Vu enregistrée le 25 août 1999 au greffe de la cour, la requête présentée pour M. et Mme X par Me PLANCHAT, avocat ; M. et Mme X demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 973124-9819 en date du 20 mai 1999 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande en décharge des compléments d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale généralisée mis à leur charge au titre des années 1992, 1993 et 1994 ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
4°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 50 000 F au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l 'audience publique du17 mars 2004 :
- le rapport de M. BOSSUROY, premier conseiller,
- et les conclusions de M. MAGNARD, commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société Almed, exerçant une activité de négoce de prothèses médicales, portant sur les années 1992 à 1994, l'administration a imposé entre les mains de M. et Mme X, en tant que revenus distribués, une partie des redressements apportés aux résultats imposables de ladite société ; que M. et Mme X, qui exerçaient les fonctions respectives de directeur général et de président-directeur général de la société dont ils détenaient la quasi-totalité du capital, font appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté leurs demandes de décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée correspondants ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle :
Considérant qu'aux termes de l'article L.16 B du livre des procédures fiscales : Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices... , elle peut... autoriser les agents de l'administration des impôts... à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus et procéder à leur saisie... VI. L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en oeuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L.47 ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'obligation pour l'administration de procéder à une vérification de comptabilité ou un examen contradictoire de situation fiscale personnelle pour pouvoir opposer les informations recueillies lors de la procédure de visite et de saisie ne concerne que le contribuable visé par ladite procédure ; qu'il résulte de l'instruction que la procédure diligentée par l'administration sur le fondement des dispositions précitées avant l'engagement d'une vérification de comptabilité de la société Almed ne visait que cette société soupçonnée d'avoir mis en place entre elle et ses fournisseurs une société écran domiciliée dans un territoire à fiscalité privilégiée ; que, dès lors, et nonobstant la circonstance qu'elle se soit déroulée, aux fins de rechercher la preuve de ces agissements, à la fois dans les locaux de l'entreprise et dans le domicile personnel des requérants, l'administration pouvait fonder les redressements notifiés à M. et Mme X, qui n'étaient pas en l'espèce les contribuables visés par la procédure prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, sur des informations recueillies dans le cadre de la procédure de visite et de saisie sans engager à leur encontre un examen contradictoire de situation fiscale personnelle ;
En ce qui concerne le moyen tiré d'une violation du secret médical :
Considérant qu'aux termes de l'article 226-13 du code pénal : La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou profession, soit à raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de la notification de redressements du 10 mai 1996, que, pour établir l'existence de revenus distribués par la société Almed, le service s'est notamment fondé sur quatre fiches établies par cette société portant des informations relatives à des implantations de prothèses et révélant la réalisation de ventes non déclarées à des médecins marocains pour des montants de 120 000 F en 1993 et 40 000 F en 1994 ; que ces fiches comportant le nom du patient, le nom du chirurgien et les dates d'intervention, l'examen de telles pièces a constitué une violation du secret médical ; que l'exploitation d'informations issues de cette consultation, dans le cadre du contrôle des déclarations des époux X, est dès lors de nature à entraîner la réduction des bases d'imposition correspondant aux redressements en résultant alors même que ladite consultation a eu lieu au cours de la vérification de comptabilité de la société Almed ;
Considérant, que, contrairement à ce que soutient le défendeur, le secret médical s'impose à toute personne qui en est dépositaire dans les conditions prévues par l'article précité du code pénal et non pas seulement aux praticiens qui sont en contact avec les malades ; que le ministre n'est pas non plus fondé à soutenir que seule la régularité de redressements notifiés à la personne tenue au secret peut être affectée par la violation de celui-ci ; que la consultation des fiches consacrées à des opérations d'implantations de prothèses constitue une violation du secret médical par le service même si lesdites fiches concernaient des patients et des praticiens domiciliés au Maroc( ;
Considérant, en revanche, que l'examen par le service de documents couverts par le secret médical ne peut que rester sans influence sur la régularité de rehaussements d'impositions sans rapport avec les faits révélés par cet examen ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la violation du secret médical résultant de la consultation des fiches en cause devrait entraîner la décharge de la totalité des impositions en litige doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les bases d'imposition assignées à M. et Mme X doivent être réduites de 120 000 F au titre de l'année 1993 et de 40 000 F au titre de l'année 1994 ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant que les requérants contestent les redressements notifiés à la société Almed qualifiés de revenus distribués dont ils ont été bénéficiaires ;
En ce qui concerne les redressements fondés sur l'article 57 du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 57 du CGI, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du Code : Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférées à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France... A défaut d'éléments précis pour opérer les redressements prévus aux alinéas précédents, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ; que ces dispositions, sous réserve que l'administration ait établi l'existence d'un lien de dépendance entre l'entreprise située en France et l'entreprise située hors de France ainsi que des majorations ou minorations de prix, ou des moyens analogues de transfert de bénéfices, instituent une présomption pesant sur le contribuable lequel ne peut obtenir, par la voie contentieuse, la décharge ou la réduction de l'imposition établie en conséquence qu'en apportant la preuve des faits dont il se prévaut pour démontrer qu'il n'y a pas eu transfert de bénéfices ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société Almed achetait à la société Medical International Orthopedic Supplies (Mios) les prothèses médicales qu'elle revendait ensuite à des médecins ; que la société Mios, dont le siège social était situé dans l'île d'Aruba était dirigée par Mme X, président-directeur général de la société Almed, qui en assurait la gestion au sein de ses propres locaux ; que l'existence d'un lien de dépendance entre la société Mios et la requérante n'est pas contestée ;
Considérant que les prothèses étaient commandées directement par la société Almed à plusieurs sociétés installées aux Etats-Unis, au Japon et en France, qui livraient directement les produits à la requérante tout en adressant leurs factures à la société Mios ; que celle-ci refacturait ensuite chaque livraison à la société Almed avec un coefficient multiplicateur variant d'environ 2 à 3 pendant la période d'imposition ; qu'en se fondant sur ces différentes circonstances de fait, l'administration a pu à bon droit estimer que la différence entre les prix facturés par les fournisseurs d'origine à la société Mios et ceux facturés par cette dernière à la société Almed pour les mêmes livraisons constituait un transfert de bénéfice à l'étranger de la part de la société requérante sans qu'il soit besoin d'établir une comparaison entre les prix auxquels les produits étaient vendus à la société Mios et ceux pratiqués pour d'autres sociétés, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus la société MIOS était entièrement dépendante de la société Almed et qu'il est constant que les fournisseurs d'origine étaient sans lien de dépendance avec l'une ou l'autre de ces deux sociétés ;
Considérant que les dispositions de la note de la direction générale des impôts du 4 mai 1973 référencée 4 A-2-73 et de la documentation administrative 4 A-1211 en date du 1er septembre 1985 indiquant que, pour apprécier l'existence d'un transfert de bénéfice à l'étranger, il convient de se référer aux prix auxquels le fabricant étranger vend généralement les mêmes produits à des sociétés indépendantes, vise le cas d'achats effectués par une filiale auprès de sa société mère étrangère ; que la société Almed n'entrant pas dans ces prévisions, les requérants ne peuvent se prévaloir de cette doctrine administrative sur le fondement des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ;
Considérant, en second lieu, que l'administration a également réintégré en tant que transfert de bénéfices à l'étranger cinq sommes qu'elle a considérées comme des achats fictifs auprès de la société Mios ; que si, pour les sommes de 213 805 F, 123 336 F et 27 461 F portées en comptabilité respectivement le 4 mai 1992, 5(novembre 1992 et 7 septembre 1993 la société Almed a présenté les factures émises par la société Mios, l'administration, en invoquant sans être contredite le défaut d'inscription des achats et reventes correspondants dans les écritures de la société Mios et l'absence de document douaniers, apporte des indices sérieux de la fictivité desdites factures, tandis que les requérants ne justifient pas, comme cela leur incombe dans ces conditions, de la réalité des achats litigieux ; qu'il ressort en revanche de la copie de l'extrait du grand-livre de la société Almed produit au dossier et dont l'administration ne conteste pas l'authenticité, que les sommes de 376 757 F et 167(816 F ont été inscrites le 26 juillet 1994 au débit du compte client de la société Mios ; que ces sommes n'ayant dès lors pas été déduites du résultat imposable de la société Almed l'administration n'était pas fondée à les réintégrer audit résultat, nonobstant la circonstance qu'il n'est pas établi qu'elles correspondraient à des avoirs émis par la société Almed ; qu'il y a lieu, par suite, de prononcer également la réduction de la base d'imposition assignée à M. et Mme X au titre de l'année 1994 à concurrence de ces deux dernières sommes d'un total de 544 573 F ;
En ce qui concerne le redressement fondé sur l'article 238 A du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France ;
Considérant qu'en application de ces dispositions l'administration a réintégré au résultat imposable de la société Almed une somme de 257 550 F facturée par la société Mios comme rémunération de prestations de recherches et d'études d'une prothèse de cheville ; que le ministre fait valoir, sans être contredit, que les sociétés commerciales domiciliées dans l'île d'Aruba ne sont soumises qu'à une imposition sur les bénéfices s'élevant au taux maximal de 3 % alors que le taux de l'impôt sur les sociétés s'élevait à 34 % en France au titre de l'année 1992 et qu'en outre aucun élément n'indique que la société MIOS aurait été soumise dans ce territoire à une quelconque imposition ; que l'administration doit être ainsi regardée comme établissant que la société Mios était soumise à un régime fiscal privilégié ; que les requérants n'apportent pas la preuve, qui, dès lors, leur incombe, de la réalité des prestations facturées ;
En ce qui concerne la réintégration aux résultats de la société Almed d'autres sommes comptabilisées en charges :
Considérant, en premier lieu, que l'administration expose sans être contredite que les charges réintégrées aux résultats imposables de la société sont constituées, d'une part, de frais remboursés à Mme X, président-directeur général, et à M. X, directeur général, détenant ensemble la quasi-totalité du capital, comprenant des indemnités kilométriques ne correspondant pas à l'utilisation d'un véhicule personnel pour les besoins de la société, des frais de restauration justifiés par des fausses notes de restaurant établies par la société elle-même à l'aide de timbres humides détenus dans ses locaux, de frais de voyages de nature privée, et, d'autre part, de frais de personnel relatifs à l'emploi d'une personne ne travaillant pas pour l'entreprise, de dépenses concernant des locaux utilisés à titre privatifs par M. et Mme X et de frais divers sans rapport avec l'activité de la société ; qu'il résulte de ces faits non contestés que l'administration apporte la preuve que lesdites charges n'ont pas été exposées dans l'intérêt de la société et ne pouvaient, dès lors, être comptabilisées en charges déductibles ;
Considérant, en second lieu, que le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, pour une partie des charges litigieuses, M. et Mme(X supportaient la charge de la preuve qu'elles avaient été engagées dans l'intérêt de l'exploitation sur le fondement de l'article 39-5 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif ne leur a accordé qu'une réduction insuffisante des compléments d'impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 1994 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. et Mme X la somme de 1 000 € ;
D E C I D E
Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu et à la contribution sociale généralisée assignées à M. et Mme X au titre des années 1993 et 1994 sont réduites respectivement des sommes de 120 000 F et 584 573 F.
Article 2 : M. et Mme X sont déchargés des compléments d'impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée correspondants aux réductions de bases d'imposition définies à l'article 1.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Melun n° 973124-9819 du 20(mai(1999 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme X la somme de 1(000(€ en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X est rejeté.
10
2
N° 99PA02903
Classement CNIJ : 19-01-01-03-02
C+ 19-01-03-01-02-03
19-04-01-04-03
19-04-02-01-04-082
19-04-02-03-01-01-02