(3ème chambre A)
VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 18 septembre et le 24 décembre 1998, présentés pour la société UNIBAIL ayant son siège social 108, rue de Richelieu à Paris (75002), venant aux droits de la société ARC-UNION, et pour la société GELABERT, ayant son siège social 92 rue de Réaumur à Paris (75002) , par la SCP PIWNICA-MOLINIE , avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les sociétés UNIBAIL et GELABERT demandent à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 93-3252/6 en date du 26 mai 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande présentée pour les sociétés ARC-UNION et GELABERT tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 86.795.034 F, en réparation des conséquences dommageables de la décision les excluant de la consultation organisée pour la vente du terrain dit "Parc de Passy" et attribuant ce terrain à la société Fougerolle ;
2 ) de faire droit à sa demande de première instance ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 6 novembre 2001:
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations de la SCP PIWNICA-MOLINIE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les sociétés UNIBAIL et GELABERT,
- et les conclusions de M. DE SAINT-GUILHEM, commissaire du Gouvernement;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'en 1988 le ministre de l'équipement a organisé un concours en vue de sélectionner et de classer les candidats à la vente et à l'aménagement d'un terrain que possédait alors l'Etat, situé à Paris, aux angles des avenue Marcel-Proust, rue d'Ankara, avenue René-Boylesve et avenue du Trocadéro ; que par décision en date du 15 avril 1988, le ministre a exclu de la consultation les sociétés Arc-Union et Gelabert, alors que leur projet avait été classé premier dans l'ordre de préférence du jury ; qu'il a, ensuite, cédé le terrain en question à la société Fougerolle dont le projet avait été classé deuxième; que par jugement en date du 2 juillet 1991, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision sus-mentionnée du ministre en date du 15 avril 1988, au motif qu'en vertu du règlement du concours, le ministre n'avait plus compétence pour exclure un candidat dès lors que la délibération du jury avait été transmise à l'autorité chargée de la vente ;
Considérant que c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le même tribunal a considéré qu'en prenant une telle décision, le ministre de l'équipement a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers la société UNIBAIL, venant aux droits de la société ARC-UNION, et la société GELABERT ;
Sur l'étendue du droit à réparation :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 1 du réglement du concours, relatif à l'objet et à l'organisation de la consultation : " Le concours a pour but de sélectionner et de classer les différentes propositions des candidats selon les critères du présent règlement. 1.2 - L'organisateur du concours d'aménagement est le Ministère de l'Equipement, du Logement, de l'Aménagement du Territoire et des Transports représenté par la Direction de l'Architecture et de l'Urbanisme. 1.3 - Le Ministère se réserve expressément la propriété des propositions concernant les équipements et les espaces publics et pourra donner toutes suites qu'il jugera utiles."; qu'aux terme de l'article 7 du même texte : "Les propositions d'aménagement seront examinées par un jury qui classera, par ordre de préférence, les projets susceptibles d être retenus ..." ; qu'aux termes de l'article 8 relatif à l'organisation des travaux du jury : " ... Le jury examine les propositions qui ne sont pas conformes au programme de la consultation et décide, s'il y a lieu, leur exclusion ..." ; qu'aux termes de l'article 9 relatif aux critères de jugement : "Les critères de jugement des propositions des candidats seront les suivantes : - le respect des données du programme et des directives qu'il comporte ...." ; qu'aux termes de l'article 10 relatif au compte-rendu des travaux du jury : "Le jury fera connaître ses conclusions à l'organisateur de la consultation ( ...). L'organisateur procédera aux vérifications de conformité au règlement du concours pour les pièces écrites dont le jury n'aura pas eu connaissance et figurant à l'article 6.1." ; qu'aux termes de l'article 11 relatif aux suites données au concours : "L'organisateur du concours transmet à l'autorité compétente responsable de la vente, le classement des candidats définitivement retenus pour participer à la vente. " ; qu'aux termes de l'article 13 relatif à l'application du règlement : "Les divers manquements aux règles de la consultation sont soumis par l'organisateur de la consult n au jury. Après avis de celui-ci, l'organisateur peut décider l'exclusion éventuelle des candidats pour des motifs liés au non respect partiel ou total des règles de la consultation. En remettant leurs propositions, les candidats acceptent de se soumettre aux décisions de l'organisateur de la consultation seul compétent dans l'application des règles de la consultation.";
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'équipement, en sa qualité d'organisateur de la consultation, a exclu du concours la proposition des sociétés ARC-UNION et GELABERT au motif que, selon lui, elle ne respectait pas les prescriptions d'aménagement et d'urbanisme imposées aux candidats par le règlement du concours ; que si toutefois l'organisateur de la consultation était seul compétent, en vertu des dispositions précitées de l'article 13 du règlement du concours, pour prononcer l'exclusion de candidats ayant méconnu les règles de la consultation et s'il avait par ailleurs la faculté, en vertu des dispositions de l'article 1.3 du même texte, de modifier unilatéralement les propositions des candidats concernant les équipements et les espaces publics, aucun texte ne lui donnait compétence pour exclure les propositions qui n'auraient pas respecté les données du programme de la consultation ; que, bien au contraire, l'article 8 du même texte attribuait expressément cette compétence au jury sans prévoir la possibilité, pour l'organisateur de la consultation, de se substituer à lui dans l'exercice de ladite compétence ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont estimé qu'avant de transmettre à l'autorité responsable de la vente le classement définitif des candidats, le ministre de l'équipement pouvait légalement exclure, pour le motif sus-indiqué, le projet présenté par les sociétés ARC-UNION et GELABERT ;
Considérant qu'il suit de là que c'est du seul fait de la faute commise par le ministre de l'équipement que les sociétés ARC-UNION et GELABERT n'ont pas été désignées pour signer la promesse de vente du terrain ; que les sociétés requérantes sont dès lors fondées à demander réparation de l'entier préjudice causé par cette absence de désignation;
Sur l'évaluation du préjudice :
En ce qui concerne les frais de notaire et d'huissier et le préjudice moral :
Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à payer aux sociétés requérantes une somme de 50.000 F réparant, d'une part, les frais de notaire et d'huissier qu'elles ont exposées en pure perte à la suite de l'ouverture des offres d'achat, d'autre part, le préjudice moral et commercial qu'elles ont subies en raison de la publicité donnée à leur exclusion du concours ; qu'elles n'établissent ni même n'allèguent qu'il ait été fait de ces préjudices une insuffisante appréciation ;
En ce qui concerne les honoraires d'architecte :
Considérant, en premier lieu, que la société UNIBAIL demande le remboursement des frais d'honoraires d'architecte exposés par la société ARC-UNION pour la réalisation du projet présenté au concours, soit la somme de 150.000 F ; que toutefois, ne figure au dossier aucune pièce justifiant du paiement effectif de cette somme; que dés lors sa demande ne peut être accueillie ; que la société GELABERT, qui demande qu'il lui soit versé une somme identique, justifie avoir payé, en réponse à une note d'honoraires présentée, le 31 mars 1988, par M. X..., la somme de 177.900, 89 F, correspondant à un montant d'honoraires de 150.000 F hors taxes ; qu'elle est par suite fondée à demander la remboursement par l'Etat de ces frais exposés en vain et la réformation en cette mesure du jugement attaqué ;
Considérant, en second lieu, que les sociétés requérantes demandent en outre le versement à chacune d'une somme totale de 288.323 F, correspondant à des montants d'honoraires de 150.000 F, 33.241 F et 30.082 F qu'elles auraient exposés entre mai 1989 et avril 1990, postérieurement au concours et en vue de l'élaboration d'un dossier de permis de construire ; que toutefois ces sociétés, qui ne justifient pas des raisons pour lesquelles elles ont élaboré un tel dossier alors que, n'étant pas devenues propriétaires du terrain, elles n'avaient pas qualité pour présenter une demande de permis de construire, ne justifient pas davantage du lien de causalité entre le préjudice constitué par le paiement de ces sommes et la faute commise par le ministre de l'équipement en les excluant du concours organisé en 1988 ; que les conclusions qu'elles ont présentées en vue du remboursement desdites sommes doivent donc être rejetées ;
En ce qui concerne le manque à gagner et les frais d'expertise :
Considérant, d'une part, que le fait de remporter le concours organisé par le ministre de l'équipement en vue de désigner l'acquéreur du terrain sus-mentionné n'emportait pas délivrance d'un permis de construire par la Ville de Paris ; qu'ainsi les sociétés requérantes ne peuvent se prévaloir d'aucun droit acquis à la construction, sur ce terrain, du projet qu'elles avaient élaboré dans le cadre du concours ; que, d'autre part, à supposer même, ce qui n'est pas établi, qu'un permis de construire aurait pu être délivré pour ce projet sans modification subtantielle de celui-ci, le manque à gagner résultant de la perte des bénéfices escomptés de l'édification et de la vente des immeubles prévus au titre de ce projet, ne présente qu'un caractère purement éventuel, alors surtout que les dates prévues pour cette édification auraient coïncidé avec le retournement du marché immobilier ; qu'il suit de là que les conclusions à fin de réparation de ce manque à gagner ne peuvent être accueillies ;
Considérant que les conclusions à fin de remboursement des frais d'expertise doivent, par voie de conséquence, être rejetées, ces frais, qui ont été engagés afin d'évaluer le manque à gagner, se révélant sans utilité pour la résolution du litige ; En ce qui concerne les frais de personnel :
Considérant que la société UNIBAIL soutient que la réalisation du projet a induit, du fait de son importance, des coûts de fonctionnement dont elle estime le montant à 1.100.428 F ; que toutefois le préjudice imputable à l'attitude fautive de l'administration doit être limité aux seules dépenses engagées pendant la période antérieure au 15 avril 1988 et nécessitées par la participation au concours ; qu'en l'espèce, les frais invoqués se rapportent, pour l'essentiel, aux années postérieures à 1988 ; que même concernant cette dernière année, il n'est pas établi ni même allégué qu'ils aient été exposés au cours de la période d'indemnisation et au titre de la participation au concours d'aménagement ; que dès lors la société ARC-UNION ne justifie pas de l'existence d'un lien direct entre les coûts salariaux invoqués et la faute commise par le ministre de l'équipement ;
En ce qui concerne les honoraires d'avocat et de consultant :
Considérant que les sociétés requérantes demandent, pour un montant total de 468.390 F en ce qui concerne la société UNIBAIL, et de 221.297 F en ce qui concerne la société GELABERT, le remboursement de frais d'honoraires exposés auprès de divers avocats, avoués, experts et consultants, entre mai 1988 et août 1993 ; que, toutefois, elles ne justifient pas, avec une précision suffisante, de l'objet en vue duquel ces frais ont été exposés ; qu'en admettant que les frais en question aient été engagés dans le cadre de démarches en vue d'obtenir, auprès des autorités compétentes, l'autorisation de réaliser le projet qu'elles envisageait et en vue d'une procédure engagée devant les juridictions judiciaires à l'encontre de la société Fougerolle, les sociétés requérantes n'établissent pas l'existence d'un lien direct entre ces procédures et l'attitude fautive de l'administration; que s'ils ont eu pour objet de faire valoir, auprès du ministre de l'équipement, les droits des sociétés ARC-UNION et GELABERT, les demandes en vue de leur remboursement ne peuvent être présentées que sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, et sous la condition qu'il s'agisse de frais exposés dans le cadre de la présente instance ; que, dans les circonstances de l espèce et en application des dispositions précitées, il y a lieu de condamner l'Etat à payer à ce titre, conjointement, aux sociétés UNIBAIL et GELABERT, la somme de 50.000 F ;
Article 1er : La somme que le ministre de l'équipement, des transports et du logement a été condamné à payer à la société GELABERT est portée à 150.000 F.
Article 2 : Les conclusions de la société UNIBAIL et le surplus des conclusions de la société GELABERT sont rejetés.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 26 mai 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le ministre de l'équipement, des transports et du logement versera aux sociétés UNIBAIL et GELABERT, prises conjointement, la somme de 50.000 F au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.