La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/05/2008 | FRANCE | N°06PA02385

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 21 mai 2008, 06PA02385


Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 2006, présentée pour M. Dominique Y, agissant en son nom et en celui de sa fille mineure Mlle Joy Y, ainsi que pour M. Alexandre Y, agissant en son nom et en celui de sa mère décédée
Mme Diane épouse Y, tous deux demeurant ..., pour Mme Marta VEUVE , demeurant à ..., et pour
Mme Marie-Anne veuve Y, demeurant ..., par la SCP Rappaport-Hocquet-Schor ; les consorts Y- demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0009780/7 en date du 28 avril 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande t

endant à ce que le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme ...

Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 2006, présentée pour M. Dominique Y, agissant en son nom et en celui de sa fille mineure Mlle Joy Y, ainsi que pour M. Alexandre Y, agissant en son nom et en celui de sa mère décédée
Mme Diane épouse Y, tous deux demeurant ..., pour Mme Marta VEUVE , demeurant à ..., et pour
Mme Marie-Anne veuve Y, demeurant ..., par la SCP Rappaport-Hocquet-Schor ; les consorts Y- demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0009780/7 en date du 28 avril 2006 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer soit condamné à verser à Mme Diane épouse Y, une somme de 29 487 000 F, à M. Dominique Y une somme de 10 000 F et à ses enfants Joy et Alexandre une somme de 300 000 F, à Mme une somme de 150 000 F et à Mme une somme de 150 000 F en réparation des préjudices résultant de l'accident subi par Mme le 16 juillet 1995 ;

2°) de condamner le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer à verser à titre de provision la somme de 30 000 euros pour MM. Dominique et Alexandre Y et Mlle Joy Y, la somme de 6 000 euros pour Mme et la somme de 4 000 euros pour Mme ;

3°) de confier, avant dire droit sur le préjudice des requérants, une expertise au Professeur A aux fins d'évaluer le préjudice subi par Mme ;

4°) de mettre à la charge du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de
15 000 euros ;

.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 2008 :

- le rapport de M. Demouveaux, rapporteur,

- les observations de Me Rappaport pour les consorts Y- et celles de Me Thiriez pour le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire,

- les conclusions de M. Jarrige, commissaire du gouvernement,

- et connaissance prise de la note en délibéré présenté le 14 mai 2008 pour les consorts Y- ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 16 juillet 1995,
Mme Diane qui, se trouvant à Saint-Tropez, souhaitait se rendre à la Baule, a emprunté, à l'aérodrome du Luc-le-Cannet, un avion bimoteur Beechcraft B55 Baron, appartenant à l'association Centre Aff'air ; qu'après 2 heures 35 de vol, l'avion, tombé en panne de carburant, s'est écrasé dans un champ près de la ville de Luçon alors qu'il tentait d'effectuer un atterrissage forcé, provoquant ainsi la mort des occupants des deux places avant de l'appareil et causant de très graves blessures à Mme ;

Considérant que l'époux et les enfants de Mme , laquelle est aujourd'hui décédée après avoir été atteinte de tétraplégie du fait de ses blessures, ont recherché devant le Tribunal administratif de Paris la responsabilité des services de l'aviation civile pour avoir, par suite d'une carence dans leur mission de police du transport aérien, laissé l'association Centre Aff'air exercer ses activités dans des conditions illicites et dangereuses ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande au motif qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre les fautes alléguées et l'accident survenu à Mme ;

Sur le lien de causalité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accident en question est dû, d'une part, à l'arrêt des deux moteurs en vol à la suite d'une alimentation insuffisante de l'appareil en carburant et, d'autre part, à la préparation maladroite, tardive et incomplète de l'atterrissage ; qu'il est apparu, lors de l'enquête effectuée après l'accident, d'une part, que l'association Centre Aff'air exerçait l'activité de transport aérien public sans y avoir été régulièrement autorisée dans les conditions prévues par les articles L. 330-1 et R. 330-1 du code de l'aviation civile et, d'autre part, que le pilote ne disposait pas du certificat de transport aérien prévu par l'article R. 330-1-1 du même code ni même d'une licence de pilote valide ;

Considérant, d'une part, que les fautes sus-rappelées commises par les pilotes de l'avion ne font pas obstacle à ce que la victime recherche devant le juge administratif, à raison des mêmes faits, la responsabilité de l'Etat en sa qualité de co-auteur du dommage ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la panne sèche de l'appareil a été notamment causée par la crainte du pilote de se faire contrôler ou, du moins, que son vol ne fût remarqué par les services de l'aviation civile ; que c'est en effet dans un but de discrétion qu'il est parti de l'aérodrome du Luc où n'étaient pas présents des agents de l'administration mais où il ne disposait pas non plus de la possibilité de s'avitailler ; que tant son incompétence que l'état de nervosité dans lequel il se trouvait du fait de cette situation ont contribué à l'échec de sa manoeuvre d'atterrissage ; que cette rencontre de circonstances a été directement causée par la situation d'irrégularité dans laquelle se trouvaient l'avion et l'équipage, alors que le régime d'autorisation et de contrôle institué par le code de l'aviation civile ont justement pour objet d'éviter que les passagers confient leur vie à des pilotes inexpérimentés, opérant
clandestinement ; que les fautes personnelles commises par les membres de l'équipage, quelles que soient leur gravité et leur caractère éventuellement exonératoire, sont dès lors sans incidence sur le lien direct de causalité existant, dans les circonstances de l'espèce, entre la carence alléguée des services de l'Etat dans leur mission de police des transports publics aériens et les faits dommageables survenus à Mme pour avoir utilisé les services d'une compagnie fonctionnant en infraction avec les règles de sécurité applicables à ce mode de transport ; que par suite les consorts Y- sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement susvisé du 28 avril 2006, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande au motif que les fautes alléguées de l'Etat étaient étrangères à l'accident survenu à Mme ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par les consorts Y- devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 330-1 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction alors applicable : « Les personnes physiques françaises et les personnes morales ayant leur siège social en France ne peuvent exercer une activité de transport aérien public, soit sur le territoire national, soit à l'étranger, au moyen d'aéronefs immatriculés en France que si elles y ont été autorisées par l'autorité administrative. / L'autorisation précise la durée pour laquelle elle est accordée, l'objet du transport, les liaisons ou les zones géographiques que l'entreprise peut desservir et le matériel qu'elle peut exploiter. » ; qu'aux termes de l'article R. 330-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : « L'autorisation d'exercer une activité de transport aérien prévue à l'article L. 330-1 est accordée par arrêté du ministre chargé de l'aviation civile, après avis du conseil supérieur de l'aviation marchande portant notamment sur les garanties morales, financières et techniques que présente l'entreprise intéressée et sur l'opportunité de la création d'un service nouveau de transport aérien. / L'arrêté précise l'objet du transport autorisé ainsi que la ou les zones d'activité de l'entreprise. » ; qu'aux termes de l'article R. 330-1-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : « L'exercice de l'activité de transport aérien mentionné à l'article R. 330-1 est subordonné, en ce qui concerne le respect des garanties techniques, à la détention par l'entreprise de transport concernée d'un certificat de transporteur aérien en cours de validité conformément aux dispositions des articles 2 d et 9 du règlement (C.E.E.) n° 2407/92 du 23 juillet 1992. » ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 330-4 du même code : « En cas d'exercice d'une activité de transport aérien par une entreprise non régulièrement autorisée, le ministre chargé de l'aviation civile pourra prononcer, à l'expiration d'un délai de huit jours suivant une mise en demeure notifiée à cette entreprise, la mise sous séquestre des appareils utilisés. » ;

Considérant que si la preuve de l'infraction prévue par les dispositions précitées de l'article L. 330-4 du code de l'aviation civile est généralement difficile à apporter, compte tenu de la nécessité de connaître les conditions de rémunération des vols et d'avoir éventuellement accès aux comptes bancaires des intéressés, cette difficulté n'exonère pas les services de l'Etat de l'obligation qu'ils ont de prendre des mesures appropriées, réglementaires ou d'exécution, pour que les dispositions précitées de l'article L. 330-1 du code de l'aviation civile soient observées et pour que la sécurité des utilisateurs des compagnies de transport aérien soit assurée ;

Considérant qu'en l'espèce, il résulte de l'instruction que l'association Centre aff'air, tout en se présentant comme une « association loi de 1901 », se livrait notoirement, depuis sa création en 1993, à une activité de transport aérien de passagers, laquelle, ainsi qu'il a été dit
ci-dessus, présentait un caractère illicite ; que, notamment, afin de se faire connaître auprès de la clientèle visée, à savoir des chefs d'entreprise souhaitant réaliser un « voyage aller-retour dans la journée sur toutes les destinations de la proche Europe », elle a diffusé à 500 exemplaires une plaquette publicitaire dans laquelle elle déclarait être en mesure d'offrir « les meilleurs tarifs adaptés à votre entreprise » ; que des articles flatteurs lui ont été consacrés dans la presse locale ainsi que dans le bulletin d'information de la chambre de commerce et d'industrie de l'Indre, dans lesquels l'ambiguïté entretenue par l'association sur la nature juridique de ses activités apparaissait clairement à un lecteur averti ; que cette situation aurait dû appeler particulièrement l'attention des services de l'aviation civile chargé de veiller au respect de la réglementation applicable, d'autant que c'est l'existence même de l'activité de contrôle qu'ils étaient réputés exercer qui a incité le président de la chambre de commerce et d'industrie de l'Indre, gestionnaire de l'aéroport de Chateauroux - Déols où l'avion était basé, à ne pas douter de la régularité des activités de transport menées par l'association litigieuse ; que, pourtant, il résulte du procès-verbal d'audition en date du 22 février 2005 du délégué régional de l'aviation civile pour la région Centre que le fonctionnement de l'association, dont il ignorait les activités de démarchage publicitaire, n'avait pas attiré l'attention de ses services et qu'elle n'appelait, selon lui, pas de contrôle particulier de sa part ; que lors de l'audition, il a justifié cette absence de diligence et d'information par l'insuffisance des effectifs qui lui étaient affectés localement ; que toutefois l'administration ne saurait invoquer utilement l'insuffisance des moyens en personnel dont elle dispose pour accomplir les tâches qui lui sont confiées ; que pour s'exonérer de sa responsabilité, elle ne saurait davantage alléguer le caractère « très limité » des dispositions applicables en la matière, dès lors que, ainsi qu'il a été rappelé, il lui appartient de prendre les mesures notamment réglementaires indispensables à l'accomplissement des missions confiées par le législateur, ni invoquer la circonstance, d'ailleurs non établie, que les accidents aériens du type de celui qui s'est produit en l'espèce ne seraient pas plus nombreux en France qu'à l'étranger ;

Considérant, il est vrai, qu'une enquête a, au début de l'année 1995, été menée par la brigade de gendarmerie des transports aériens de Chateauroux sur l'activité de l'association Centre aff'air ; que, toutefois, les enquêteurs se sont bornés, concernant la suspicion de transport aérien illicite, à s'entretenir par téléphone avec des agents de la direction du transport aérien sis à Issy-les-Moulineaux ; que ces agents, dont la fonction et l'identité leurs sont restés inconnus, leur ont indiqué, sans autres précisions ni arguments, que « l'activité de l'association n'apparaissait pas en contradiction avec les textes réglementant l'aviation générale » ; que c'est sur la base de cette seule affirmation, laquelle conclut le procès-verbal établi par la brigade le
16 mai 1995, que le délégué régional de l'aviation civile pour la région Centre a lui-même estimé qu'aucune infraction de transport aérien illicite ne pouvait être relevée à l'encontre de l'association ; que les éléments d'information recueillis à la date de l'accident et au terme de cette enquête étaient d'ailleurs si insuffisants et lacunaires que le directeur de l'aviation civile s'est déclaré, dans le procès-verbal d'audition du 12 mars 1999, « incapable de dire », au vu de ces documents, « si l'association Centre Aff'air effectuait du transport illicite de personnes » ; que, toutefois, aucune autre investigation n'a été diligentée ni même envisagée par les autorités compétentes afin de vérifier ce point pourtant essentiel ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les services de l'Etat chargés de la police des transports aériens n'ont pas pris les mesures nécessaires au respect par l'association Centre Aff'air des dispositions précitées de l'aviation civile et ont exercé sur les activités de celles-ci une surveillance très insuffisante, alors pourtant que des suspicions de transport irrégulier de passagers pesaient à son encontre ; que les fautes ainsi commises dans l'organisation du service, qui ont rendu possible l'utilisation par Mme des services d'une compagnie publique de transport ne réunissant pas les garanties techniques requises, sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'aucune faute ne peut être relevée à l'encontre de l'intéressée, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué que celle-ci aurait eu connaissance du caractère illicite de l'activité de transport public exercé par cette compagnie, ce caractère ne pouvant être seulement déduit du caractère avantageux des tarifs pratiqués ; qu'en revanche la responsabilité de l'Etat du fait des fautes de services sus-mentionnées a été atténuée par les graves fautes de pilotage commises par l'équipage de l'avion ; qu'il sera fait une juste appréciation des fautes commises de part et d'autre en fixant au quart des conséquences dommageables de l'accident la responsabilité de l'Etat ;

Sur le préjudice :

Considérant que les requérants disposent, grâce au rapport d'expertise du
docteur B, déposé auprès du Tribunal de grande instance de Poitiers le 4 avril 2005, des éléments leur permettant de chiffrer leur préjudice, ce qu'ils ont d'ailleurs fait par un mémoire enregistré au greffe de la cour le 21 avril 2008 ; qu'il n'est donc pas utile de confier une nouvelle expertise à ce même médecin ;

Mais considérant que, du fait de la date tardive à laquelle les dernières écritures des consorts Y- ont été communiquées au ministre, celui-ci n'a pas disposé du temps nécessaire pour y répondre ; qu'il y a donc lieu d'ordonner un supplément d'instruction afin de permettre à l'Etat, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, de présenter des observations en
réponse ;
D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est déclaré responsable du quart des conséquences dommageables de l'accident survenu à Mme le 16 juillet 1995.

Article 2 : Il est, avant de statuer plus avant sur les droits indemnitaires des parties, procédé à un supplément d'instruction en vue de permettre à l'Etat, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, de produire des observations en défense.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt est réservé en fin de cause.

2
N° 06PA02385


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 06PA02385
Date de la décision : 21/05/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme CARTAL
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre DEMOUVEAUX
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : SCP RAPPAPORT-HOCQUET-SCHOR

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2008-05-21;06pa02385 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award