La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/04/2007 | FRANCE | N°05PA04276

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 17 avril 2007, 05PA04276


Vu I°), sous le n° 0504276, la requête, enregistrée le 4 novembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9712763/6-3 du 28 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Spie Batignolles (aujourd'hu

i dénommée Spie SA) et de la société Valérian à lui verser la somme de 1...

Vu I°), sous le n° 0504276, la requête, enregistrée le 4 novembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9712763/6-3 du 28 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Spie Batignolles (aujourd'hui dénommée Spie SA) et de la société Valérian à lui verser la somme de 1 610 959,70 euros (10 567 203 F) en réparation du préjudice résultant pour elle des manoeuvres dolosives commises lors de la passation du marché de travaux relatif au lot 29-04 du TGV Nord, de procéder à un supplément d'instruction aux fins de faire produire par la SNCF 1°) une copie du document qu'elle a établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle a arrêté pour ce marché ainsi que, dans l'hypothèse où ce coût aurait été modifié, une copie des documents en fixant les nouveaux montants, assortie des motifs de ces corrections ; 2°) le montant des offres successives faites par les entreprises attributaires dudit marché ; 3°) une copie de l'avis du contrôle général des marchés de la SNCF ; 4°) le montant de la lettre de commande en expliquant s'il diffère de celui de la dernière offre, et, le cas échéant, les raisons de cet écart ;

2°) de désigner un expert aux fins de déterminer le montant du préjudice subi par la SNCF correspondant au surcoût entre le prix qu'elle a payé au titre du marché de travaux du lot 29-04 du TGV Nord et le prix qu'elle aurait dû payer si la libre concurrence avait été respectée ;

……………………………………………………………………………………………………

Vu II°), sous le n° 0504299, la requête, enregistrée le 4 novembre 2005, présentée pour la SOCIETE SPIE SA, dont le siège est 10 avenue de l'Entreprise à Cergy-Pontoise (95863), par Squadra Associés, SELARL d'avocats ; la SOCIETE SPIE SA demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9712763/6-3 du 28 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société Spie Batignolles (aujourd'hui dénommée Spie SA) et de la société Valérian à lui verser la somme de 1 610 959,70 euros (10 567 203 F) en réparation du préjudice résultant pour elle des manoeuvres dolosives commises lors de la passation du marché de travaux relatif au lot 29-04 du TGV Nord, de procéder à un supplément d'instruction aux fins de faire produire par la SNCF 1°) une copie du document qu'elle a établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle a arrêté pour ce marché ainsi que, dans l'hypothèse où ce coût aurait été modifié, une copie des documents en fixant les nouveaux montants, assortie des motifs de ces corrections ; 2°) le montant des offres successives faites par les entreprises attributaires dudit marché ; 3°) une copie de l'avis du contrôle général des marchés de la SNCF ; 4°) le montant de la lettre de commande en expliquant s'il diffère de celui de la dernière offre, et, le cas échéant, les raisons de cet écart ;

2°) de mettre hors de cause la SOCIETE SPIE SA ;

3°) de mettre à la charge de la SNCF une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire ;

Vu le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France ;

Vu le décret n° 97-445 du 5 mai 1997 portant constitution du patrimoine initial de l'établissement public Réseau ferré de France ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2007 :

- le rapport de M. Marino, rapporteur,

- les observations de la SCP Berlioz et Cie pour la SNCF, celles de la SCP Celice-Blancpain pour la SOCIETE SPIE SA, et celles de la SCP FTP et A pour la société Valérian,

- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes n° 05PA4276 et n° 05PA4299 présentées respectivement pour la SNCF et pour la SOCIETE SPIE SA sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Considérant que, par lettre de commande du 14 mai 1990, la SNCF a confié au groupement qui avait présenté l'offre la moins disante, comprenant la société Spie Batignolles, mandataire, et la société Valérian le marché portant sur les travaux du lot 29-04 du TGV Nord comprise entre les kilomètres 120,761 et 121,238 pour un montant de 37 500 000 F ; que la réception des travaux a été prononcée le 12 février 1992 et le décompte général définitif du marché arrêté par la SNCF le 5 novembre 1992 ; que la SNCF a demandé la condamnation de la société Spie Batignolles devenue Spie SA et de la société Valérian à réparer les conséquences dommageables qu'elle estime avoir subies à raison du dol commis lors de la passation du marché ; que, par le jugement du 28 juillet 2005 dont la SNCF relève appel, le Tribunal administratif de Paris a considéré que les manoeuvres frauduleuses n'étaient susceptibles d'engager la responsabilité des sociétés défenderesses à l'égard de l'établissement public que s'il était établi qu'elles avaient vicié le consentement de ce dernier en le contraignant à négocier sur la base d'une offre initiale dont le montant avait été manifestement surévalué, sans que les pourparlers aient permis de ramener le prix auquel le marché a été conclu, au montant qui aurait été déterminé par le libre jeu de la concurrence et qu'ainsi, l'établissement du dol impliquait l'analyse du processus de formation du prix, compte tenu des évaluations initiales, des offres et des négociations intervenues entre les parties ; que, par suite, le tribunal a ordonné un supplément d'instruction en demandant à la SNCF de lui produire notamment une copie du document qu'elle avait établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle avait arrêté pour ce marché ; que la société Valérian forme un appel incident contre ce jugement ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que le marché litigieux conclu par la SNCF en vue de la réalisation des travaux d'infrastructure du lot 29-04 du TGV Nord, a été passé par une personne morale de droit public et porte sur des travaux et des ouvrages publics ; que ce marché est donc un contrat administratif ; que s'il est soutenu que le litige porte sur la responsabilité quasi-délictuelle de personnes privées, il est constant qu'il met en cause les conditions dans lesquelles ledit marché a été attribué et formé ; qu'il relève ainsi de la compétence de la juridiction administrative ;

Sur les conclusions de la Société SPIE SA :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de traités d'apport scission entérinés par les assemblées générales extraordinaires des 27 et 28 juin 1995, 29 mai 2000, 26 juin 2002, 27 décembre 2002 et enfin août 2003, la société Spie Batignolles (devenue SPIE SA) a apporté à sa filiale, la société Spie Batignolles TPCI, une partie de son actif afférente aux branches d'activité bâtiment et génie civil ; que cet apport ayant été, ainsi que le permet l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 repris à l'article L. 236-22 du code du commerce, soumis aux dispositions des articles 382 à 396 de la loi du 24 juillet 1966 repris aux articles L. 236-16 à L. 236-21 du même code, relatives aux opérations de scission, il en est résulté une transmission universelle de tous les droits, biens et obligations de la société Spie Batignolles, afférents aux branches d'activité faisant l'objet de l'apport, à la société Spie Batignolles TPCI qui est ainsi devenue la seule débitrice des dettes se rattachant à cet apport et contractées par la société Spie Batignolles ; que, dans ces conditions, la société Spie SA et fondée à soutenir que seule la responsabilité de la société Spie Batignolles TPCI pouvait être recherchée par la SNCF à raison du marché dont il s'agit et qu'elle doit être mise hors de cause de l'instance ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société Valérian :

Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi susvisée du 13 février 1997 : « Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation de transport appartenant à l'Etat et gérés par la Société nationale des chemins de fer français sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau ferré de France » ; qu'aux termes de l'article 6 de la même loi : « Réseau ferré de France est substitué à la Société nationale des chemins de fer français pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997… » ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment des procès-verbaux d'audition et de constat de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des constatations du Conseil de la concurrence, antérieurs au 1er janvier 1997, que la SNCF a été victime d'une entente généralisée sur les marchés de génie civil du TGV Nord et du TGV Rhône-Alpes ; que, selon le rapport de la Cour des comptes rendu public en octobre 1996, cette entente a engendré pour la SNCF un surcoût de l'ordre de 14,5 % sur l'ensemble des marchés de construction des lignes nouvelles ; que le dommage subi par la SNCF, résultant du surprix payé aux entreprises qui se sont livrées aux manoeuvres leur ayant permis d'obtenir le 14 mai 1990 le marché litigieux relatif au lot 29 ;04 du TGV Nord, a donc été constaté avant le 1er janvier 1997 ;

Considérant, en second lieu, qu'en cas de transmission de propriété, le maître d'ouvrage initial ne perd pas la faculté d'exercer les actions en justice qui présentent pour lui un intérêt direct et certain ; que la demande de la SNCF tend à la réparation d'un préjudice qu'elle a supporté dans le cadre d'un marché de travaux qui a donné lieu à un décompte général et définitif signé le 5 novembre 1992 ; que, dès lors, le transfert à Réseau ferré de France des biens résultant de ce marché n'est pas de nature à priver la SNCF de son intérêt direct et certain à obtenir réparation de ce préjudice ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Valérian n'est pas fondée à soutenir que la SNCF n'aurait pas intérêt à agir à son encontre ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que si un contrat légalement formé tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait et ne peut en principe être révoqué ni modifié que de leur consentement mutuel, il n'en est pas de même lorsque les manoeuvres de l'une des parties ont constitué un dol ; que ces manoeuvres entraînent la résolution du contrat s'il est prouvé que sans elles l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'elles ne donnent lieu en revanche qu'à des dommages et intérêts au profit du contractant qui en a subi les effets lorsque, sans être la cause déterminante de sa volonté, elles ont eu pour résultat de l'amener à accepter des conditions plus onéreuses que celles auxquelles il aurait dû normalement souscrire et de lui causer ainsi un préjudice dont il est fondé à demander réparation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations effectuées par le Conseil de la concurrence que la société Valérian a participé aux concertations et échanges d'informations qui ont eu lieu dès le mois de mai 1988 entre les principales entreprises de travaux publics en vue de répartir les travaux d'infrastructures des différents réseaux de TGV entre quatre groupes d'entreprises, réunis dans un G.I.E. occulte, à raison de 25 % chacun ; que cette répartition des travaux entre les quatre groupes ainsi constitués s'est accompagnée, dès le mois de juin 1988, de l'attribution d'une « part » à chacune des entreprises qui les composaient ; qu'en figeant les positions respectives de chaque membre de l'entente, et en impliquant une organisation chronologique de contreparties à l'occasion de chacun des marchés concernés, un tel accord général a eu pour effet de limiter la concurrence par les prix et d'augmenter la valeur globale des travaux ; que, ces constatations, qui portent sur l'ensemble des travaux d'infrastructures des lignes du TGV Nord et de son interconnexion, suffisent à établir l'existence de manoeuvres caractérisées des entreprises cocontractantes de la SNCF destinées à tromper celle-ci sur la réalité de la concurrence et sur la valeur des prix proposés ; que ces manoeuvres dolosives qui n'ont été établies et ne sont apparues dans toute leur ampleur qu'après les résultats de l'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et l'intervention le 29 novembre 1995 de la décision du Conseil de la concurrence, avalisée par la Cour des comptes dans son rapport paru en 1996, présentent, eu égard à leur objet et à leurs effets, tous les caractères d'un dol ayant conduit la SNCF à conclure un marché dans des conditions plus onéreuses que celles auxquelles elle aurait dû normalement souscrire ; que la circonstance que le décompte général définitif du marché a été établi et notifié sans réserve par la SNCF le 5 novembre 1992 avant que la fraude affectant ce décompte ne soit établie, ne saurait empêcher celle-ci de se prévaloir du dol dont elle a été victime ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu'en l'état du dossier, il n'était pas établi que les manoeuvres frauduleuses commises par les sociétés attributaires du marché en cause avaient vicié le consentement de la SNCF et qu'il a ordonné un supplément d'instruction ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SNCF est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ; qu'en revanche, l'appel incident présenté par la société Valérian doit être rejeté ;

Sur les conclusions de la SNCF tendant à la désignation d'un expert :

Considérant que la présente requête est dirigée contre un jugement avant dire droit ; que le Tribunal administratif de Paris reste saisi du fond du litige ; qu'il est, par suite, de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que le tribunal se prononce sur les conclusions susvisées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SNCF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que la société Valérian demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Spie SA sur le même fondement ;

D É C I D E :

Article 1er : La société Spie SA est mise hors de cause.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9712763 en date du 28 juillet 2005 est annulé.

Article 3 : Le surplus de la requête de la SNCF et l'appel incident de la société Valérian sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions des sociétés Valérian et Spie SA tendant à la condamnation de la SNCF au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

2

N°s 05PA04276, 05PA04299


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 05PA04276
Date de la décision : 17/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MOREAU
Rapporteur ?: M. Yves MARINO
Rapporteur public ?: M. COIFFET
Avocat(s) : SCP BERLIOZ et CIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-04-17;05pa04276 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award