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09/10/2006 | FRANCE | N°06PA01179

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, Juge des reconduites a la frontiere, 09 octobre 2006, 06PA01179


Vu la requête, enregistrée le 30 mars 2006, présentée par le PREFET DE l'EURE ; le PREFET DE l'EURE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 06-01017, en date du 20 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé à la demande de M. Emmanuel X, son arrêté en date du 17 février 2006, ordonnant la reconduite à la frontière de ce dernier, sur le fondement des dispositions de l'article L. 511-1-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) de rejeter la demande de M

. X devant le Tribunal administratif de Melun ainsi que toute demande fondée sur l'...

Vu la requête, enregistrée le 30 mars 2006, présentée par le PREFET DE l'EURE ; le PREFET DE l'EURE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 06-01017, en date du 20 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé à la demande de M. Emmanuel X, son arrêté en date du 17 février 2006, ordonnant la reconduite à la frontière de ce dernier, sur le fondement des dispositions de l'article L. 511-1-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) de rejeter la demande de M. X devant le Tribunal administratif de Melun ainsi que toute demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative aux réfugiés et le protocole signé à New-York, le 31 janvier 1967 ;

Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée à Schengen le 19 juin 1990, ensemble le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication de cette convention ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ensemble et en tant que de besoin, l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu la loi n° 79-0587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946, modifié, réglementant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu l'arrêté interministériel du 10 avril 1984 relatif aux conditions d'entrée des étrangers sur le territoire métropolitain et dans les départements d'outre-mer français ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 1er septembre 2006, par laquelle le président de la Cour a délégué les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article L. 512-5 du code de justice administrative, à M. André-Guy Bernardin, premier conseiller ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir, au cours de l'audience publique du 14 septembre 2006, présenté son rapport et entendu :

- les observations de Me Rouquette, pour M. X ;

- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation de visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré (...) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Emmanuel X, de nationalité camerounaise, entré en France le 10 novembre 2001 sous couvert d'un visa de quinze jours, s'est maintenu sur le territoire national au delà de la validité de ce visa ; qu'il se trouvait ainsi dans une situation où, en application du 2° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sus rappelé, le préfet territorialement compétent pouvait légalement décider sa reconduite à la frontière ;

Considérant que, pour annuler pour détournement de pouvoir l'arrêté préfectoral en date du 17 février 2006, pris à l'encontre de M. X, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Melun a relevé, d'une part, que ce dernier qui souhaitait contracter mariage avec une ressortissante française alors qu'un contrat de mariage avait été déjà signé le 27 janvier 2006, avait été interpellé le 16 février 2006, par la brigade de gendarmerie d'Evreux, prévenue d'une suspicion de falsification de son passeport, après qu'il se soit rendu à la mairie de Saint Sébastien de Morsent (Eure), où il avait rencontré l'officier d'état civil de cette commune à la suite du dépôt de son dossier de mariage, et, d'autre part, qu'à l'issue de cette interpellation, M. Emmanuel X a été placé en garde à vue pour infraction à la législation sur le séjour des étrangers en France et s'est vu notifier, le lendemain 17 février 2006, un arrêté de reconduite à la frontière pris après que les services préfectoraux aient été informés du projet de mariage de l'intéressé ; que ces seules circonstances ne sont, toutefois, pas suffisantes pour démontrer que l'arrêté litigieux a eu pour motif déterminant d'empêcher le mariage de M. Emmanuel X, alors que celui-ci ne conteste pas se trouver en situation irrégulière depuis 2001 sur le territoire français, et que le PREFET DE l'EURE, qui ne s'est jamais prévalu d'une suspicion de fraude au mariage, s'est borné à mettre en oeuvre les dispositions relatives à la reconduite à la frontière, à raison de la révélation à cette occasion de l'irrégularité du séjour de l'intéressé sur le sol national ; qu'aucune carence ou attentisme de la part des services de la préfecture de l'Eure à tirer les conséquences de l'irrégularité du séjour de M. X ne peuvent leur être reprochés, dès lors que le préfet qui a refusé une autorisation de séjour sollicitée par M. X, alors qu'il résidait à cette époque dans le département des Hauts-de-Seine, est différent de celui qui a pris et notifié l'arrêté de reconduite à la frontière ; que le PREFET DE l'EURE est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Melun s'est fondé sur ce que le préfet aurait commis un détournement de pouvoir en ordonnant la reconduite à la frontière de M. X ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X tant devant elle que devant le Tribunal administratif de Melun ;

Considérant, en premier lieu, que, par arrêté no SG05-0039 du 30 septembre 2005, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Eure, du 13 octobre 2005, le PREFET DE l'EURE, a donné à M. Y, directeur de la réglementation et des libertés publiques, délégation pour signer notamment les arrêtés de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 17 février 2006, par lequel le PREFET DE l'EURE a décidé la reconduite à la frontière de M. X, aurait été signé par une personne ne bénéficiant pas d'une délégation de signature, manque en fait ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ;

Considérant qu'il ressort des pièces au dossier que, d'une part, M. Emmanuel X, né en 1978 au Cameroun, pays dont il a la nationalité et où réside toujours son fils âgé d'une dizaine d'années, ainsi que ses parents, ses deux frères et ses deux soeurs, est entré en France en 2001, et, d'autre part, que s'il a fait connaissance en 2002, d'une ressortissante philippine, qui lui a donné un fils le 6 juillet 2004, il s'en est séparé dès 2005 ; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au caractère récent à la date de la décision prononçant sa reconduite à la frontière, de sa nouvelle vie maritale et aux liens familiaux qu'il conserve dans son pays d'origine, ladite décision n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. Emmanuel X, qui ne justifie pas subvenir aux besoins de son deuxième fils, une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris et ne méconnaît donc pas les stipulations sus rappelées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit » ; que si M. Emmanuel X a fait valoir devant le juge de première instance qu'à la date de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière il était sur le point de contracter mariage avec une personne de nationalité française, l'arrêté attaqué n'a toutefois ni pour objet ni pour effet d'interdire à l'intéressé de se marier ; que, par suite, et en tout état de cause, M. X n'est pas fondé à se prévaloir d'une méconnaissance des stipulations précitées ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ; que, toutefois, il ne ressort des pièces du dossier que M. X qui ne partage plus une communauté de vie avec son deuxième fils, subvienne à ses besoins ; que, par suite, l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 précitées et n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE L' EURE est fondé à demander l'annulation du jugement du 20 février 2006 par lequel le conseiller délégué par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 17 février 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X ainsi que la décision fixant le Cameroun, comme pays de renvoi, et lui a enjoint de réexaminer la situation de ce dernier dans un délai d'un mois ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné sur leur fondement à verser une somme à M. X, au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement en date du 20 février 2006 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande de M. X devant le Tribunal administratif de Melun est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. X tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 06PA01179


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : Juge des reconduites a la frontiere
Numéro d'arrêt : 06PA01179
Date de la décision : 09/10/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. André-Guy BERNARDIN
Rapporteur public ?: M. COIFFET
Avocat(s) : ROUQUETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-10-09;06pa01179 ?
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