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17/04/2007 | FRANCE | N°05PA03933

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 17 avril 2007, 05PA03933


Vu la requête, enregistrée le 27 septembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9712765/6-1 du 5 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation de la société Demathieu et Bard à lui verser la somme de 195 438 euros en réparation du p

réjudice résultant pour elle des manoeuvres dolosives commises lors de l...

Vu la requête, enregistrée le 27 septembre 2005, présentée pour la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris Cedex 14 (75699), représentée par son directeur juridique, par Me Durupty ; la SNCF demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 9712765/6-1 du 5 juillet 2005 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a décidé, avant de statuer sur la demande de la SNCF tendant à la condamnation de la société Demathieu et Bard à lui verser la somme de 195 438 euros en réparation du préjudice résultant pour elle des manoeuvres dolosives commises lors de la passation du marché de travaux relatif au lot 29-11 du TGV Nord, de procéder à un supplément d'instruction aux fins de faire produire par la SNCF 1°) une copie du document qu'elle a établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle a arrêté pour ce marché ainsi que, dans l'hypothèse où ce coût aurait été modifié, une copie des documents en fixant les nouveaux montants, assortie des motifs de ces corrections ; 2°) le montant des offres successives faites par les entreprises attributaires dudit marché ; 3°) une copie de l'avis du contrôle général des marchés de la SNCF ; 4°) le montant de la lettre de commande en expliquant s'il diffère de celui de la dernière offre, et, le cas échéant, les raisons de cet écart ;

2°) de désigner un expert aux fins de déterminer le montant du préjudice subi par la SNCF correspondant au surcoût entre le prix qu'elle a payé au titre du marché de travaux du lot 29-11 du TGV Nord et le prix qu'elle aurait dû payer si la libre concurrence avait été respectée ; la SNCF soutient que contrairement à ce qu'il a jugé précédemment et qui a été confirmé par la cour de céans, le Tribunal administratif de Paris a jugé que les manoeuvres frauduleuses de concertation n'avaient pas nécessairement les caractéristiques d'un dol et que le préjudice qui en résultait pour la SNCF ne pouvait être établi que dans la mesure où le prix auquel le marché avait été passé était sensiblement supérieur au coût d'objectif de base ; qu'en procédant de la sorte, le tribunal a commis une erreur de fait et de droit tant en ce qui concerne l'appréciation du dol subi par la SNCF, que des prix, de la formation des prix de concurrence et des coûts d'objectifs de base ; que s'agissant du dol, le tribunal a fait une analyse incomplète et très réductrice des éléments relevés par les juges de la sanction des pratiques anticoncurrentielles, notamment s'agissant de la mise en oeuvre par les entreprises ayant participé à l'entente, d'un simulacre de concurrence et de la pression exercée par ces entreprises pour accroître le nombre de marchés qui leur seraient attribués en se garantissant la profitabilité de ces marchés emportés à des prix plus élevés, déterminés à l'avance, en dehors de toute concurrence ; que le jugement est ainsi entaché d'une erreur de fait ; que le jugement attaqué méconnaît aussi l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 janvier 2003 ; que le tribunal a également commis une erreur de fait et de droit en ce qui concerne l'appréciation des prix par la SNCF et les effets de la négociation qu'elle a conduit ; que la Cour d'appel de Paris a jugé que les ententes ont faussé la transparence des prix et l'équilibre des relations contractuelles qui doivent résulter de la comparaison par le maître d'ouvrage des prix proposés par chacune des entreprises consultées à la condition d'être fixées de façon autonome en fonction des coûts de la production de chacune d'elles et que ces ententes ont ainsi eu une influence directe sur les conditions d'engagement de la SNCF ; que cette appréciation s'impose au Tribunal administratif de Paris qui jugeait d'ailleurs dans ses premières décisions de 1998 que la SNCF n'avait pas été mise à même d'exercer son pouvoir de contrôle et d'appréciation des prix ; qu'en raisonnant comme il le fait par le jugement attaqué, le tribunal a méconnu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris ; que la Cour administrative d'appel de Paris a elle-même décidé que le dol litigieux avait eu pour résultat d'amener la SNCF à accepter des conditions plus onéreuses que celles auxquelles elle aurait dû normalement souscrire ; qu'ainsi, en laissant à la victime du dol la charge de la preuve que l'offre initiale a été manifestement surévaluée sans lui donner les moyens de le faire, le tribunal a commis une première erreur de droit et de fait ; que la SNCF ne peut établir une telle preuve par la seule production du coût d'objectif de base alors que le but de l'entente était justement de l'empêcher de connaître la réalité de l'effet de la concurrence sur les prix ; que le prix de concurrence résulte des efforts consentis par les entreprises par rapport à leurs propres coûts de production en vue de l'obtention du marché alors que dans le cas d'une entente, les entreprises fixent le seuil de leurs offres concertées généralement au-dessus du seuil estimé du prix objectif en les répartissant de manière réaliste et en laissant à la meilleure d'entre elles un écart avec le prix objectif assez sensible mais crédible qui maintient une marge de négociation factice au donneur d'ordres ; que le tribunal commet une seconde erreur de droit et de fait en admettant le principe selon lequel les négociations dans un appel d'offres faussé par une entente auraient pu permettre de déboucher sur un prix déterminé par le libre jeu de la concurrence ; que c'est d'ailleurs dans ce sens qu'a jugé la cour de céans dans son arrêt du 22 avril 2004 société Dumez ; que s'agissant du processus de formation du prix de concurrence, le tribunal commet une erreur en s'en remettant exclusivement à la comparaison entre les coûts d'objectif de la SNCF avec le prix de conclusion des marchés, sans tenir compte des coûts de production des entreprises ; que l'expert désigné par le Tribunal administratif de Paris le 15 mars 2005 a d'ailleurs indiqué que la recherche des coûts de production des entreprises constituerait un moyen de retrouver les prix issus d'une concurrence normale ; que s'agissant des coûts d'objectif de base, le tribunal commet une erreur en estimant que le prix de concurrence peut être recherché à l'aide de ces coûts ; que pour définir le prix des travaux de génie civil et de création d'infrastructures, la SNCF utilise la méthode basée sur l'analyse des prix, c'est-à-dire sur la comparaison des prix constatés dans les marchés antérieurs similaires réactualisés et non pas sur une analyse des coûts l'amenant à établir des coûts d'objectifs de base ; que si la SNCF a établi a posteriori des coûts d'objectifs de base, il est apparu qu'elle les avait surévalués ; que la Cour des comptes a elle-même estimé que l'entente généralisée sur les marchés de génie du TGV Nord avait engendré pour la SNCF un surcoût de l'ordre de 14,5 % sur l'ensemble des marchés, soit 750 millions de francs ; que les mesures d'instruction ordonnées par le Tribunal administratif de Paris ne sont pas de nature à assurer une instruction complète de l'affaire dès lors que le tribunal n'a pas ordonné la production par les entreprises de leurs coûts de production ; qu'elles sont également constitutives d'une violation du principe du contradictoire de la procédure d'instruction ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2006, présenté pour la société Demathieu et Bard, par Me Lapp ; la société Demathieu et Bard conclut à l'annulation du jugement, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la SNCF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 14 janvier 2003 n'a pas estimé que la société avait participé à une entente puisqu'elle n'a pas visé le marché portant sur le lot 29-11 du TGV Nord ; que le dol n'est donc pas établi ;

Vu le mémoire enregistré le 23 mars 2007, présenté pour la SNCF tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2007 :

- le rapport de M. Marino, rapporteur,

- les observations de la SCP Berlioz et Cie pour la SNCF, et celles de la SCP Villard avocats pour la société Demathieu et Bard,

- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un marché conclu le 29 mars 1990, la SNCF a confié au groupement le moins disant constitué de la société Demathieu et Bard, mandataire et de la société Richard Ducros la réalisation des travaux d'infrastructures du lot 29-11 du TGV Nord ; que la réception des travaux a été prononcée le 19 avril 1991 et le décompte général définitif du marché a été arrêté par la SNCF le 31 mars 1992 ; que la SNCF a demandé la condamnation de la société Demathieu et Bard à réparer les conséquences dommageables qu'elle estime avoir subies à raison du dol commis lors de la passation du marché ; que, par le jugement du 5 juillet 2005 dont la SNCF relève appel, le Tribunal administratif de Paris a considéré que les manoeuvres frauduleuses n'étaient susceptibles d'engager la responsabilité de la société Demathieu et Bard à l'égard de l'établissement public que s'il était établi qu'elles avaient vicié le consentement de ce dernier en le contraignant à négocier sur la base d'une offre initiale dont le montant avait été manifestement surévalué, sans que les pourparlers aient permis de ramener le prix auquel le marché a été conclu, au montant qui aurait été déterminé par le libre jeu de la concurrence et qu'ainsi, l'établissement du dol impliquait l'analyse du processus de formation du prix, compte tenu des évaluations initiales, des offres et des négociations intervenues entre les parties ; que, par suite, le tribunal a ordonné un supplément d'instruction en demandant à la SNCF de lui produire notamment une copie du document qu'elle avait établi préalablement à la signature du marché indiquant le montant du coût d'objectif de base qu'elle avait arrêté pour ce marché ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que si un contrat légalement formé tient lieu de loi à ceux qui l'ont fait et ne peut en principe être révoqué ni modifié que de leur consentement mutuel, il n'en est pas de même lorsque les manoeuvres de l'une des parties ont constitué un dol ; que ces manoeuvres entraînent la résolution du contrat s'il est prouvé que sans elles l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'elles ne donnent lieu en revanche qu'à des dommages et intérêts au profit du contractant qui en a subi les effets lorsque, sans être la cause déterminante de sa volonté, elles ont eu pour résultat de l'amener à accepter des conditions plus onéreuses que celles auxquelles il aurait dû normalement souscrire et de lui causer ainsi un préjudice dont il est fondé à demander réparation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations effectuées par le Conseil de la concurrence que la société Demathieu et Bard a participé aux concertations et échanges d'informations qui ont eu lieu dès le mois de mai 1988 entre les principales entreprises de travaux publics en vue de répartir les travaux d'infrastructures des différents réseaux de TGV entre quatre groupes d'entreprises, réunis dans un G.I.E. occulte, à raison de 25 % chacun ; que cette répartition des travaux entre les quatre groupes ainsi constitués s'est accompagnée, dès le mois de juin 1988, de l'attribution d'une « part » à chacune des entreprises qui les composaient ; qu'en figeant les positions respectives de chaque membre de l'entente, et en impliquant une organisation chronologique de contreparties à l'occasion de chacun des marchés concernés, un tel accord général a eu pour effet de limiter la concurrence par les prix et d'augmenter la valeur globale des travaux ; que, ces constatations, qui portent sur l'ensemble des travaux d'infrastructures des lignes du TGV Nord et de son interconnexion, suffisent à établir l'existence de manoeuvres caractérisées des entreprises cocontractantes de la SNCF destinées à tromper celle-ci sur la réalité de la concurrence et sur la valeur des prix proposés ; que ces manoeuvres dolosives qui n'ont été établies et ne sont apparues dans toute leur ampleur qu'après les résultats de l'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et l'intervention le 29 novembre 1995 de la décision du Conseil de la concurrence, avalisée par la Cour des comptes dans son rapport paru en 1996, présentent, eu égard à leur objet et à leurs effets, tous les caractères d'un dol ayant conduit la SNCF à conclure un marché dans des conditions plus onéreuses que celles auxquelles elle aurait dû normalement souscrire ; que la circonstance que le décompte général définitif du marché a été établi et notifié sans réserve par la SNCF le 31 mars 1992 avant que la fraude affectant ce décompte ne soit établie, ne saurait empêcher celle-ci de se prévaloir du dol dont elle a été victime ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu'en l'état du dossier, il n'était pas établi que les manoeuvres frauduleuses commises par la société Demathieu et Bard du marché en cause avaient vicié le consentement de la SNCF et qu'il a ordonné un supplément d'instruction ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SNCF est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ;

Sur les conclusions de la SNCF tendant à la désignation d'un expert :

Considérant que la présente requête est dirigée contre un jugement avant dire droit ; que le Tribunal administratif de Paris reste saisi du fond du litige ; qu'il est, par suite, de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que le tribunal se prononce sur les conclusions susvisées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SNCF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que la société Demathieu et Bard demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 9712765 en date du 5 juillet 2005 est annulé.

Article 2 : Le surplus de la requête de la SNCF est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de la société Demathieu et Bard tendant à la condamnation de la SNCF au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

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N° 05PA03933


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 05PA03933
Date de la décision : 17/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MOREAU
Rapporteur ?: M. Yves MARINO
Rapporteur public ?: M. COIFFET
Avocat(s) : SCP BERLIOZ et CIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-04-17;05pa03933 ?
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