Vu, enregistrée au greffe de la cour le 6 août 1999, la requête présentée pour M. Christian X, demeurant à ..., par Me JOVANOVIC, avocat ; M. X demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 6 avril 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions implicites du ministre de l'économie et des finances refusant de lui communiquer son dossier administratif et le télégramme de l'ambassadeur de France en Lettonie demandant son rappel et, d'autre part, condamné l'Etat à lui verser une somme de 120.000 F (18.293,88 euros), qu'il estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'il a subi du fait des décisions le plaçant en instance d'affectation et mettant fin à son contrat à compter du 1er juillet 1995 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de refus de communication ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 200.000 F (30.489,80 euros) en réparation du préjudice moral subi, la somme de 696.802 F (106.226,78 euros) au titre de la perte de revenus, la somme de 1.290.000 F (196.659,23 euros) au titre des heures supplémentaires effectuées, la somme de 10.197 F (1.554,52 euros) au titre des frais de voyage et du changement de résidence et d'emploi, la somme de 297.545 F (45.360,44 euros) en réparation des préjudices financiers ainsi que celle de 120.000 F (18.293,88 euros) correspondant aux prélèvements effectués par l'Etat sur son indemnité de licenciement ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 16.000 F (2.439,18 euros) au titre des frais irrépétibles ;
............................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu le décret n° 69-697 du 18 juin 1969 ;
Vu le décret n° 79-433 du 1er juin 1979 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 février 2004 ;
- le rapport de M. DUPOUY, premier conseiller,
- les observations de Me JOVANOVIC, avocat, pour M. X,
- et les conclusions de M. HAÏM, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que M. X, agent contractuel affecté en qualité de chef des services d'expansion économique à Riga (Lettonie), a été informé, au cours d'un entretien à l'administration centrale auquel il a été convoqué le 7 décembre 1994, que l'ambassadeur de France en Lettonie avait demandé son rappel d'urgence à compter du 15 décembre 1994 et qu'il serait placé dans la situation d'instance d'affectation à compter du 1er janvier 1995, en application de l'arrêté interministériel du 24 avril 1972 fixant les conditions d'application notamment du décret susvisé du 18 juin 1969 aux agents contractuels du ministère de l'économie et des finances en fonctions à l'étranger dans les services de l'expansion économique ou dans les services financiers ; que, par une lettre en date du 8 mars 1995, M. X a été informé de la décision de l'administration de mettre fin à son contrat à compter du 1er juillet 1995 pour suppression d'emploi ; que M. X relève appel du jugement du 6 avril 1999 en tant que par ce jugement, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre les décisions implicites du ministre de l'économie et des finances refusant de lui communiquer son dossier administratif ainsi que le télégramme de l'ambassadeur de France en Lettonie demandant son rappel et, d'autre part, condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 120.000 F (18.293,88 euros), qu'il estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'il a subi du fait des décisions de placement en instance d'affectation et de licenciement pour suppression d'emploi ; que, par la voie du recours incident, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie demande à la cour d'annuler le jugement du 6 avril 1999 en tant qu'il a annulé les décisions susmentionnées et accordé une indemnité au requérant ;
Sur la légalité des décisions litigieuses :
En ce qui concerne le refus de communication du télégramme de l'ambassadeur de France en Lettonie demandant le rappel de M. X :
Considérant que M. X a demandé au directeur des relations économiques extérieures, par lettre du 22 février 1995, de lui communiquer le document par lequel l'ambassadeur de France en Lettonie avait demandé son rappel en France ; que la commission d'accès aux documents administratifs, informée par l'administration que la procédure de rappel en France de l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'un document administratif spécifique, a, dans sa séance du 21 décembre 1995, déclaré sans objet la demande d'avis portant sur la communication de cette pièce, présentée par M. X ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, contrairement aux affirmations de ce dernier relatives à l'envoi par l'ambassadeur d'un télégramme demandant son rappel, un tel document ait été établi par l'administration ; qu'ainsi, en ne donnant pas suite à la demande de communication dont l'avait saisi M. X, le directeur des relations économiques extérieures n'a pas méconnu les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 ;
En ce qui concerne le refus de communication du dossier administratif :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, M. X a demandé communication de son dossier administratif par lettre du 27 juin 1995 adressée au directeur des relations économiques extérieures ; que cette circonstance n'est plus contestée en appel par le ministre ; que, dès lors, M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de cette demande ;
En ce qui concerne la décision plaçant M. X en situation d'instance d'affectation :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'il existait entre l'ambassadeur de France en Lettonie et M. X de graves difficultés relationnelles qui ont conduit l'ambassadeur à demander le rappel de M. X en France, en application de l'article 9 du décret du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'Etat à l'étranger ; qu'en conséquence de ce rappel, l'administration a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, placer M. X en situation d'instance d'affectation à compter du 1er janvier 1995 ; que l'intéressé, qui a été informé des motifs de cette décision au cours de l'entretien du 7 décembre 1994 et ainsi mis à même de demander la communication de son dossier, n'est pas fondé à soutenir que ladite décision a été prise à la suite d'une procédure irrégulière ; que, dès lors, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision plaçant M. X en situation d'instance d'affectation ;
En ce qui concerne la décision du 8 mars 1995 mettant fin au contrat de M. X à compter du 1er juillet 1995 :
Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret susvisé du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger : Le contrat prend fin : ... 2° A tout moment, s'il est dénoncé par l'administration : moyennant un préavis de trois mois en cas de licenciement par suite de suppression d'emploi ou d'insuffisance professionnelle ;
Considérant qu'il n'est pas contesté par l'administration que les suppressions d'emplois budgétaires d'agents contractuels de catégorie A décidées en 1995 concernaient des emplois classés dans la première catégorie A, alors que M. X occupait un emploi de deuxième catégorie A ; que, si le ministre soutient qu'au moment des faits litigieux, il était d'usage, en cas de suppression de postes de contractuels A, de ne pas faire de distinction entre les première et deuxième catégories A, il ne ressort, toutefois, pas des dispositions de l'article 4 du décret du 18 juin 1969 et des articles 2 et 3 de l'arrêté susmentionné du 24 avril 1972 que les qualifications requises des agents de première catégorie A, les postes qu'ils ont vocation à occuper et leur situation indiciaire soient identiques aux qualifications, emplois et situation indiciaire des agents de deuxième catégorie A ; que, dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif a estimé que la décision du directeur des relations économiques extérieures mettant fin au contrat de M. X à compter du 1er juillet 1995 pour suppression d'emploi avait été prise pour un motif inexact ; que, par suite, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé cette décision ;
Sur les conclusions indemnitaires :
Considérant que l'illégalité dont est entachée la décision mettant fin au contrat de M. X a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
En ce qui concerne le préjudice lié à la perte de rémunération :
Considérant que M. X a droit à une indemnité correspondant à la différence entre, d'une part, le traitement net calculé en fonction de l'indice prévu à son contrat et les indemnités qui en constituent l'accessoire (indemnité de résidence et supplément familial de traitement), à l'exclusion des indemnités représentatives de frais et des éléments de rémunération liés à l'exercice effectif des fonctions et à l'affectation à l'étranger, et, d'autre part, les allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période litigieuse ; qu'il ressort des pièces du dossier que, pour la période du 1er juillet 1995 au 18 mai 1996, date d'expiration de son contrat, M. X aurait perçu une rémunération nette de 120.897 F ; que l'examen des bulletins de paie produits par le requérant fait apparaître qu'il a perçu pour cette même période, au titre de l'indemnisation de la perte d'emploi, une somme totale de 76.347 F ; qu'ainsi, le requérant est seulement fondé à demander le versement, au titre de la perte de revenus, d'une indemnité de 44.550 F (6.791,60 euros) ;
En ce qui concerne la perte d'une chance de titularisation :
Considérant que, si M. X était en fonction à la date de publication de la loi n° 83-481 du 11 juin 1983 et remplissait alors les conditions fixées à l'article 73 de la loi du 11 janvier 1984 pour avoir vocation à être titularisé, il a, en démissionnant de ses fonctions en 1984, perdu le bénéfice de cette possibilité de titularisation, qu'il n'a pas recouvré du fait de son nouveau recrutement par l'administration en 1987 ; qu'ainsi, et alors que le requérant n'établit pas qu'il tenait d'autres dispositions un quelconque droit à titularisation, ses conclusions tendant à l'indemnisation de la perte d'une chance sérieuse d'être titularisé du fait de son licenciement illégal doivent être rejetées ;
En ce qui concerne le préjudice lié aux heures supplémentaires effectuées et non payées :
Considérant que le requérant n'établit pas qu'il aurait dû bénéficier au cours de son affectation en Lettonie du paiement, en sus de son traitement, des heures supplémentaires qu'il pouvait être amené à effectuer ; que, dès lors et en tout état de cause, il ne saurait prétendre à une indemnité à ce titre ;
En ce qui concerne le préjudice lié aux frais de voyage et à l'obligation de changement de résidence :
Considérant que, si M. X soutient qu'une partie des frais de voyage et de changement de résidence qu'il a exposés pour lui-même et sa famille ne lui a pas été remboursée par l'administration, de tels frais, engagés en novembre 1994, sont sans lien avec la décision de licenciement litigieuse ; que les conclusions présentées à ce titre doivent donc être rejetées ;
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
Considérant qu'après son éviction, qui a entraîné une détérioration du climat familial, M. X a dû engager une reconversion professionnelle qui a comporté une période pendant laquelle il est resté sans emploi ; qu'il a connu d'importantes difficultés financières qui l'ont contraint notamment à vendre sa résidence principale ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, l'intéressé a subi du fait de son licenciement illégal un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, constitutifs de préjudices distincts de celui résultant de la privation de sa rémunération ; qu'eu égard à la nature et à l'importance de ces dommages, il ne sera pas fait une excessive appréciation de la réparation due à ce titre en allouant à M. X une indemnité de 13.000 euros ;
En ce qui concerne les conclusions relatives au reversement des sommes prélevées par l'Etat sur l'indemnité de licenciement :
Considérant qu'aux termes de l'article 19, 2ème alinéa du décret susvisé du 18 juin 1969 : Lorsque l'agent est affilié à un ou plusieurs régimes obligatoires de prévoyance français ou étranger entraînant le versement de cotisations par l'Etat, l'indemnité ou le pécule sont réduits d'une somme égale au montant actualisé du total des cotisations patronales versées par l'Etat au titre du régime vieillesse ; qu'en application de ces dispositions, l'administration a procédé à la retenue, sur le montant de l'indemnité de licenciement due au requérant en vertu de l'article 11 du décret du 18 mai 1969, des cotisations patronales versées par l'Etat au titre des régimes obligatoires d'assurance vieillesse, d'un montant total de 113.272,20 F ; que le montant de ces retenues, que l'administration était tenue de déduire, n'est pas contesté ; que, dès lors, les conclusions de M. X tendant au reversement des sommes ainsi prélevées ne peuvent qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité totale de 19.791,60 euros ; qu'il y a lieu, dans cette mesure, de réformer le jugement attaqué ;
Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à M. X une somme de 2.000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 9501709/5 et 9506229/5 du tribunal administratif de Paris en date du 6 avril 1999 est annulé.
Article 2 : La décision implicite du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en première instance, rejetant la demande de communication de son dossier administratif présentée par M. X, est annulée.
Article 3 : La somme de 120.000 F (18.293,88 euros) que l'Etat a été condamné à verser à M. X par le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 avril 1999 est portée à 19.791,60 euros.
Article 4 : Les articles 2 et suivants du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 avril 1999 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à M. X une somme de 2.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête et de l'appel incident est rejeté.
2
N° 99PA02661
Classement CNIJ : 36-12-03-01
C