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29/01/2007 | FRANCE | N°04PA01443

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre - formation b, 29 janvier 2007, 04PA01443


Vu le recours, enregistré le 23 avril 2004, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 992591-994881 du 6 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Melun a accordé à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ;

2°) de rétablir la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie aux r

les de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits qui lui ont...

Vu le recours, enregistré le 23 avril 2004, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 992591-994881 du 6 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Melun a accordé à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ;

2°) de rétablir la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie aux rôles de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits qui lui ont été assignés au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ;

……………………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 66-455 du 2 juillet 1966 modifiée relative aux entreprises pratiquant le crédit-bail ;

Vu l'ordonnance n° 67-821 du 23 septembre 1967 modifiée sur les groupements d'intérêt économique ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 janvier 2007 :

- le rapport de M. Francfort, rapporteur ;

- les observations de Me Meier, pour la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie ;

- et les conclusions de M. Adrot, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : “Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses (…) b) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (…) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (…) Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement” ; que, lorsque l'administration use, comme en l'espèce, des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle doit, pour pouvoir écarter certains actes passés par le contribuable, établir que les actes ont eu un caractère fictif ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Considérant que l'opération litigieuse a consisté pour le Groupement d'Intérêt Economique (GIE) Amaury Rail à acquérir le 31 mai 1991 de la Société Nationale des Chemins de fer Belges (SNCB) vingt-trois automotrices électriques de dix ans d'âge et à lui en concéder le jour même la location jusqu'au 31 décembre 2005, en lui reconnaissant la faculté d'acquérir ces biens à des échéances et moyennant un prix fixé par le contrat ; que la SNCB a ainsi bénéficié d'une promesse unilatérale de vente des biens loués, au plus tôt, le 30 juin 1999, pour un prix de 348 600 000 F, ou au terme normal du contrat, le 31 décembre 2005, au prix de 42 000 000F ; qu'en outre, dans le cas où elle déciderait de ne pas lever ces options d'achat, le GIE s'est engagé à prolonger la location durant une période supplémentaire de cinq ans ; que, pour financer l'acquisition des rames, le GIE a, d'une part, souscrit auprès d'un syndicat bancaire un emprunt se décomposant en trois tranches A, B et C et, d'autre part, émis un emprunt obligataire “zéro coupon” souscrit en totalité par la SNCB ; que l'administration a procédé à des vérifications de comptabilité de ce GIE et estimé, d'une part, que le contrat de crédit-bail dissimulait un prêt classique remboursable sur une durée de huit ans et, d'autre part, qu'il n'avait été passé qu'en vue de générer, au titre des premières années du contrat, des déficits élevés imputables sur les résultats fiscaux des membres du GIE ; qu'elle a mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 précité du livre des procédures fiscales et a sur ce fondement réintégré lesdits déficits dans les résultats du GIE, au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994 ; qu'à raison de sa participation à hauteur de 10 % dans le GIE, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Brie a été assujettie de ce chef à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices susmentionnés ; que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie forme recours contre le jugement par lequel le Tribunal administratif de Melun a accordé à la CRCAM de la Brie la décharge desdites cotisations supplémentaires d‘impôt sur les sociétés au motif que l'existence d'un abus de droit n'était pas établie ;

Considérant, en premier lieu, que le ministre fait valoir que le contrat de crédit-bail en cause serait fictif, au motif, d'une part, que le preneur, la SNCB, participe de manière prépondérante au financement de l'acquisition des automotrices, les banques prêteuses ne finançant que 19,97 % du besoin de financement total, d'autre part, que ledit contrat a été prolongé au-delà de la durée de huit ans sans aucune nécessité économique, dès lors qu'après la huitième année les financements classiques mis en place par les organismes financiers sont amortis et que seuls subsistent les financements de la tranche C, laquelle est constituée d'avances consenties au GIE par ses membres et correspondant aux économies d'impôt censées être réalisées par ceux-ci à raison de l'imputation sur leurs résultats des déficits du GIE ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que les stipulations du contrat signé par le GIE satisfont aux conditions fixées par l'article 1er de la loi susvisée du 2 juillet 1966, le groupement ayant procédé à l'acquisition des biens professionnels dont il a conservé la propriété tout au long du déroulement du contrat, ce dernier étant assorti, comme il a été dit, d'une promesse unilatérale de vente au preneur pour un prix tenant compte au moins pour partie des loyers versés ; qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'exclut ni ne restreint la possibilité pour le preneur de participer au financement de l'opération ; qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient le ministre, la SNCB, qui n'a financé que 24,37 % du coût d'acquisition des biens, n'a jamais assuré la totalité du financement du GIE ; qu'en effet, il n'y a pas lieu d'écarter les financements de la tranche C assurés par les membres du groupement au motif que ces versements ne proviendraient que des économies d'impôt réalisées, alors que les sommes apportées par les membres correspondent à des transferts réels de fonds prévus dès l'origine du contrat, tandis que les économies d'impôt dépendent entièrement de la situation, bénéficiaire ou non, desdits membres ; qu'il ne peut donc être soutenu par l'administration que cette part du financement ne correspond pas à un apport véritable ; qu'enfin, rien ne permet de conclure à l'extinction effective du contrat au 31 décembre 1998, terme d'une période de huit ans correspondant à l'échéance des tranches A et B ainsi que de l'emprunt obligataire, dès lors qu'il n'est pas établi que les financements de la tranche C assurés par les membres du GIE sous forme d'avances, qui arrivent à échéance le 31 décembre 2005, proviendraient uniquement des économies d'impôt réalisées ; que, dans ces conditions, l'administration n'établit pas le caractère fictif du contrat de crédit-bail, dont elle ne conteste d'ailleurs pas qu'il correspond à un usage pratiqué par les établissements financiers pour le financement d'équipements lourds tels que les trains, les avions et les navires ;

Considérant, en second lieu, que pour démontrer que l'opération en cause répond à un but exclusivement fiscal, l'administration se prévaut, d'une part, de l'existence d'une garantie de paiement, accordée par le Royaume de Belgique, des sommes dues par la SNCB au GIE, d'autre part, de la souscription par la SNCB d'un emprunt obligataire “zéro coupon” à un taux d'intérêt élevé, sans justification autre que d'augmenter les charges des premières années, et enfin du recours à un GIE, structure fiscalement transparente dont certains membres ne participeraient pas au financement de l'opération litigieuse, en méconnaissance de l'article 1er de l'ordonnance susvisée du 23 septembre 1967 ; qu'en outre, l'administration fait valoir que, bien que non constitutifs en eux-mêmes d'un abus de droit, le mode de comptabilisation des amortissements sur une durée trop courte, et le rattachement des loyers du crédit-bail aux exercices selon un mode progressif sont de nature à étayer sa démonstration relative à l'abus de droit ;

Considérant, toutefois, que s'il est constant que les membres du GIE ont retiré des avantages fiscaux de l'exécution du contrat litigieux, le ministre n'apporte pas la preuve de ce que ces avantages seraient tels que le montage réalisé doive être regardé comme à but exclusivement fiscal, alors qu'il n'est pas contesté que la SNCB n'aurait pas décidé de financer le rachat des automotrices en concluant avec le GIE le contrat de crédit-bail litigieux si elle n'y avait trouvé aucun intérêt économique et si ledit contrat n'avait présenté qu'un avantage fiscal pour les établissements bancaires prêteurs ; qu'en particulier, il n'est pas répliqué aux allégations de la société intimée selon lesquelles la conclusion dudit contrat répondait à la volonté de la SNCB d'améliorer la présentation de ses ratios financiers et d'obtenir un financement à coût attractif sans obérer sa capacité d'endettement ; qu'il n'est pas davantage contesté, d'une part, que la circonstance que l'Etat belge s'est porté garant du paiement par la SNCB des sommes dues au GIE en vertu du contrat de crédit-bail est inhérente à la personnalité du crédit-preneur, personne publique, d'autre part, que le recours à un GIE résultait de la nécessité d'organiser la syndication bancaire de l'opération et permettait aux banques membres du groupement de ne pas inscrire les automotrices à leur bilan ; qu'il est, par ailleurs, constant que toutes les banques membres du GIE étaient tenues de participer au moins à la tranche C du financement apporté au GIE ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er de l'ordonnance du 23 septembre 1967 doit, par suite être écarté ; que si le ministre se prévaut d'un avantage fiscal qui serait retiré par les banques membres du GIE du montage réalisé, sa démonstration ne repose sur aucune justification ; que, dans ces conditions, le contrat de crédit-bail litigieux ne peut être regardé comme ayant été conclu dans un but exclusivement fiscal, nonobstant les modes de comptabilisation des amortissements et de rattachement des loyers aux exercices ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a accordé à la CRCAM de la Brie la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, au titre des exercices clos en 1991, 1992, 1993 et 1994, à raison de sa participation au GIE Amaury Rail ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner l'Etat à verser à la CRCAM de la Brie, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 04PA01443


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre - formation b
Numéro d'arrêt : 04PA01443
Date de la décision : 29/01/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés SOUMET
Rapporteur ?: M. Jérome FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. ADROT
Avocat(s) : MEIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-01-29;04pa01443 ?
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