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02/05/2001 | FRANCE | N°99PA03059

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 02 mai 2001, 99PA03059


(1ère chambre A)
VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 6 septembre 1999, présenté pour le MINISTRE DE L'INTERIEUR, par Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 993718-993721-993722 en date du 1er juillet 1999 du tribunal administratif de Versailles, en tant que ce jugement a annulé, d'une part, l'arrêté du 20 mai 1999 par lequel le préfet de l'Essonne a fixé le pays à destination duquel Mme X...
Y... devait être éloignée en application de l'arrêté d'expulsion du 20 mai 1999

et, d'autre part, la "décision de remise" de l'intéressée par les autorit...

(1ère chambre A)
VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 6 septembre 1999, présenté pour le MINISTRE DE L'INTERIEUR, par Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 993718-993721-993722 en date du 1er juillet 1999 du tribunal administratif de Versailles, en tant que ce jugement a annulé, d'une part, l'arrêté du 20 mai 1999 par lequel le préfet de l'Essonne a fixé le pays à destination duquel Mme X...
Y... devait être éloignée en application de l'arrêté d'expulsion du 20 mai 1999 et, d'autre part, la "décision de remise" de l'intéressée par les autorités françaises aux autorités espagnoles ;
2 de rejeter la demande présentée par Mme X...
Y... devant le tribunal administratif de Versailles tendant à l'annulation de ces décisions ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
VU la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants ;
VU le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;
VU la directive (CEE) n 64-221 du 25 février 1964 ;
VU l'ordonnance n 45-2658 du 2 novembre 1945 ;
VU le décret n 94-211 du 11 mars 1994 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 avril 2001:
- le rapport de Mme GIRAUDON, premier conseiller,
- les observations du cabinet Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le MINISTRE DE L'INTERIEUR,
- et les conclusions de Mme MASSIAS, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que, par un arrêté du 20 mai 1999, le préfet de l'Essonne a prononcé à l'encontre de Mme X...
Y... une mesure d'expulsion du territoire français sur le fondement de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, notamment pour le motif que cette dernière, membre depuis plusieurs années d'un groupe armé et organisé, constituait une menace grave pour l'ordre public ; qu'en exécution de cette décision, le préfet de l'Essonne, par un arrêté en date du 20 mai 1999, a fixé l'Espagne comme pays à destination duquel Mme X...
Y... devait être éloignée ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé ce dernier arrêté, ainsi qu'une "décision de remise" de l'intéressée aux autorités espagnoles ;
Sur les conclusions relatives à l'arrêté fixant le pays de destination :
Considérant que l'unique moyen sur lequel les premiers juges ont fondé leur décision d'annulation était, qu'à défaut de mention de délai, prévue par le décret du 11 mars 1994, pour quitter le territoire, l'arrêté d'expulsion prononcé à l'encontre de Mme X...
Y... était privé de force exécutoire et, par suite, l'arrêté fixant le pays de destination de cette dernière, entaché d'illégalité ; qu'il résulte de l'instruction que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, n'avait pas été invoqué par Mme X...
Y... ; qu'ainsi, les premiers juges, en soulevant d'office un tel moyen, ont entaché d'irrégularité leur jugement sur ce point ; que, par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé l'arrêté du préfet de l'Essonne fixant le pays à destination duquel Mme X...
Y... doit être éloignée ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les moyens soulevés par Mme X...
Y... contre cette décision tant en première instance qu'en appel ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 23 de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 : "Sous réserve des dispositions de l'article 25, l'expulsion peut être prononcée si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ..." ; que si en application de l'article 24 de ladite ordonnance cette expulsion ne peut être prononcée qu'après l'avis d'une commission spéciale d'expulsion, il ne résulte d'aucune disposition que cette commission ne doive être saisie qu'après que les condamnations prononcées par le juge judiciaire à l'encontre de l'étranger dont l'expulsion est envisagée sont devenues définitives ; qu'ainsi, Mme X...
Y... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté d'expulsion dont elle a fait l'objet serait entaché d'irrégularité, faute pour le préfet de l'Essonne d'avoir attendu que les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière aient un caractère définitif pour saisir la commission d'expulsion ;

Considérant, en deuxième lieu, que le décret du 11 mars 1994 réglementant les conditions d'entrée et de séjour en France des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne bénéficiant de la libre circulation des personnes, pris pour la transposition de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964 prise pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, prévoit, dans son article 17 que "la notification des décisions de refus de délivrance, de refus de renouvellement ou de retrait de la carte de séjour prévue pour les personnes mentionnées à l'article 1er ainsi que la notification d'une décision d'expulsion comportent l'indication du délai imparti pour quitter le territoire. Sauf urgence, ce délai ne peut être inférieur à quinze jours lorsque l'intéressé n'a pas reçu de titre de séjour et à un mois dans les autres cas" ; que l'article premier précise que les dispositions qui sont contenues dans ce décret s'appliquent aux quatorze catégories de personnes énumérées dans cet article premier ; que sont concernées les personnes qui bénéficient du droit de s'établir en France pour y exercer une activité salariée ou non salariée, celles qui ont exercé en France une activité au moment où elles ont atteint l'âge de la retraite, celles exerçant une activité à l'étranger sous certaines conditions de résidence et de travail en France, les personnes dépourvues d'activité, retraités ou étudiants, mais couvertes par une assurance maladie et disposant de ressources suffisantes ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que la notification d'une décision d'expulsion ne doit comporter le délai imparti à l'étranger pour quitter le territoire que si cet étranger est au nombre de ceux visés à l'article premier de ce décret ; que Mme X...
Y..., entrée en France en 1991 et qui y vit dans la clandestinité, ne justifie pas appartenir à l'une des catégories de ressortissants communautaires visés par les dispositions précitées ; que, par suite, elle ne peut utilement faire valoir ni que, faute de comporter, lorsqu'elle lui a été notifiée, la mention d'un délai pour quitter le territoire, la décision d'expulsion n'aurait aucun caractère exécutoire ni que la décision fixant le pays à destination duquel elle doit être éloignée serait par voie de conséquence illégale ;
Considérant, en troisième lieu, que si l'article 18-1 du traité instituant la Communauté européenne donne à tout citoyen de l'Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ces stipulations ne s'appliquent que sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité, notamment, pour des raisons d'ordre public et de sécurité publique ; qu'elles n'interdisent pas aux Etats membres d'expulser vers le pays dont il a la nationalité un citoyen de l'Union ; qu'ainsi, Mme X...
Y... ne peut, en tout état de cause, faire valoir que la décision attaquée méconnaît le droit de circulation institué par ces stipulations ;

Considérant, en quatrième lieu, que si des dispositions spécifiques, résultant notamment de conventions et de traités internationaux ratifiés par la France en matière d'extradition et distinctes des dispositions relatives à l'expulsion ainsi qu'à sa mise en exécution, régissent la procédure et les conditions dans lesquelles un étranger qui fait l'objet de poursuites judiciaires dans un autre Etat peut être livré par la France à cet Etat afin qu'il y soit jugé ou qu'il y subisse une peine à laquelle il a été condamné par un tribunal de cet Etat, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe général qu'un étranger qui fait l'objet de poursuites judiciaires dans son pays d'origine ne puisse être éloigné à destination de ce pays, quand bien même une procédure d'extradition pourrait être engagée à son encontre à l'initiative de cet Etat ; que le choix fait par les autorités administratives françaises d'éloigner à destination de son pays d'origine un étranger qui a régulièrement fait l'objet d'une procédure d'expulsion, expressément prévu sous le respect des conditions qu'édicte l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et sur lequel le juge de l'excès de pouvoir exerce un entier contrôle tant au regard du droit interne que du droit international, ne saurait être constitutif d'un détournement de la procédure d'expulsion que si la mesure d'éloignement, répondant en réalité à une initiative de l'Etat dont l'étranger expulsé a la nationalité, était prise par les autorités françaises dans le but exclusif de le remettre aux autorités de cet Etat et non dans celui d'assurer l'exécution d'une mesure d'expulsion légalement décidée ;
Considérant, en l'espèce, que le gouvernement français n'a été saisi d'aucune demande d'extradition formulée par le gouvernement espagnol, concernant Mme X...
Y... ; que si celle-ci, membre de l'organisation séparatiste basque ETA, a fait l'objet en Espagne de poursuites judiciaires, il ne ressort des pièces du dossier ni que la décision d'éloignement vers l'Espagne la concernant aurait été édictée à l'initiative des autorités de ce pays, ni qu'elle aurait été prise dans le but exclusif de la remettre à ces autorités espagnoles et non d'assurer, dans le respect des prescriptions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 21 novembre 1945, l'exécution de l'arrêté d'expulsion dont elle a légalement fait l'objet, ainsi qu'il résulte de l'arrêt n 00PA00220 de ce jour ;

Considérant, en cinquième lieu, que Mme X...
Y... soutient que la décision la renvoyant vers l'Espagne est contraire aux dispositions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 en faisant valoir, tout d'abord, qu'elle y serait soumise à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3 de la Convention contre la torture susvisée et de l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que, toutefois, alors que l'Espagne, qui a souscrit aux engagements internationaux de protection des droits de l'homme, est un Etat démocratique, elle n'apporte à l'appui de cette allégation aucun élément permettant de la tenir pour établie ; que la circonstance que certains citoyens espagnols originaires du Pays basque auraient fait l'objet de tels traitements ne constitue pas une preuve suffisante des risques que Mme X...
Y... prétend encourir ;
Considérant que Mme X...
Y... fait valoir que la décision attaquée méconnaît également les dispositions de l'article 27 bis en ce que sa liberté serait menacée en cas de retour dans son pays d'origine ; que, toutefois, une mesure d'éloignement pouvant exposer un étranger à une privation de liberté ne peut être considérée comme contraire à ces dispositions que si celui-ci risque d'être victime d'une atteinte arbitraire à la liberté au sens des stipulations de l'article 5-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que tel n'est pas le cas de l'étranger qui fait l'objet d'une privation de liberté résultant des limitations autorisées par lesdites stipulations, lesquelles réservent l'hypothèse d'une telle privation, selon les voies légales, dans le but de préserver, notamment, l'ordre public et la sécurité publique ;
Considérant, enfin, que si Mme X...
Y... soutient que, faute de notification de l'arrêté d'expulsion, elle a été privée d'un recours effectif, il ressort des pièces du dossier que cet arrêté lui a été notifé le 9 juin 1999 ; qu'ainsi, ce moyen doit, en tout état de cause, être rejeté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X...
Y... n'est pas fondée à soutenir que la décision du préfet de l'Essonne fixant le pays à destination duquel elle devait être éloignée est entaché d'illégalité ; que, par suite ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision doivent être rejetées ;
Sur les conclusions relatives à la "décision de remise" aux autorités espagnoles :
Considérant qu'en vertu de l'article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, alors en vigueur, la juridiction administrative ne peut être saisie, sauf en matière de travaux publics, que par voie de recours formé contre une décision ;

Considérant que les modalités d'exécution d'un arrêté fixant le pays à destination duquel un étranger doit être éloigné ne constituent pas une décision distincte de cet arrêté susceptible d'être contestée séparément ; qu'ainsi, le MINISTRE DE L'INTERIEUR est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité des conclusions présentées par Mme X...
Y... dirigées contre une prétendue "décision de remise" aux autorités espagnoles la concernant ; qu'il y a lieu, par conséquent, de rejeter de telles conclusions ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par Mme X...
Y... tendant à ce qu'il soit ordonné aux autorités administratives de ne pas l'éloigner du territoire français doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, soit condamné à verser à Mme X...
Y... la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 1er juillet 1999 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme X...
Y... devant le tribunal administratif de Versailles ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 99PA03059
Date de la décision : 02/05/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-02 ETRANGERS - EXPULSION


Références :

Code de justice administrative L761-1
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R102
Décret 94-211 du 11 mars 1994 art. 17
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 23, art. 24, art. 27 bis


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme GIRAUDON
Rapporteur public ?: Mme MASSIAS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2001-05-02;99pa03059 ?
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