(3ème chambre A)
VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 7 septembre 1998 et le 11 janvier 1999, présentés pour la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO, ayant son siège social ..., - le CONSORTIUM DE VALEURS MOBILIERES, ayant son siège social ..., - la société "GROUPEMENT TECHNIQUE D'ASSURANCES", ayant son siège social ..., - l'AGENCE DE GESTION D'ORGANISME ET DE SOCIETE, ayant son siège social ..., 92110 à Clichy-la-Garenne, par la SCP DELAPORTE-BRIARD, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO, le CONSORTIUM DE VALEURS MOBILIERES, la société "GROUPEMENT TECHNIQUE D'ASSURANCES" et l'AGENCE DE GESTION D'ORGANISME ET DE SOCIETE demandent à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 97-3155/7 en date du 25 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme totale de 644.377.000 de F, dont la somme de 54.850.400 F solidairement avec l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction, soit à la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO la somme de 78 millions de francs, au CONSORTIUM VALEURS MOBILIERES la somme de 566 millions de francs, au "GROUPEMENT TECHNIQUE D'ASSURANCES" la somme de 350.000 F, et à l'AGENCE DE GESTION D'ORGANISME ET DE SOCIETE la somme de 27.000 F, en réparation des conséquences dommageables de l'inaction de l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction (ANPEEC) concernant les agissements des sociétés IGI Finances et IGI Participations et des illégalités entachant les décrets en date du 16 mars 1992 et du 27 mars 1993, ces sommes devant porter intérêts à compter du 17 mars 1995 ;
2 ) de faire droit aux demandes de première instance et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus ;
3 ) de condamner l'Etat et l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction au paiement d'une somme de 20.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 66-537 du 24 juillet 1966 ;
VU le code de la construction et de l'habitation ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 28 juin 2001 :
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations de la SCP DELAPORTE-BRIARD, avocat, pour la COFMO, et celles de Me X..., avocat au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation, pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et celles de la SCP VIER-BARTHELEMY, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'ANPEEC,
- et les conclusions de M. DE SAINT-GUILHEM, commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :
Considérant que les sociétés requérantes ont présenté, dans leur demande, des conclusions tendant, notamment, à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction (ANPEEC) à leur verser, d'une part, la somme de 54.850.000 F en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle, d'autre part la somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que les premiers juges ont omis de viser ces conclusions et ne les ont rejetées qu'en tant qu'elles étaient dirigées contre l'Etat ; que leur jugement étant, par suite, entaché d'une omission à statuer, les sociétés requérantes sont fondées à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les sociétés requérantes devant le tribunal administratif ;
Sur les conclusions fondées sur les agissements prétendument fautifs de l'ANPEEC, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité :
Considérant que les sociétés "IGI Finances" et "IGI Participations" ont entrepris, entre septembre 1990 et février 1992, de racheter systématiquement aux entreprises qui souhaitaient s'en dessaisir les titres souscrits, au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction, par les sociétés immobilières locatives appartenant au groupe de l'Office central interprofessionnel du logement (OCIL) ; qu'il n'est pas contesté que ces acquisitions ont été effectuées pour le compte des sociétés émettrices et grâce aux fonds avancés par l'OCIL, afin d'empêcher que ces titres ne fûssent acquis par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO ; que les sociétés requérantes soutiennent que l'ANPEEC, parfaitement informée de l'irrégularité de ces opérations au regard de l'article 217 de la loi du 24 juillet 1996 sur les sociétés commerciales, n'aurait rien fait pour s'y opposer et les aurait même encouragées et qu'elle aurait ainsi commis une faute lourde dans la mise en oeuvre de ses pouvoir de contrôle ; qu'elles recherchent, sur ce fondement, la responsabilité solidaire de l'Etat et de l'ANPEEC ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le président de l'ANPEEC, après avoir pris connaissance du rapport de l'Inspection générale des finances relatif à l'OCIL et, notamment, des critiques que comportait ce rapport sur les opérations sus-évoquées de rachat et de rétrocession de titres, a, d'une part, par lettre en date du 7 mai 1991, demandé au président de l'OCIL de clarifier ses rapports avec les sociétés immobilières placées sous sa dépendance et de "prendre rapidement des mesures concrètes afin de rétablir son image auprès des pouvoirs publics" ; qu'il a, d'autre part, régulièrement tenu informé le ministre chargé de l'équipement des suites données à ce courrier; que, constatant la persistance du problème lié aux "relations confuses" existant entre l'OCIL et les sociétés immobilières locatives concernées, le directeur de la construction a, par lettre en date du 21 octobre 1991, demandé au président de l'ANPEEC d'"examiner la possibilité de mettre en place les mesures propres à consolider la vocation sociale ... ainsi que la valorisation économique, en vue d'un réinvestissement dans le logement," du patrimoine de ces sociétés et de "clarifier les relations" entre celles-ci et l'OCIL ; que le président de l'ANPEEC a alors organisé une réunion avec le directeur général de l'OCIL et les représentants des sociétés immobilières locatives liées à l'OCIL qui s'est tenue le 3 décembre 1991 et aux termes de laquelle il a été décidé, d'une part, de dissoudre les sociétés "IGI Finances" et "IGI Participations" et, d'autre part, moyennant une modification du code de la construction et de l'habitation, de leur substituer l'OCIL dans le capital des sociétés propriétaires ; qu'à la suite de cette réunion, il a été mis fin aux activités irrégulières des sociétés "IGI Finances" et "IGI Participations";
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ANPEEC, entre le 7 mai et le 3 décembre 1991, a pris, dans un délai qui n'est pas excessif, les mesures qui s'imposaient pour qu'il fût mis fin à l'activité des sociétés "IGI Finances" et "IGI Participations" ; qu'en ce qui concerne les opérations d'achat et de rétrocession de titres engagées par ces sociétés dès septembre 1990, il n'est pas établi, malgré les allégations en sens contraire des sociétés requérantes reposant sur de prétendues "dactylographies de conversations téléphoniques" non versées au dossier, que l'ANPEEC en aurait été informée avant le 7 mai 1991, ni qu'elle les aurait sciemment favorisées ou encouragées ;
Considérant qu'il suit de là que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité solidaire de l'Etat et de l'ANPEEC à raison des agissements prétendument fautifs de cette dernière association ;
Sur les conclusions relatives au décret n 92-240 du 17 mars 1992 :
Considérant, en premier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions de l'article 8 du décret mentionné, prises dans le but, conforme à la finalité de la participation susmentionnée instituée par la loi, de conserver aux sociétés immobilières dont les actions ou les parts ont été souscrites au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction leur vocation sociale initiale, aient été prises, comme le soutiennent les société requérantes, dans le but exclusif d'empêcher des sociétés de droit commun d'acquérir, aux conditions qu'elles fixent, des actions desdites sociétés immobilières ; qu'ainsi, le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;
Considérant, en second lieu, que les sociétés requérantes soutiennent qu'elles ont droit, sur le terrain de l'égalité des administrés devant les charges publiques, à une indemnité en réparation du préjudice qu'elles déclarent avoir subi du fait de la réglementation résultant des dispositions précitées ; qu'elles font valoir à cet effet que ces dispositions ont eu en partie pour objet de faire échec aux opérations d'acquisition de titres qu'elles avaient engagées au cours du premier trimestre 1990 ; que toutefois, les sociétés requérantes ne pouvaient ignorer les aléas qu'était susceptible de rencontrer une tentative de prise de contrôle hostile de sociétés immobilières placées sous la dépendance de l'Office interprofessionnel du logement ; qu'en particulier, elles devaient normalement envisager le risque que l'Etat intervienne et ne les laisse pas mener à bien une telle prise de contrôle, compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à ce que les titres de ces sociétés immobilières ne fassent pas l'objet de manoeuvres spéculatives et à ce que leur actif immobilier soit géré conformément à la finalité de la participation des employeurs à l'effort de construction ; qu'ayant, dès lors, assumé ce risque en toute connaissance de cause, elles ne sauraient soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée à leur égard, même en l'absence de faute, du fait de l'intervention du décret susvisé qui a fait obstacle à cette prise de contrôle et à la valorisation des titres déjà acquis ;
Sur les conclusions relatives au décret n 93-750 du 27 mars 1993 :
Considérant que les dispositions de l'article R.313-31-2 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction issue du décret susvisé, ont, notamment, eu pour objet de faire entrer dans le champ d'application des clauses-types figurant à l'annexe VI dudit décret les sociétés dont 50 % au moins du capital avaient été acquis au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction ; qu'elles ont, dans cette mesure, été jugées illégales et annulées, le 3 octobre 1994, par le Conseil d'Etat statuant au contentieux ; que les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions, qui ont notamment entraîné le retrait du marché hors-côte de la Bourse de Paris des titres d'une des sociétés concernées, à savoir l'OGIF, ont fait perdre aux titres antérieurement acquis par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBI-LIERE-COFMO une grande partie de leur valeur de revente et leur ont, en cela, causé un préjudice dont elles entendent demander réparation, tant sur le fondement de la faute que sur celui de l'égalité des administrés devant les charges publiques ; que le préjudice allégué est constitué par la différence entre le prix auquel les actions de l'OGIF et de la SFIC de Bobigny ont été cédées par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO à la date du 9 novembre 1994 et leur valeur normale de cession telle qu'estimée par l'administration fiscale pour l'année 1992, soit avant l'intervention du décret litigieux ;
Mais considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, en ce qui concerne les actions de l'OGIF, leur retrait par la Société des bourses françaises du marché hors-cote est intervenu en mars 1993 comme une des conséquences de l'entrée en vigueur de l'article L.313-1-3 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de l'article 62 de la loi n 93-122 du 24 janvier 1993 ; que la publication des dispositions illégales du décret susvisé n'est donc pas à l'origine de la situation ainsi créée; que l'éventualité selon laquelle, en l'absence de ce décret, la Société des bourses françaises aurait pu accéder à la demande présentée par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO, le 7 février 1994, tendant à la réinscription de l'OGIF au marché hors-cote de la bourse des valeurs de Paris, présente un caractère hypothétique et ne saurait donc faire naître un préjudice direct et certain ;
Considérant, d'autre part, et ,en tout état de cause, qu'il n'est pas établi que lesdites dispositions aient constitué un élément certain d'aggravation du préjudice par rapport à la situation telle qu'existant à la date de leur entrée en vigueur, laquelle se caractérisait, notamment, par la disparition de tout marché susceptible de valoriser à terme ou même de maintenir à leur prix d'achat les titres de l'OGIF et de la SFIC de Bobigny détenus par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO ; que cette situation, consécutive à l'échec, acquis dès 1992, de la prise de contrôle par cette dernière société de l'OGIF et de la SFIC de Bobigny et à la volonté clairement exprimée tant par le gouvernement, lors d'une conférence de presse du ministre de la construction tenue le 31 janvier 1992, que par le législateur, lors du vote de la loi du 24 janvier 1993, de faire échec à l'avenir à toute nouvelle action de ce type, rendait d'ores et déjà inéluctable la vente à perte des titres détenus par la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO ;
Considérant qu'il suit de là que le lien de causalité entre les dispositions illégales du décret du 29 mars 1993 et le préjudice allégué par les sociétés requérantes n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat et de l'ANPEEC à leur verser des indemnités ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat et l'ANPEEC, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnées à verser aux sociétés requérantes la somme que celles-ci demandent au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces mêmes dispositions à l'encontre des sociétés requérantes ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 25 juin 1998 est annulé.
Article 2 : La demande, présentée devant le tribunal administratif de Paris, de la CONTINENTALE FONCIERE ET IMMOBILIERE-COFMO, du CONSORTIUM DE VALEURS MOBILIERES, de la société "GROUPEMENT TECHNIQUE D'ASSURANCES" et de l'AGENCE DE GESTION D'ORGANISME ET DE SOCIETE est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.