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08/11/2004 | FRANCE | N°01PA00837

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3eme chambre - formation a, 08 novembre 2004, 01PA00837


Vu la requête, enregistrée le 1er mars 2001, présentée pour l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, dont le siège est ..., par Me Z... ; l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG demande à la cour d'annuler le jugement n° 9817561/6 du 12 décembre 2000 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser à Mme , veuve , outre 5 000 F au titre des frais de procédure, la somme de 800 000 F en réparation du préjudice subi par sa fille Mme du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 1 050 221 F ;

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Vu la requête, enregistrée le 1er mars 2001, présentée pour l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, dont le siège est ..., par Me Z... ; l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG demande à la cour d'annuler le jugement n° 9817561/6 du 12 décembre 2000 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser à Mme , veuve , outre 5 000 F au titre des frais de procédure, la somme de 800 000 F en réparation du préjudice subi par sa fille Mme du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 1 050 221 F ;

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 octobre 2004 :

- le rapport de Mme Pellissier, rapporteur,

- les observations de Me X..., pour l'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DU SANG, et celles de Me Y..., pour Mme ,

- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme Z , née en octobre 1957, était traitée depuis l'enfance pour une malformation rénale diagnostiquée quand elle avait 9 ans ; que son état évoluant défavorablement, elle a subi une intervention chirurgicale début 1983, puis des dialyses bi-hebdomadaires à compter du mois d'août 1983 dans l'attente d'une transplantation rénale réalisée le 14 janvier 1985 ; que d'après les témoignages produits, son état, malgré une hépatite non A non B diagnostiquée dès avril 1984, s'est stabilisé jusqu'aux années 1990-1991, où sont apparus une asthénie majeure et des problèmes d'oedèmes et d'essoufflement ; qu'hospitalisée de nouveau à de nombreuses reprises en 1997 et 1998, Mme est décédée à l'âge de 41 ans dans le service de néphrologie de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, dans l'attente d'une double greffe foie-rein, le 18 décembre 1998 ;

Considérant que par le jugement litigieux le Tribunal administratif de Paris a déclaré l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, venant aux droits de l'assistance publique-hôpitaux de Paris, responsable de la contamination de Mme Z , par le virus de l'hépatite C et a condamné cet établissement à verser à Mme veuve , sa mère et unique héritière, une somme de 800 000 F en réparation du préjudice subi par sa fille et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 1 050 221 F en remboursement de ses débours ; que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG demande l'annulation de ce jugement et Mme , par la voie de l'appel incident, sa réformation afin que la somme que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG a été condamné à lui verser soit portée à 2 750 000 F ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme Z , dont le bilan hépatique était normal en mai 1982 lors de sa vaccination contre l'hépatite B, a présenté un pic cytolytique révélateur d'une hépatite non A non B (diagnostiquée hépatite C en mai 1993) dès le mois d'avril 1984 ; qu'entre ces deux dates, elle a, du fait de sa maladie rénale, subi à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, dépendant de l'assistance publique-hôpitaux de Paris, d'une part, à compter d'août 1983, deux séances hebdomadaires d'hémodialyse, soit 33-34 au total en huit mois, d'autre part la transfusion de 10 concentrés globulaires de soutien , entre le 3 février 1983 et le 7 février 1984 ; que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG , qui s'est substitué à l'assistance publique -hôpitaux de Paris dans ses obligations relatives à l'indemnisation des victimes de transfusions sanguines en application de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 susvisée, soutient que les circonstances de l'affaire ne sont pas suffisantes pour faire présumer que Mme a été contaminée lors des transfusions sanguines, dès lors qu'il existe un risque infectieux majeur lors des opérations de dialyse ; que cependant les études scientifiques qu'il cite ne distinguent pas, lorsqu'elles font état d'un pourcentage important de personnes hémodialysées contaminées par le virus de l'hépatite C, celles qui ont contracté ce virus hors de toute transfusion et celles qui, comme la requérante, ont bénéficié de transfusions en provenance de donneurs, se contentant d'indiquer que la possibilité de transmission du virus de l'hépatite C par du matériel médical insuffisamment décontaminé a été évoquée chez les sujets hémodialysés en dehors de toute transfusion ; que la circonstance que des circulaires de 1995 et 1999 auraient insisté sur les mesures d'asepsie à prendre pour le nettoyage du matériel d'hémodialyse ne suffit pas par ailleurs à établir qu'il n'y aurait pas été procédé dès 1983-1984 à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière ; que par contre si la probabilité de contamination par des produits sanguins labiles provenant d'un seul donneur est inférieure à celle des produits obtenus par mélange de milliers de plasmas, cette probabilité était importante dans les années 1983-1984 dès lors qu'aucun contrôle des marqueurs de l'hépatite C n'était possible ; que dans ces conditions, Mme est fondée à invoquer la présomption de l'article 102 précité ; que l'enquête transfusionnelle menée sur les dix concentrés globulaires incriminés n'a permis d'innocenter qu'un seul donneur ; que dès lors l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, qui ne démontre pas que la transfusion n'est pas à l'origine de la contamination, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux, le Tribunal administratif de Paris l'a déclaré responsable de la contamination de Mme Z par le virus de l'hépatite C ;

Sur le préjudice :

Considérant en premier lieu qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise en référé déposé le 24 juin 1998, que Mme , du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, a dû subir de nombreux examens hépatiques, dont quatre biopsies entre 1986 et 1996, a dû être hospitalisée à plusieurs reprises à compter de février 1997 pour la ligature de varices oesophagiennes puis pour décompensation oedémato-ascitique , soins qui peuvent être considérés comme conséquences de la seule hépatite ; que cependant il ressort d'un certificat médical du 21 octobre 1998 joint au dossier que son dernier séjour hospitalier, du 16 septembre 1998 à son décès le 18 décembre 1998 dans le service de néphrologie de l'hôpital de la Pitié-Salpètrière, était motivé par une insuffisance rénale arrivée au stade terminal après une transplantation rénale en 1985 et une insuffisance hépatique sévère secondaire à une hépatite C et que Mme était alors en attente d'une double transplantation foie-rein ; qu'ainsi l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'ensemble des débours dont faisait état la caisse primaire d'assurance maladie à compter de 1997 étaient en lien avec l'hépatite ; que si les séjours hospitaliers du 22 au 25 juin 1997 pour la ligature de varices oesophagiennes (d'un coût de 13 530 F) et du 25 octobre 1997 au 7 novembre 1997 pour un épisode de décompensation oedemato-ascitique (d'un coût de 58 630 F) peuvent dans leur totalité, alors même qu'il y a aussi été effectué des examens des fonctions rénales, pulmonaires ou gynécologiques, être imputés à l'hépatite, les hospitalisations de l'année 1998 (d'un coût total de 965 422 F) ne peuvent être considérées, en l'absence de plus de précisions apportées par la caisse, que pour moitié, soit à hauteur de 482 711 F, comme imputables à la contamination de Mme par l'hépatite et pour le restant aux autres pathologies, principalement l'insuffisance rénale, dont elle souffrait ; que la caisse ne démontre pas que les frais médicaux qu'elle indique avoir exposés à hauteur de 12 629 F étaient en lien avec l'hépatite ; qu'ainsi les frais médicaux imputables à la contamination de Mme par l'hépatite C s'élèvent au total à 554 871 F, soit 84 589,54 euros ;

Considérant en second lieu que si Mme fait valoir que l'hépatite l'a privée de revenus professionnels, il ne résulte d'aucune pièce du dossier qu'elle aurait effectivement cherché ou trouvé un emploi, notamment pendant la période suivant la greffe rénale et jusqu'aux années 1990-1991 où, suivant les nombreux témoignages produits, elle aurait mené une vie à peu près normale ; que l'incapacité temporaire totale dont elle a souffert pendant ses périodes d'hospitalisation n'a pas non plus généré de perte de revenu ;

Considérant en troisième lieu que les nombreux examens et traitements médicaux subis par Mme Z du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, notamment les quatre biopsies et les interventions pour la ligature de varices oesophagiennes précitées, ont été pour celle-ci à l'origine de douleurs physiques importantes ; qu'il y a lieu de chiffrer à 7 500 euros la somme due en réparation de ce préjudice ;

Considérant enfin que Mme , qui est décédée fin 1998 à l'âge de 41 ans , a subi au moins à compter de 1993 du fait de l'hépatite contractée précédemment une incapacité permanente partielle s'ajoutant à celle contractée du fait de son insuffisance rénale ; que cette hépatite lui a causé des troubles de toute nature dans sa vie privée, dont des souffrances morales liées aux incertitudes sur son état de santé ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, qui recouvre également les préjudices d'agrément et d'établissement et sexuel invoqués par Mme , en fixant à 75 000 euros l'indemnité due à ce titre, dont les deux tiers au titre des préjudices non physiologiques ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice total causé par les transfusions sanguines dont l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est responsable s'élève à la somme de 167 089,54 euros, dont 109 589,54 euros réparent des préjudices physiologiques et 57 500 euros des préjudices personnels ;

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris a comme dit ci-dessus droit à être indemnisée des frais d'hospitalisation de Mme Z à hauteur de la somme de 84 589,54 euros ; qu'elle a droit aux intérêts sur cette somme à compter du 27 septembre 1999, date de sa première demande ;

Sur les droits de Mme :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme totale due par l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG à Mme venant aux droits de sa fille Z , en réparation du préjudice que lui a causé l'hépatite C qu'elle a contractée par transfusion, s'élève à 82 500 euros ; que cette somme portera intérêt à compter de la date de réception par l'administration, en mars 1987, de la demande préalable de Mme ; qu'à la date du 15 septembre 1998 à laquelle a été demandée la capitalisation des intérêts, une année au moins était due ; qu'il y a lieu dès lors, en application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande tant à cette date que, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que Mme n'a par la suite déposé qu'une nouvelle demande de capitalisation, à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est fondé à demander la réformation du jugement litigieux en tant qu'il le condamne à verser à la caisse primaire d'assurance maladie et à Mme des sommes supérieures aux sommes définies par les présent arrêt ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la parte tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à verser à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, qui n'est pas la partie perdante, verse à Mme et à la caisse primaire d'assurance maladie les sommes qu'elles demandent au titre des frais de procédure qu'elles ont exposés ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 800 000 F que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG a été condamné à verser à Mme par l'article 1er du jugement du 12 décembre 2000 susvisée est ramenée à 82 500 euros. Cette somme portera intérêts à compter du jour de réception par l'administration de la demande préalable de Mme . Les intérêts échus le 15 septembre 1998 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-même intérêts.

Article 2 : La somme de 1 050 221 F que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris par l'article 3 du jugement du 12 décembre 2000 susvisé est ramenée à 84 589,54 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 12 décembre 2000 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG et des conclusions de Mme et de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris est rejeté.

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N° 01PA00837


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3eme chambre - formation a
Numéro d'arrêt : 01PA00837
Date de la décision : 08/11/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme COROUGE
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme FOLSCHEID
Avocat(s) : CABINET HOUDART.

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2004-11-08;01pa00837 ?
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