6 juin, 14 et 20 juin 2012 pour la société Egis Route - Scetauroute par lesquelles les parties maintiennent leurs précédentes conclusions en développant les moyens qu'elles ont soulevés antérieurement ;
Considérant que la société SANEF, concessionnaire de l'autoroute A4, a décidé en 1999 d'effectuer des travaux de réparation de la chaussée en béton sur la section Noisy le Grand/ Collégien située à 13 kilomètres de Paris ; qu'à cette fin, elle a confié à la société Scetauroute une mission d'étude et de diagnostic sur l'état de cette chaussée ainsi que la maîtrise d'oeuvre et le suivi des travaux à entreprendre ; que ces travaux, réalisés en deux tranches, ont été réceptionnés les 22 septembre 2000 et 31 août 2001, les réserves émises lors de ces réceptions ayant été levées le 14 février 2002 ; que le 2 avril 2003, ont été constatées des fissures en surface sur le revêtement bitumineux de la section autoroutière ayant fait l'objet de ces travaux ; que la société SANEF a saisi le 5 avril 2005 le Tribunal administratif de Paris, par la voie d'un référé, aux fins de désignation d'un expert qui a déposé son rapport le 31 mai 2006 ; que, parallèlement à cette expertise, la société SANEF a fait réaliser, au cours des mois de mai et juin 2004, des travaux de pontage de la chaussée afin de remédier aux désordres constatés ; que, par une demande enregistrée le 20 juin 2008, la société SANEF a saisi le Tribunal administratif de Paris afin d'obtenir la condamnation de la société Egis Route - Scetauroute, sur le fondement de la garantie décennale, à lui verser une provision d'un montant 3 844 504, 40 euros au titre des réparations à envisager ; que, par une ordonnance du 4 février 2009, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande ; que, toutefois, par une ordonnance du 1er juillet 2010, le président désigné par la Cour administrative d'appel de Paris a annulé cette ordonnance, considérant que la créance de la société SANEF était sérieusement contestable ; que la société SANEF a fait réaliser ultérieurement des travaux de reprise, d'un montant de plus de sept millions d'euros, qui ont été effectués en deux tranches, la première au cours de l'année 2009 dans le sens Paris/Province et la seconde au cours de l'année 2010 dans le sens inverse ; que le Tribunal administratif de Paris, saisi le 20 juin 2008 par la société SANEF aux fins d'obtenir la condamnation de la société Scetauroute au paiement de dommages-intérêts a, par un jugement du 13 juillet 2010, dont la société SANEF relève régulièrement appel, rejeté ces conclusions indemnitaires ;
Sur le bien-fondé du jugement :
Considérant qu'aux termes des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination... " ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des relevés techniques effectués au début de l'année 2004, qu'a été constatée, sur la section autoroutière ayant fait l'objet de la mission d'étude et de maîtrise d'oeuvre confiée à la société Scetauroute, l'existence de plusieurs centaines de fissures longitudinales et d'une vingtaine de trous ; qu'il résulte des conclusions de l'expert spécialisé en construction de génie civil en béton, que ces désordres, qui sont intervenus dans le délai de dix ans à compter de la réception de l'ouvrage, auraient été de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et à le rendre impropre à sa destination si une première série de travaux de pontage n'avait dû être réalisée en urgence à l'initiative du maître de l'ouvrage au cours des mois de mai et juin 2004 et dont l'ampleur ne saurait être regardée comme limitée compte tenu notamment du montant desdits travaux portant sur plusieurs centaines de milliers d'euros ; qu'eu égard aux caractéristiques desdits désordres, c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'ils n'entraient pas dans le champ de la garantie décennale dont est débiteur le maître d'oeuvre ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler pour ce motif le jugement attaqué et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions présentées par la société SANEF ;
Sur la responsabilité du maître d'oeuvre :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du service d'études techniques des routes et autoroutes du 6 juillet 1999, et qu'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté, que la société SANEF était informée, notamment par son maître d'oeuvre, d'un risque de remontée de fissures sur la chaussée autoroutière en cas de recours à la solution de réhabilitation de type 3 (BBTM + 5 à 10 cm BBL + SE) lorsqu'elle a retenu cette dernière ; qu'en effet, c'est en connaissance de cause qu'elle a opté pour cette technique qui, si elle était potentiellement génératrice de fissures, lui permettait de se soustraire au risque d'ornières, plus coûteux, dont était porteuse la solution alternative ; qu'il lui a également été précisé que ce risque était susceptible de se réaliser à compter des années 2005-2006 ; qu'ainsi, l'origine et les conséquences prévisibles des fissurations apparues à compter de 2005 étaient connues du maître d'ouvrage avant même la réception des travaux et ne peuvent engager la responsabilité décennale du maître d'oeuvre ;
Considérant en revanche, que tel n'est pas le cas des désordres constatés dès le mois d'avril 2003, soit avec deux ans d'avance par rapport aux prévisions, qui ont nécessité la réalisation d'une importante campagne de pontage au cours des mois de mai et juin 2004 pour éviter des pénétrations d'eau dans la chaussée compte tenu du nombre très important de fissures constatées dans la chaussée ; que, par suite, la responsabilité de la société Scetauroute, devenue la société Egis Route - Scetautoroute, est engagée sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, à raison de ces seuls désordres apparus prématurément et qui lui sont imputables ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des décomptes produits par la SANEF, que cette dernière a fait procéder, comme il a été dit, à une campagne de pontage des désordres constatés sur la chaussée pour un montant de 221 989, 68 euros ; que l'ensemble de ces travaux de réparation est lié directement aux désordres, imputables au maître d'oeuvre, apparus avant 2005 ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner la société Egis route - Scetauroute à indemniser la société SANEF à due concurrence de ce montant ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que la société SANEF a droit aux intérêts de la somme précitée de 221 989, 68 euros à compter, comme elle le demande, de la date d'enregistrement de sa demande devant le Tribunal administratif de Paris le 20 juin 2008 ; que la capitalisation des intérêts ayant été demandée le 24 septembre 2010, il y a lieu, par application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à sa demande à compter du 24 septembre 2011 ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de condamner la société Egis route - Scetauroute à verser à la société SANEF la somme de 4 702, 57 euros en remboursement des frais d'expertise qui avaient été mis à la charge de cette dernière par le Tribunal administratif de Paris ; que le surplus des conclusions de la requête de la société SANEF tendant au versement des frais d'investigation de la société Vectra, engagés postérieurement à un bon de commande en date du 7 décembre 2005, doit être rejeté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société SANEF est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris n'a pas fait droit à ses conclusions indemnitaires dans la limite de la somme de 221 989, 68 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Egis Route - Scetautoroute une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la société SANEF, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, soit condamnée au titre des dispositions susmentionnées ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2010 est annulé.
Article 2 : La société Egis Route - Scetautoroute est condamnée à verser à la société SANEF une somme de 221 989, 68 euros, augmentée des intérêts courant à compter du 20 juin 2008 et capitalisés à compter du 24 septembre 2011, au titre des travaux de pontage effectués afin de remédier aux désordres sur la chaussée constatés avant le 1er janvier 2005.
Article 3 : Les frais d'expertise d'un montant de 4 702, 57 euros sont mis à la charge de la société Egis Route - Scetautoroute.
Article 4 : La société Egis Route - Scetautoroute versera la somme de 2 000 euros à la société SANEF en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
''
''
''
''
5
N° 10PA03855
2
N° 10PA04798