Vu la requête, enregistrée le 23 août 2005, présentée pour la société CHEVANNES MERCERON BALLERY, venant aux droits de la société anonyme Mahoraise de Pêche (Somapec), dont le siège est 9 rue du professeur Legendre - BP 639 à Concarneau Cedex (29186), par Me Murcia ; la société CHEVANNES MERCERON BALLERY demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9800801/2 et 9908161/2 en date du 8 juillet 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1991 et 1994 et des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la notification de redressements en date du 27 octobre 1994 concernant l'année 1991 qui lui a été adressée : Place du Marché, Mamoutsou à Mayotte, a été retournée au service avec la mention « inconnu, adresse incomplète », de sorte qu'elle n'a pas été régulièrement informée des redressements envisagés par l'administration ; que ce vice de procédure est imputable à l'administration fiscale française qui n'a pas effectué les recherches nécessaires auprès de la société en participation Sovetpar ou de l'administration fiscale mahoraise ; qu'en effet n'étant pas redevable de l'impôt sur les sociétés en France, elle n'avait pas à déposer en France de déclarations de résultats et n'avait pas à communiquer son adresse à l'administration fiscale française ; qu'elle est en droit d'opposer à l'administration, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la doctrine administrative 13 L. 1513 ; que c'est la société en participation Sovetpar, résidente fiscale en France et y réalisant des bénéfices, qui doit être considérée comme le sujet d'imposition et le redevable de l'impôt ; que par application combinée des dispositions des articles 7, 9, 23 et 25-1 de la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement des Comores, le résultat de la société en participation Sovetpar est exclusivement imposable à Mayotte ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 février 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; le ministre conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'administration a notifié le redressement relatif à l'année 1991 à la seule adresse connue d'elle et communiquée soit directement par la requérante (adresse figurant dans ses statuts) soit de manière indirecte par l'intermédiaire de la société en participation Sovetpar dans sa déclaration ; que la distribution du pli n'ayant pu avoir lieu du fait de la société redevable de l'impôt, la notification doit être regardée comme ayant été régulièrement effectuée au sens de la jurisprudence et de la doctrine administrative ; que la société requérante membre d'une société en participation de droit français visée à l'article 8 du code général des impôts est passible de l'impôt sur les sociétés en France au prorata de sa participation dans ladite société ; qu'en effet, en droit interne français, les bénéfices sont considérés comme réalisés par les sociétés de personnes, l'imposition entre les mains des associés n'étant qu'une modalité d'imposition ; que cette analyse a été confirmée par l'arrêt du Conseil d'Etat du 4 avril 1997, société Kingroup, qui a validé l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés en France d'une entreprise canadienne, même en l'absence d'établissement stable, dès lors que la convention fiscale franco-canadienne ne contient aucune disposition spécifique relative aux sociétés de personnes ; que les dispositions de la convention fiscale entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement des Comores étant identiques à celles de la convention fiscale franco-canadienne analysées dans cet arrêt et la situation des sociétés canadiennes et mahoraises associées de sociétés de personnes françaises étant similaires, c'est à bon droit que l'administration fiscale a appliqué les dispositions du droit interne pour soumettre à l'impôt sur les sociétés en France la société Somapec au prorata de sa quote-part dans les bénéfices de la société de personnes Sovetpar ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 30 août 2006, présenté pour la société CHEVANNES MERCERON BALLERY laquelle conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient que l'activité de pêche était exercée au moyen d'un thonier battant pavillon mahorais et naviguant dans les eaux internationales, de sorte que le rattachement du résultat de la société Somapec au siège de la société en participation Sovetpar ne se justifie nullement ; que, par ailleurs et dès lors que d'après l'administration fiscale française, le contribuable de l'impôt sur les sociétés est bien la société Somapec, il conviendrait alors de tenir compte de toutes les charges afférentes à l'activité de pêche ; qu'il apparaît, en effet, que les résultats de la société en participation résultent d'un prix de vente de poissons supérieur au prix prévisionnel du marché auquel avait été acheté initialement le poisson aux sociétés adhérentes ; qu'ainsi résultat de participation et produit direct de la vente de poissons sont les deux composantes des produits de la pêche réalisée par la société Somapec et transitant intégralement par la société Sovetpar dont les comptes de résultats font apparaître des pertes de 5 621 832 F en 1991 et 2 336 007 F en 1994 ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 septembre 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; le ministre conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes motifs ; il soutient qu'en raison du principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés qui conduit à ne pas retenir les résultats positifs ou négatifs réalisés hors de France, un déficit réalisé hors de France ne peut donc s'imputer sur un bénéfice réalisé en France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil du gouvernement du territoire des Comores tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance réciproque en matière fiscale, signée à Paris le 27 mars 1970 et à Moroni le 8 juin 1970, et approuvée par la loi n° 71-475 du 22 juin 1971 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 novembre 2006 :
- le rapport de M. Pailleret, rapporteur,
- et les conclusions de M. Adrot, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société Mahoraise de Pêche (Somapec), qui exploite un thonier et avait alors son siège social à Mayotte, a été imposée à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1991 et 1994 à raison de sa quote-part des résultats de la société en participation Sovetpar sise à Concarneau ; qu'elle relève appel du jugement en date du 8 juillet 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de ces impositions et des pénalités y afférentes ;
Sur le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés au titre des années 1991 et 1994 :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 du code général des impôts : « ... les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Il en est de même, sous les mêmes conditions : …2°) des membres des sociétés en participation…qui sont indéfiniment responsables et dont les noms et adresses ont été indiqués à l'administration » ; qu'aux termes de l'article 218 bis du même Code : « les sociétés ou personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés... sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu'elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8, 8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d'associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles » ; que les sociétés de personnes mentionnées par les dispositions précitées, qui ont une personnalité distincte de celle de leurs membres ou constituent, comme les sociétés en participation, des entités juridiques distinctes de leurs membres, exercent une activité ou effectuent des opérations qui leur sont propres ; que, dans la mesure où les actes correspondant à cette activité ou ces opérations sont accomplis en France, les bénéfices réalisés par ces sociétés sont, en principe, imposables en France entre les mains de leurs membres, y compris de ceux qui résident hors de France, à proportion des droits qu'ils détiennent dans la société de personnes ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme SOMAPEC, société résidente à Mayotte, est membre de la société en participation Sovetpar qui a pour objet « la mise en commun de toute la production de ses membres et des bénéfices ou des pertes résultant de sa commercialisation et accessoirement l'achat de poissons auprès de tiers en vue de sa vente » ; que s'il est constant que les opérations matérielles de pêche ainsi que celles de vente du poisson aux clients sont en majorité effectuées hors de France par les sociétés de pêche au thon associées de la société Sovetpar, les décisions de commercialisation, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, sont prises en France où la société a son siège ; que les recettes que celle-ci perçoit à raison de son activité de commercialisation sont également encaissées en France ; que, par ailleurs et ainsi qu'il ressort des propres écrits de la société requérante en première instance, le gérant de la société en participation Sovetpar, la société Sovetco, contrôle, gère et organise l'activité de la société Sovetpar depuis la France ; que, par suite, les bénéfices que la société en participation, entité juridique distincte de ses membres, est susceptible de dégager doivent être regardés, au regard des dispositions susmentionnées, comme des bénéfices réalisés dans une entreprise exploitée en France et sont passibles de l'impôt sur les sociétés en France établi au nom des membres de la société en participation à raison des droits que chacun y détient ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance n° 77-450 du 29 avril 1977, prise sur le fondement de la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976, relative à l'organisation de Mayotte : « Le régime fiscal et le régime douanier en vigueur à Mayotte sont maintenus » ; qu'en vertu de cette disposition, la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement du territoire des Comores tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance réciproque en matière fiscale, signée à Paris le 27 mars 1970 et à Moroni le 8 juin 1970 et approuvée par la loi n° 71-475 du 22 juin 1971, reste applicable dans les relations entre la « France », qui, au sens de la convention, s'entend des départements métropolitains et des départements d'Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion), dans lesquels s'applique le code général des impôts, et la collectivité territoriale de Mayotte, à laquelle les dispositions de ce code n'ont pas été étendues ;
Considérant que les stipulations de l'article 9 de ladite convention qui ont pour effet d'attribuer à Mayotte les bénéfices d'une entreprise de ce territoire qui ne dispose pas en « France » d'un établissement stable, au sens de l'article 3 de la même convention, ne visent que les bénéfices et revenus réalisés en propre par une telle entreprise et sont donc sans application dans le cas où cette dernière perçoit, en qualité de membre d'une société en participation, une part des bénéfices que celle-ci tire d'une activité exercée en France ; que si les stipulations de l'article 24 de cette convention en vertu desquelles les revenus non visés expressément aux articles précédents ne sont imposables que dans le territoire où le bénéficiaire a son domicile fiscal, à moins que ces revenus ne se rattachent à l'activité d'un établissement stable que ce bénéficiaire posséderait dans l'autre territoire, ces dispositions qui ne sont applicables que pour l'imposition des personnes qui réalisent ces revenus sont sans application pour déterminer le lieu d'imposition des revenus que la société requérante tire des droits qu'elle détient dans une société soumise au régime des sociétés de personnes ; que par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la part des bénéfices de la société Sovetpar qui lui a été attribuée devrait être imposée à Mayotte en vertu de la convention entre le gouvernement de la République française et le Conseil de gouvernement du territoire des Comores ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition au titre de l'année 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : « L'administration adresse au contribuable une notification de redressements qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le pli contenant la notification de redressements en date du 31 octobre 1994 relative à l'année 1991, a été adressé en recommandé à la seule adresse précise et connue du service, à savoir « place du marché, Mamoudzou, 97 8000 Ile de Mayotte », correspondant à celle du siège social de la société Somapec telle que mentionnée dans ses statuts et communiquée par la société en participation Sovetpar et a été retourné au service avec la mention « inconnu » ; qu'ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il appartenait à la société Somapec, à laquelle incombait l'obligation de déclarer spontanément sa quote-part dans les bénéfices de la société en participation Sovetpar, ce qu'elle n'a pas fait, d'indiquer l'adresse à laquelle elle souhaitait être jointe ; qu'elle n'est ainsi pas fondée à soutenir que la procédure de redressements suivie à son encontre serait viciée pour ce motif ; qu'elle ne saurait utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation de base référencée sous le 13 L-1513 qui, étant relative à la procédure d'imposition, ne contient aucune interprétation formelle d'un texte fiscal ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'il résulte des dispositions rappelées ci-dessus et de celles de l'article 209-I du code général des impôts que si l'imposition de la quote-part lui revenant des bénéfices réalisés par une société de personnes frappe chacun de ses membres individuellement, la détermination du bénéfice net imposable doit être effectuée, avant répartition entre lesdits membres, au niveau de la société elle-même, en ne prenant en compte à titre de charges déductibles que les charges propres de celle-ci, comptabilisées et déduites par elle ; qu'aux termes, par ailleurs, de l'article 11 des statuts de la société en participation Sovetpar : « 1. Les livraisons des adhérents font l'objet d'un règlement immédiat sur des bases fixées par le gérant. 2. Les produits de l'exploitation, déduction faite des règlements immédiats, frais généraux, dont les intérêts servis sur les sommes mises en commun, et autres charges de la société, y compris toutes provisions, constituent les bénéfices nets de la société. Ces bénéfices sont attribués aux associés proportionnellement au tonnage et suivant les catégories de poisson livré au cours de la période par chacun d'eux, dans les conditions fixées au règlement intérieur. Les bénéfices sont partagés dès approbation des comptes annuels » ; qu'il résulte de ces stipulations que les résultats de l'exploitation partagés entre les associés constituent des bénéfices nets de la société en participation Sovetpar, au sens de l'article 38 du code général des impôts, imposables à l'impôt sur les sociétés ; que la société requérante qui n'a pas souscrit les déclarations mentionnant le montant de sa quote-part des bénéfices réalisés par la société en participation Sovetpar et qui a été imposée à raison de sa quote-part des bénéfices déclarés par celle-ci n'apporte aucune justification à l'appui de son allégation selon laquelle la société Sovetpar, nonobstant ses déclarations, n'aurait pas réalisé de bénéfices du fait de son mode de fonctionnement et des modalités de détermination de ses bénéfices nets tels que rappelées ci-dessus, au cours des années en litige et ne saurait, en vertu du principe de territorialité de l'impôt sur les bénéfices qu'énonce l'article 209-I du code général des impôts, soutenir que les pertes qu'elle aurait enregistrées en 1991 et 1994 seraient des charges déductibles des résultats de la société en participation Sovetpar ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société CHEVANNES MERCERON BALLERY n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société CHEVANNES MERCERON BALLERY la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société CHEVANNES MERCERON BALLERY est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société CHEVANNES MERCERON BALLERY et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2006 à laquelle siégeaient :
M. Soumet, président,
M. Pailleret, premier conseiller,
M. Pujalte, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 décembre 2006.
Le rapporteur, Le président,
B. PAILLERET M. SOUMET
Le greffier,
N. VIGNON
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 05PA03504