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17/04/2007 | FRANCE | N°05PA04277

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 17 avril 2007, 05PA04277


Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9709895/6-3 du 28 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Sogea, de la société Deschiron, de la société GTM e

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Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9709895/6-3 du 28 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Sogea, de la société Deschiron, de la société GTM et Campenon Bernard SGE à lui verser la somme de 7 280 267 euros (47 755 423 F) en réparation du préjudice résultant pour elle des manoeuvres dolosives commises lors de la passation du marché de travaux relatif à la section 39-21 du TGV Nord, de procéder à un supplément d'instruction aux fins de faire produire par la SNCF 1°) une copie du document qu'elle a établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle a arrêté pour ce marché ainsi que, dans l'hypothèse où ce coût aurait été modifié, une copie des documents en fixant les nouveaux montants, assortie des motifs de ces corrections ; 2°) le montant des offres successives faites par les entreprises attributaires dudit marché ; 3°) une copie de l'avis du contrôle général des marchés de la SNCF ; 4°) le montant de la lettre de commande en expliquant s'il diffère de celui de la dernière offre, et, le cas échéant, les raisons de cet écart ;

2°) de désigner un expert aux fins de déterminer le montant du préjudice subi par la SNCF correspondant au surcoût entre le prix qu'elle a payé au titre du marché de travaux de la section 39-21 du TGV Nord et le prix qu'elle aurait dû payer si la libre concurrence avait été respectée ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire ;

Vu le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France ;

Vu le décret n° 97-445 du 5 mai 1997 portant constitution du patrimoine initial de l'établissement public Réseau ferré de France ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2007 :

- le rapport de M. Marino, rapporteur,

- les observations de la SCP Berlioz et Cie pour la SNCF, celles de Me Grégoire pour la société Deschiron, celles de Me Le Mazou substituant Me Heber-Suffrin pour la société Campenon Bernard, et celles de la SCP Proskauer Rose LLP pour la société Socofreg,

- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par lettre de commande du 3 mai 1990, la SNCF a confié au groupement qui avait présenté l'offre la moins disante, comprenant la société Sogea, mandataire, et les sociétés Deschiron, GTM, Campenon Bernard, Baudin Chateauneuf, Richard-Ducros et SIF-Bachy, le marché portant sur les travaux de la section 39-21 du TGV Nord comprise entre les kilomètres 78,205 et 80,584 de la nouvelle branche de Lille au Tunnel sous la Manche, pour un montant de 288 000 000 F ; que la réception des travaux a été prononcée le 8 mai 1992 et le décompte général définitif du marché arrêté par la SNCF le 8 décembre 1992 ; que la SNCF a demandé la condamnation des sociétés Sogea aux droits de laquelle a succédé la société Campenon Bernard TP, Deschiron, GTM devenue Socofreg et Campenon Bernard SGE à réparer les conséquences dommageables qu'elle estime avoir subies à raison du dol commis lors de la passation du marché ; que, par le jugement du 28 juillet 2005 dont la SNCF relève appel, le Tribunal administratif de Paris a considéré que les manoeuvres frauduleuses n'étaient susceptibles d'engager la responsabilité des sociétés défenderesses à l'égard de l'établissement public que s'il était établi qu'elles avaient vicié le consentement de ce dernier en le contraignant à négocier sur la base d'une offre initiale dont le montant avait été manifestement surévalué, sans que les pourparlers aient permis de ramener le prix auquel le marché a été conclu, au montant qui aurait été déterminé par le libre jeu de la concurrence et qu'ainsi, l'établissement du dol impliquait l'analyse du processus de formation du prix, compte tenu des évaluations initiales, des offres et des négociations intervenues entre les parties ; que, par suite, le tribunal a ordonné un supplément d'instruction en demandant à la SNCF de lui produire notamment une copie du document qu'elle avait établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle avait arrêté pour ce marché ; que les sociétés Socofreg, Campenon Bernard TP et Deschiron forment chacune un appel incident contre ce jugement ;

Sur les conclusions à fins de non-lieu présentées par la société Deschiron :

Considérant que si la SNCF a produit tout ou partie des documents qui lui ont été demandés par le jugement avant dire droit contesté du Tribunal administratif de Paris, une telle circonstance n'a pas, contrairement à ce que soutient la société Deschiron, privé la présente requête de son objet ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que le marché litigieux conclu par la SNCF en vue de la réalisation des travaux d'infrastructure de la section 39-21 du TGV Nord, a été passé par une personne morale de droit public et porte sur des travaux et des ouvrages publics ; que ce marché est donc un contrat administratif ; que s'il est soutenu que le litige porte sur la responsabilité quasi-délictuelle de personnes privées, il est constant qu'il met en cause les conditions dans lesquelles ledit marché a été attribué et formé ; qu'il relève ainsi de la compétence de la juridiction administrative ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par les sociétés intimées :

Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi susvisée du 13 février 1997 : « Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation de transport appartenant à l'Etat et gérés par la Société nationale des chemins de fer français sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau ferré de France » ; qu'aux termes de l'article 6 de la même loi : « Réseau ferré de France est substitué à la Société nationale des chemins de fer français pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997… » ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment des procès-verbaux d'audition et de constat de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des constatations du Conseil de la concurrence, antérieurs au 1er janvier 1997, que la SNCF a été victime d'une entente généralisée sur les marchés de génie civil du TGV Nord et du TGV Rhône-Alpes ; que, selon le rapport de la Cour des comptes rendu public en octobre 1996, cette entente a engendré pour la SNCF un surcoût de l'ordre de 14,5 % sur l'ensemble des marchés de construction des lignes nouvelles ; que le dommage subi par la SNCF, résultant du surprix payé aux entreprises qui se sont livrées aux manoeuvres leur ayant permis d'obtenir le 3 mai 1990 le marché litigieux relatif à la section 39 ;21 du TGV Nord, a donc été constaté avant le 1er janvier 1997 ;

Considérant, en second lieu, qu'en cas de transmission de propriété, le maître d'ouvrage initial ne perd pas la faculté d'exercer les actions en justice qui présentent pour lui un intérêt direct et certain ; que la demande de la SNCF tend à la réparation d'un préjudice qu'elle a supporté dans le cadre d'un marché de travaux qui a donné lieu à un décompte général et définitif signé le 8 décembre 1992 ; que, dès lors, le transfert à Réseau ferré de France des biens résultant de ce marché n'est pas de nature à priver la SNCF de son intérêt direct et certain à obtenir réparation de ce préjudice ;

Considérant, en troisième lieu, que si la société Socofreg soutient que le surcoût invoqué par la SNCF, à le supposer établi, a été compensé par sa prise en compte dans l'évaluation des biens lors de la cession à Réseau ferré de France, ou par répercussion sur les prix payés par l'usager et, qu'à défaut de préjudice, la requête de la SNCF est irrecevable, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ces allégations ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés intimées ne sont pas fondées à soutenir que la SNCF n'aurait pas intérêt à agir à leur encontre ;

Sur la prescription :

Considérant que l'action engagée par la SNCF n'est pas une action en nullité ou en rescision de contrat ; que, par suite, le moyen soulevé par les sociétés Socofreg et Deschiron et tiré de la prescription quinquennale prévue à l'article 1304 du code civil est inopérant et doit être écarté ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que si un contrat légalement formé tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait et ne peut en principe être révoqué ni modifié que de leur consentement mutuel, il n'en est pas de même lorsque les manoeuvres de l'une des parties ont constitué un dol ; que ces manoeuvres entraînent la résolution du contrat s'il est prouvé que sans elles l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'elles ne donnent lieu en revanche qu'à des dommages et intérêts au profit du contractant qui en a subi les effets lorsque, sans être la cause déterminante de sa volonté, elles ont eu pour résultat de l'amener à accepter des conditions plus onéreuses que celles auxquelles il aurait dû normalement souscrire et de lui causer ainsi un préjudice dont il est fondé à demander réparation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations effectuées par le Conseil de la concurrence que les sociétés Campenon Bernard, Sogea, Deschiron et GTM-CI aux droits de laquelle a succédé la société Socofreg, ont participé aux concertations et échanges d'informations qui ont eu lieu dès le mois de mai 1988 entre les principales entreprises de travaux publics en vue de répartir les travaux d'infrastructures des différents réseaux de TGV entre quatre groupes d'entreprises, réunis dans un G.I.E. occulte, à raison de 25 % chacun ; que cette répartition des travaux entre les quatre groupes ainsi constitués s'est accompagnée, dès le mois de juin 1988, de l'attribution d'une « part » à chacune des entreprises qui les composaient ; qu'en figeant les positions respectives de chaque membre de l'entente, et en impliquant une organisation chronologique de contreparties à l'occasion de chacun des marchés concernés, un tel accord général a eu pour effet de limiter la concurrence par les prix et d'augmenter la valeur globale des travaux ; que, ces constatations, qui portent sur l'ensemble des travaux d'infrastructures des lignes du TGV Nord et de son interconnexion, suffisent à établir l'existence de manoeuvres caractérisées des entreprises cocontractantes de la SNCF destinées à tromper celle-ci sur la réalité de la concurrence et sur la valeur des prix proposés ; que ces manoeuvres dolosives qui n'ont été établies et ne sont apparues dans toute leur ampleur qu'après les résultats de l'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et l'intervention le 29 novembre 1995 de la décision du Conseil de la concurrence, avalisée par la Cour des comptes dans son rapport paru en 1996, présentent, eu égard à leur objet et à leurs effets, tous les caractères d'un dol ayant conduit la SNCF à conclure un marché dans des conditions plus onéreuses que celles auxquelles elle aurait dû normalement souscrire ; que la circonstance que le décompte général définitif du marché a été établi et notifié sans réserve par la SNCF le 8 décembre 1992 avant que la fraude affectant ce décompte ne soit établie, ne saurait empêcher celle-ci de se prévaloir du dol dont elle a été victime ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu'en l'état du dossier, il n'était pas établi que les manoeuvres frauduleuses commises par les sociétés attributaires du marché en cause avaient vicié le consentement de la SNCF et qu'il a ordonné un supplément d'instruction ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SNCF est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ; qu'en revanche, les appels incidents présentés par les sociétés Socofreg, Campenon Bernard TP et Deschiron doivent être rejetés ;

Sur les conclusions de la SNCF tendant à la désignation d'un expert :

Considérant que la présente requête est dirigée contre un jugement avant dire droit ; que le Tribunal administratif de Paris reste saisi du fond du litige ; qu'il est, par suite, de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que le tribunal se prononce sur les conclusions susvisées ;

Sur les conclusions incidentes de la société Campenon Bernard TP :

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la requête présentée par la SNCF ait un caractère abusif ou injustifié ; qu'ainsi, les conclusions de la société Campenon Bernard TP tendant à ce que la SNCF soit condamnée à lui payer une somme à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SNCF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que les sociétés Campenon Bernard TP, Socofreg et Deschiron demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9709895 en date du 28 juillet 2005 est annulé.

Article 2 : Le surplus de la requête de la SNCF, les appels incidents des sociétés Socofreg, Campenon Bernard TP et Deschiron et les conclusions incidentes de la société Campenon Bernard TP sont rejetés.

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N° 05PA04277


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 05PA04277
Date de la décision : 17/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MOREAU
Rapporteur ?: M. Yves MARINO
Rapporteur public ?: M. COIFFET
Avocat(s) : LE MAZOU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-04-17;05pa04277 ?
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