(3 me chambre B)
VU la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 12 août 1998 et 11 décembre 1998, présentés pour la société TAHITI NUI TRAVEL, dont le siège est ..., par Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n 96-194 en date du 28 avril 1998 par lequel le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 150 millions CFP en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de manifestations violentes à l'aéroport de Tahiti Faa'a et Papeete en septembre 1995 et l'a condamnée aux dépens ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 123.960.000 CFP avec intérêts de droit à compter de la requête introductive d'instance, soit le 12 août 1996, et intérêts des intérêts ;
C+ 3 ) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15.734.582 CFP avec intérêts et intérêts des intérêts, en raison du préjudice commercial résultant de l'incendie de locaux professionnels et des annulations de réservations immédiatement consécutives ;
4 ) de mettre les frais d'expertises, d'un montant de 75.240 F, à la charge de l'Etat ;
5 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 83-8 du 7 janvier 1983, notamment son article 92 rendu applicable en Polynésie française par la loi n 86-29 du 9 janvier 1986 en son article 27-III ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 septembre 1999 :
- le rapport de M. BATAILLE, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LAURENT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que, par jugement n 96-194 en date du 28 avril 1998, le tribunal administratif de Papeete a rejeté la demande de la société TAHITI NUI TRAVEL tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de manifestations violentes à l'aéroport de Tahiti Faa'a et Papeete en septembre 1995 et l'a condamnée à supporter la charge des frais d'expertise ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les premiers juges ont visé le rapport d'expertise du 20 juin 1997 déposé par la société Lamy qui ne pouvait avoir pour mission, quelle qu'en soit la rédaction de l'ordonnance du 22 février 1996, que d'évaluer les divers dommages subis par la société et constatés postérieurement aux événements survenus à Tahiti les 6 et 7 septembre 1995, sans décider de la question de droit relative à la responsabilité de l'Etat pour l'indemnisation de ces dommages ; que la circonstance que, dans ses motifs, ledit jugement ne se réfère explicitement à ce rapport d'expertise qu'en ce qui concerne le dommage commercial ayant fait suite à l'incendie de ses locaux, ne saurait être regardée comme ayant pour conséquence, contrairement à ce que soutient la société, que les premiers juges auraient omis de prendre en compte les conclusions dudit rapport en ce qui concerne le dommage commercial résultant de la baisse de la fréquentation touristique ;
Considérant, en second lieu, que, les premiers juges ont d'abord constaté que les manifestations violentes des 6 et 7 septembre 1995 avaient donné lieu à la commission de délits et que, sous réserve d'un lien direct de causalité avec ces délits, les dommages invoqués étaient susceptibles d'être réparés par l'Etat sur le fondement du régime de responsabilité prévu par l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983 ; qu'ils ont ensuite analysé la demande de la société TAHITI NUI TRAVEL comme ne comportant pas de conclusions tendant à la réparation d'un préjudice matériel ou d'un préjudice commercial, ce dernier au surplus non établi par le rapport d'expertise, né de l'incendie de ses locaux ; qu'ils ont enfin rejeté les conclusions tendant à l'indemnisation par l'Etat, sur le fondement du régime de responsabilité prévu par l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983, de leur dommage commercial né de la baisse de la fréquentation touristique en considérant que le dommage invoqué ne constituait pas un préjudice lié de manière directe et certaine aux délits constatés ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société TAHITI NUI TRAVEL n'est pas fondée à soutenir que la motivation du jugement attaqué serait insuffisante et contradictoire ;
Au fond :
Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983 : "L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits, commis à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens." ; qu'il résulte de ces dispositions que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à raison de dommages corporels, de dommages matériels ou d'un préjudice commercial qui sont la conséquence directe et certaine des crimes et délits ainsi visés ;
Considérant qu'il est constant qu'à la suite de la reprise des essais nucléaires en Polynésie française, des manifestations violentes ont eu lieu dans le centre-ville de Papeete et à l'aéroport de Faa'a au cours de la journée du 6 septembre et de la nuit du 6 au 7 septembre 1995, que ces émeutes ont donné lieu à la commission de délits et que les dommages liés de manière directe et certaine à ces délits étaient susceptibles d'être réparés par l'Etat sur le fondement du régime de responsabilité prévu par l'article 92 de la loi susvisée du 7 janvier 1983 ;
Considérant, en premier lieu, que, si la société TAHITI NUI TRAVEL fait état de l'incendie de locaux professionnels lié aux émeutes, elle ne demande pas réparation du préjudice matériel ainsi subi ;
Considérant, en deuxi me lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise de la société Lamy, que la société requérante n'établit pas avoir subi un préjudice commercial au cours des journées des 6 et 7 septembre 1995 pendant lesquelles se sont déroulées les émeutes ;
Considérant, en troixi me lieu, que la société demande, au titre de perte de recettes d'exploitation ou subsidiairement de perte de chance sérieuse de réaliser ces recettes, tre indemnisée par l'Etat hauteur de la somme de 123.960.000 CFP retenue par l'expert, ou, titre subsidiaire, hauteur de la somme de 15.734.852 CFP, comprenant d'une part, hauteur de la somme de 13.877.130 CFP, le surplus non indemnisé par son assureur, soit la différence entre les sommes de 30.631.893 CFP et 16.754.763 CFP, et d'autre part, hauteur de la somme de 1.857.452 CFP, le montant des annulations de réservations au cours du mois de septembre 1995 ;
Considérant que le préjudice subi par la société et calculé par l'expert résulte des répercussions médiatiques des év nements dont s'agit sur la client le touristique, savoir une baisse de la fréquentation touristique en Polynésie française par rapport la fréquentation raisonnablement attendue pour la période de septembre 1995 décembre 1996 ; qu'ainsi ce préjudice commercial ne peut tre regardé comme lié directement et précisément aux délits constatés lors des émeutes en centre-ville de Papeete et l'aéroport de Faa'a ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui préc de que la responsabilité de l'Etat ne peut tre engagée sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 7 janvier 1983 ;
Considérant que, dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont mis les frais d'expertise à la charge de la société requérante ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société TAHITI NUI TRAVEL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de manifestations violentes à l'aéroport de Tahiti Faa'a et Papeete en septembre 1995 et l'a condamné aux dépens ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la société TAHITI NUI TRAVEL la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la société TAHITI NUI TRAVEL est rejetée.