VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 novembre 1998, présentée pour Mme Marie-Thérèse Z..., demeurant 2 berge de la Grenouillère à Croissy-sur-Seine (78290), Mme Brigitte A..., demeurant ..., Mme Martine X..., demeurant ..., et Mme Anne-Marie B..., demeurant ... au Vésinet (78110), par Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Mmes Z..., A..., X... et B... demandent à la cour :
1 ) d'annuler les jugements n 95-19010/4 en date du 4 juillet 1997 et du 10 juillet 1998 par lesquels le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à M. Z... la somme de 2.262.000 F, à Mme Z... la somme de 150.000 F et à Mmes A..., X... et B... la somme de 120.000 F chacune, en réparation des conséquences dommageables de la contamination de M. René Z... par le virus de l'hépatite C et le virus de l'immunodéficience humaine ;
2 ) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à leur verser indivisément la somme de 1.262.000 F, à payer à Mme Z... la somme de 50.000 F et à Mmes A..., X... et B... la somme de 70.000 F chacune, ces sommes devant porter intérêts de droit à compter du 25 juillet 1995 ;
3 ) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au paiement d'une somme de 8.000 F en application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 5 juin 2001 :
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations du Cabinet FOUSSARD, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,
- et les conclusions de M. DE SAINT-GUILHEM, commissaire du Gouvernement;
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne la faute médicale :
Considérant que M. René Z..., qui était atteint d'une hémophilie de type A, a été contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine et le virus de l'hépatite C à l'occasion de transfusions de cryoprécipités lyophilisés concentrés effectuées entre le 3 et le 8 juin 1983 à l'hôpital Saint-Louis, alors qu'il était hospitalisé pour l'exérèse d'une lésion du golfe-temporal ; que ses ayants-droit soutiennent que la prescription, aux dates précitées, de produits sanguins concentrés non chauffés constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, qu'à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères - notamment le "New England Journal of Medecine" du 13 janvier 1983, "The Lancet" du 29 janvier 1983, la "Lettre de la prévention" en mars 1983, la "Revue française de transfusion et d'immuno-hématologie" en juin et octobre 1983 - ont informé les milieux médicaux de l'existence d'un risque de transmission du virus de l'immunodéficience humaine par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d'hémophilie ; que plusieurs communications ont eu lieu, dans le même sens, à destination de la commission consultative de la transfusion sanguine, du centre national de la transfusion et d'autres centres de transfusion ; qu'à supposer que l'information ainsi diffusée ait pu ne pas parvenir à l'ensemble des médecins prescripteurs, il résulte de l'instruction que les centres de traitement des hémophiles de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris connaissaient ce risque dès les premiers mois de l'année et que leur information sur ce point s'est progressivement précisée ainsi qu'en témoigne notamment la demande de produits sanguins chauffés adressée en juin 1983 au centre national de transfusion sanguine par le directeur du centre de traitement des hémophiles de l'hôpital Cochin ;
Considérant qu'aux termes de l'article 9 du code de déontologie médicale dans sa rédaction applicable à la date des prescriptions litigieuses : "Le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Dans toute la mesure compatible avec l'efficacité des soins, et sans négliger son devoir d'assistance morale, il doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire" ; qu'aux termes de l'article 18 du même code: " le médecin doit s'interdire, dans les investigations ou les interventions qu'il pratique, comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit, de faire courir au malade un risque injustifié ; qu'en application de ces dispositions, et alors même que les risques liés aux transfusions de produits fractionnés et concentrés n'étaient pas encore connus dans toute leur ampleur, les suspicions de plus en plus précises apparues en 1983 sur le rôle de la transfusion sanguine dans la transmission du virus du SIDA devaient conduire progressivement, dès l'année 1983, les médecins prescripteurs spécialisés dans le traitement de l'hémophilie, à réserver l'utilisation de tels produits aux interventions graves et urgentes pour lesquelles aucune alternative thérapeutique ne pouvait être envisagée ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que si M. René Z... n'était atteint que d'une hémophilie de type A modérée, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soutient sans être sérieusement contredite que la tumeur qui était apparue sur la tempe et le cuir chevelu de l'intéressé et qui avait déjà donné lieu à deux récidives traitées par radiothérapie, présentait des risques d'évolution défavorable ; que cette situation justifiait qu'il fût procédé sans délai à l'exérèse de la lésion considérée ; qu'une couverture de facteurs anti-hémophiliques devait dès lors être assurée, compte tenu du caractère très hémorragique de l'intervention envisagée ; que, d'autre part, les cryoprécipités lyophilisés paraissaient à l'époque le produit le plus adapté pour répondre aux situations de couvertures chirurgicales ; que, dans ces conditions, et alors que l'inactivation par chauffage de ces produits n'a été accessible en France qu'à compter du mois de février 1985, soit postérieurement à la contamination de ce malade, le fait pour les médecins de l'hôpital Saint-Louis d'avoir administré à M. Z... des produits sanguins concentrés ne saurait être regardé comme fautif ;
En ce qui concerne le défaut d'information :
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la circonstance invoquée en l'espèce, qu'un débat existait au moment des faits sur la probabilité de réalisation des risques encourus, ne dispensait pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant, ainsi qu'il a été dit précédemment, que les centres de traitement des hémophiles de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris connaissaient, dès 1983, les risques de transmission du virus de l'immunodéficience humaine par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d'hémophilie ; que ces risques devaient être portés à la connaissance du patient ;
Considérant que les requérantes soutiennent, sans être contredites, que leur père n'a pas été informé par les praticiens du service d'hématologie de l'hôpital Saint-Louis, des risques que comportait pour lui l'intervention ; que, par suite, elles sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas reconnu l'existence, en l'espèce, d'un manquement à l'obligation d'information de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; que le jugement attaqué doit être annulé pour ce motif ;
Sur le préjudice :
Considérant que le préjudice total causé à M. Z... par sa contamination doit être fixée à 2.000.000 F ; que, toutefois, la faute commise par les praticiens de l'hôpital Saint-Louis en n'informant pas M. Z... des risques que l'intervention comportait pour lui, n'a entraîné que la perte d'une chance pour l'intéressé de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé ; que, par suite, la réparation résultant de cette perte de chance doit être fixée à une fraction du préjudice subi ; que compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention chirurgicale et, d'autre part, des risques d'extension de la tumeur vers le tissu osseux qui étaient encourus en cas de renoncement à ce traitement, il convient de fixer cette fraction au quart, ce qui conduit à arrêter à 500.000 F le préjudice résultant pour M. Z... de la faute imputable à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que la cour d'appel de Paris a porté à 738.000 F la somme due aux ayants-droit de M. Z... par le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, en réparation du préjudice subi par la victime ; que le juge administratif, saisi d'une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus de l'immunodéficience humaine et informé de ce que la victime ou ses ayants-droit ont été déjà indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit d'office déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable ; qu'ainsi, la réparation du préjudice subi par les requérantes ayant déjà donné lieu à l'attribution d'une somme supérieure à celle qui correspond aux conséquences dommageables de la faute ci-dessus décrite de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ces requérantes ne peuvent prétendre, du chef du préjudice de leur père, à aucun complément d'indemnisation ;
Considérant, d'autre part, que, compte tenu de la part de responsabilité ci-dessus retenue pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Mmes A..., X... et B... ne peuvent, au titre de leur préjudice moral et de celui de leur mère, Mme Z..., obtenir, dans le cadre de la présente instance, des sommes supérieures à celles que la cour d'appel de Paris a condamné le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles à leur verser ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mmes A..., X... et B... ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser aux requérantes la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de Mmes A..., X... et B... est rejetée.