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28/06/2006 | FRANCE | N°06PA00199

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, Juge des reconduites à la frontière, 28 juin 2006, 06PA00199


Vu la requête, enregistrée au greffe au greffe de la cour le 18 janvier 2006, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0518402 du 16 décembre 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date 25 octobre 2005 décidant la reconduite à la frontière de M. A...F... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les dispositions de

l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France dès lors ...

Vu la requête, enregistrée au greffe au greffe de la cour le 18 janvier 2006, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0518402 du 16 décembre 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date 25 octobre 2005 décidant la reconduite à la frontière de M. A...F... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Il soutient que l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France dès lors que M. A...peut effectivement bénéficier d'un traitement médical approprié dans son pays d'origine la Turquie, comme l'a estimé le médecin chef du service médical de la préfecture de police ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2006, présenté pour Mlle A...F...par Me Akagunduz, avocat ; Mlle A...demande à la cour de rejeter la requête du PREFET DE POLICE, subsidiairement d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle fixe la Turquie comme pays de renvoi, et de condamner le PREFET DE POLICE à lui verser la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que l'avis médical du médecin chef du service médical de la préfecture de police ne lui a pas été communiqué et est entaché d'une irrégularité de forme dès lors que suivant une circulaire du 5 mai 2000 celui-ci doit, avant d'émettre un avis, être en possession d'un rapport médical établi par un praticien hospitalier ou un médecin agréé, qu'il ne lui a pas été demandé de fournir un tel rapport, qu'elle n'a pas été convoquée et examinée et que le médecin chef ne s'est pas rapproché de ses médecins traitants ; qu'elle suit depuis plus d'un an une hormonothérapie féminisante préparatoire à une intervention chirurgicale, que ce traitement correspond à une indication thérapeutique et ne s'est pas encore achevé et l'interruption des soins entraînerait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; que les raisons médicales qui avaient conduit le PREFET DE POLICE à lui délivrer un titre de séjour sont encore valables ; qu'elle ne pourrait bénéficier en Turquie du traitement approprié pour des raisons tant techniques que culturelles dès lors que le rejet par les autorités médicales turques de ce type de pathologie est avéré ; que subsidiairement, en vertu de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne peut être éloignée à destination de la Turquie dès lors qu'elle y est exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 28 avril 2006, présenté par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE persiste dans les conclusions de sa requête ;

Il soutient qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose la communication de l'avis du médecin chef de la préfecture ; que c'est à l'étranger de constituer son dossier médical et de le transmettre au médecin chef comme il l'a fait et que le médecin chef n'est pas tenu de procéder nécessairement à l'examen clinique de l'étranger ; que le médecin chef n'était en tout état de cause pas lié par son précédent avis ; que le requérant ne démontre pas être dans l'impossibilité de poursuivre son suivi psychiatrique en Turquie ; qu'il ne produit aucun justificatif démontrant la réalité des risques qu'il prétend encourir personnellement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la délégation donnée le 2 janvier 2006 par le président de la cour à M.C..., magistrat ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 14 juin 2006 :

- le rapport de M.C..., magistrat délégué,

- les observations de Me Akagunduz, pour M.A...,

- et les conclusions de M. Magnard, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le PREFET DE POLICE peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou de retrait " ; que, par une décision du 5 juillet 2005 notifiée le même jour, le PREFET DE POLICE a rejeté la demande de MA..., de nationalité turque, tendant au renouvellement d'un titre de séjour temporaire présentée sur le fondement des dispositions du paragraphe 11° à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que M. A...s'étant maintenu sur le territoire plus d'un mois à compter de la notification de cette décision se trouvait dans l'un des cas prévu par les dispositions susmentionnées où le PREFET DE POLICE peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant il est vrai que suivant l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit ...11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire " ; que suivant l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi " ;

Considérant que si M.A... fait valoir qu'entré en France en février 2001, il suit depuis un an une hormonothérapie féminisante préparatoire à une intervention chirurgicale, il ressort des pièces du dossier que la prise d'hormones par l'intéressé, initialement sans aucun suivi médical, ne correspondait pas à une indication thérapeutique mais à un choix personnel ; qu'il n'est pas établi que l'interruption de ce traitement, prescrite dès le 23 mars 2004, et dont les effets sont en grande partie réversibles, est impossible sur le plan physiologique ou pourrait entraîner pour M. A... des conséquences, notamment psychologiques, d'une exceptionnelle gravité ; que, dans ces conditions, le PREFET DE POLICE n'a pas méconnu les dispositions combinées du 11° de l'article L. 313-11 et du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, c'est à tort que le conseiller délégué par le président du Tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 2005 ordonnant la reconduite à la frontière de M.A..., sur le motif que le PREFET DE POLICE a fait une inexacte application des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :

Considérant que Mme D...E..., chargée de mission auprès du sous-directeur de l'administration des étrangers de la préfecture de police, qui a signé l'arrêté attaqué, a reçu délégation de signature par un arrêté du PREFET DE POLICE en date du 6 décembre 2004 publié au bulletin municipal de la ville de Paris le 7 décembre 2004 ; que cette délégation l'habilitait à signer tant la décision de reconduite à la frontière que la décision fixant le pays de renvoi ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué manque en fait ;

Considérant que l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'encontre de M.A... le 25 octobre 2005, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé ;

Considérant que, l'arrêté du PREFET DE POLICE ordonnant la reconduite à la frontière de M. A...n'est pas entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Considérant que l'invocation des mauvais traitements auxquels la transformation physique de l'intéressé risquerait de l'exposer dans le pays de renvoi est sans incidence sur la légalité de la mesure de reconduite prise à son encontre ;

Sur l'exception d'illégalité de la décision portant refus de renouvellement d'un titre de séjour du 5 juillet 2005 :

Considérant que, contrairement à ce que soutient M. A...le médecin chef du service médical de la préfecture de police a pu émettre un avis sur son état de santé au seul vu de son dossier, sans le convoquer pour un examen, en l'absence de toute disposition législative et réglementaire contraire ; que si M. A...soutient que l'avis du médecin chef du service médical de la préfecture de police, en date du 26 mai 2005, ne lui a pas été communiqué, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait une telle communication ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des certificats médicaux produits par M.A..., qu'à la date du 5 juillet 2005 à laquelle le PREFET DE POLICE a refusé de renouveler le titre de séjour temporaire valable un an délivré à l'intéressé le 5 mai 2004, l'état de santé de ce dernier nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; qu'ainsi, en refusant de lui délivrer un nouveau titre de séjour, le PREFET DE POLICE, qui n'était pas lié par sa précédente décision prise après avis favorable du médecin chef du service médical de la préfecture de police n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

Considérant que suivant l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ;.

Considérant que M. A...fait valoir à l'encontre de la décision attaquée les risques de mauvais traitement auxquels il sera personnellement exposé en cas de retour dans son pays d'origine en raison de la situation faite aux transsexuels en Turquie ; qu'eu égard à son apparence physique et à son mode de vie, la réalité des risques invoqués en cas de retour de l'intéressé en Turquie doit être regardée comme suffisamment établie par les pièces du dossier ; qu'ainsi, l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée par M.A..., que le PREFET DE POLICE est seulement fondé à demander la réformation du jugement du 16 décembre 2005 en tant que, par ledit jugement, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'article 1er de son arrêté du 25 octobre 2005 prescrivant la reconduite à la frontière de M. A...et lui a enjoint en conséquence de réexaminer le droit au séjour de l'intéressé ; qu'en revanche, le surplus des conclusions du PREFET DE POLICE tendant au rejet de la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif aux fins d'annulation de l'article 2 de cet arrêté en tant que ledit article rend possible sa reconduite à destination du pays dont il a la nationalité doit être rejeté ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. A...la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 2005 est réformé en tant qu'il a annulé l'article 1er de l'arrêté du PREFET DE POLICE du 25 octobre 2005 prescrivant la reconduite à la frontière de M. A...et enjoint au PREFET DE POLICE de réexaminer le droit au séjour de l'intéressé.

Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'article 1er de l'arrêté du 25 octobre 2005 prescrivant sa reconduite à la frontière et à ce qu'il soit enjoint au PREFET DE POLICE de réexaminer le droit au séjour de l'intéressé est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du PREFET DE POLICE est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. A...F...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'INTERIEUR ET DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE et à M. A...F.... Copie en sera adressée au PREFET DE POLICE de Paris.

Lu en audience publique le 28 juin 2006.

Le magistrat délégué,

J. C...

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 06PA00199


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-02-01 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Légalité interne. Étrangers ne pouvant faire l`objet d`une OQTF ou d`une mesure de reconduite.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean ALFONSI
Rapporteur public ?: M. MAGNARD
Avocat(s) : Avocat1

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : Juge des reconduites à la frontière
Date de la décision : 28/06/2006
Date de l'import : 21/08/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 06PA00199
Numéro NOR : CETATEXT000037319149 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2006-06-28;06pa00199 ?
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