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25/11/1999 | FRANCE | N°98PA04606

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2e chambre, 25 novembre 1999, 98PA04606


(2ème chambre A)
VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 30 décembre 1998, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9410715 en date du 11 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société Alcatel-Alsthom de condamnation de l'Etat à lui verser les intérêts moratoires et les intérêts des intérêts se rapportant à l'excédent d'impôt sur les sociétés versé par elle au titre de l'exercice 1993 ;
2 ) de condamner la soci

té Alcatel-Alsthom à rembourser à l'Etat les divers intérêts perçus en applica...

(2ème chambre A)
VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 30 décembre 1998, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9410715 en date du 11 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société Alcatel-Alsthom de condamnation de l'Etat à lui verser les intérêts moratoires et les intérêts des intérêts se rapportant à l'excédent d'impôt sur les sociétés versé par elle au titre de l'exercice 1993 ;
2 ) de condamner la société Alcatel-Alsthom à rembourser à l'Etat les divers intérêts perçus en application du jugement du tribunal administratif ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
VU le code civil ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 novembre 1999 :
- le rapport de Mme DE ROCCA, premier conseiller,
- les observations de la SCP VIER-BARTHELEMY, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour Alcatel-Alsthom,
- et les conclusions de M. MORTELECQ, commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'au titre de l'exercice 1993, la société anonyme Alcatel-Alsthom, aux droits de laquelle vient la société anonyme Alcatel, a déposé le 15 avril 1994 auprès du comptable du Trésor un bordereau-avis de liquidation de l'impôt sur les sociétés faisant apparaître que le total des acomptes payés par ses soixante filiales françaises qui avaient opté pour le régime d'intégration fiscale défini aux articles 223A et suivants du code général des impôts, avait excédé de 424.614.139 F l'impôt définitif liquidé dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1668 du même code ; que, le 15 juin 1994, la société Alcatel-Alsthom a demandé le remboursement de cette somme au comptable du Trésor ; que ce dernier a imputé, sur ledit excédent, 31.858.068 F en règlement du premier acompte de l'impôt sur les sociétés dû par la société Alcatel-Alsthom au titre de l'année 1994, 33.170.349 F au titre du second acompte exigible le 15 juin 1994 et il a remboursé au contribuable le solde à raison de 390.592.641 F le 20 juin 1994 et 724.632 F le 2 août 1994 ; que, par le jugement du 11 juin 1998 dont le ministre fait appel, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Alcatel-Alsthom, sur le fondement de l'article L.208 du livre des procédures fiscales, les intérêts au taux légal sur les sommes de 390.592.641 F et 724.632 F à compter du 15 juin 1994 respectivement jusqu'au 20 juin et 2 août 1994 ; que, par la voie du recours incident, la société Alcatel demande que les intérêts des deux sommes susmentionnées ainsi que de la somme de 33.170.349 F commencent à courir à compter du 15 mai 1994 ; qu'à cet effet, elle invoque, à titre principal, les dispositions de l'article L.208 susmentionné et, à titre subsidiaire, la faute commise par l'administration en tardant à lui restituer les excédents d'impôt versés ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.208 du livre des procédures fiscales : "Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration des impôts à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt légal. Les intérêts courent au jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés" ;

Considérant que les intérêts moratoires dont les dispositions précitées prévoient le versement aux contribuables portent sur les sommes qui leur sont restituées en conséquence d'une décision de l'administration ou du juge de l'impôt statuant sur une réclamation mettant en cause auprès du directeur des services fiscaux la régularité ou le bien-fondé d'une imposition, mais que n'entre pas dans le champ d'application de ces dispositions la restitution d'acomptes d'impôt sur les sociétés qui, s'il y a excédent, est opérée auprès d'une société, par application de l'article 1668-2 du code général des impôts, par le comptable du Trésor chargé du recouvrement de l'impôt dû, fût-ce à la demande du redevable après l'expiration du délai légalement prévu ; que, par suite, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur les dispositions précitées de l'article L.208 du livre des procédures fiscales pour condamner l'Etat à verser à la société Alcatel-Alsthom les intérêts au taux légal de la somme de 390.592.641 F à compter du 15 juin jusqu'au 20 juin 1994 et de la somme de 724.632 F du 15 juin jusqu'au 2 août 1994 ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Alcatel devant le tribunal administratif de Paris et en appel ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant que le ministre invoque l'irrecevabilité de la demande de première instance de la société Alcatel-Alsthom pour avoir été présentée sans le concours d'un avocat, en méconnaissance des dispositions de l'article R.108 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que, toutefois, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'avocat en première instance ne saurait être utilement opposée en appel, dès lors que le tribunal administratif n'aurait pu l'opposer à la demande sans avoir préalablement invité la société à régulariser sa demande en recourant au ministère d'un avocat ;
Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 1668 du code général des impôts : "1- L'impôt sur les sociétés est payé au comptable du Trésor chargé du recouvrement des impôts directs en quatre termes déterminés provisoirement d'après le résultat du dernier exercice clos et calculé sur le bénéfice imposable et, en ce qui concerne les sociétés nouvellement créées, sur le produit évalué à 5% du capital social ... 2- Dès la remise de la déclaration prévue au 1 de l'article 223, il est procédé à une liquidation de l'impôt dû à raison des résultats de la période visée par cette déclaration. S'il résulte de cette liquidation un complément d'impôt au profit du Trésor, il est immédiatement acquitté. Si la liquidation fait apparaître que les acomptes versés sont supérieurs à l'impôt dû, l'excédent, défalcation faite des autres impôts directs dus par l'entreprise, est restitué dans les trente jours de la date de dépôt des bordereaux-avis de versement ..." ; que l'article 223 N du même code dispose en outre que : "Chaque société du groupe est tenue de verser les acomptes prévus à l'article 1668 pour la période de douze mois ouverte à compter du début de l'exercice au titre duquel cette société entre dans le groupe. Si la liquidation de l'impôt dû à raison du résultat imposable de cette période par la société mère fait apparaître que les acomptes versés sont supérieurs à l'impôt dû, l'excédent est restitué à la société mère dans le délai prévu au 2 de l'article 1668 ..." ;
Considérant qu'il résulte des dispositions susmentionnées de l'article 1668-2 du code général des impôts que l'administration était tenue de restituer à la société Alcatel-Alsthom les excédents d'impôt révélés par le dépôt le 14 avril 1994 du bordereau-avis de versement dans un délai de trente jours, qui expirait le 15 mai 1994 ; que, si en principe les erreurs commises par l'administration fiscale lors de l'exécution d'opérations qui se rattachent aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt n'engagent la responsabilité de l'Etat qu'en cas de faute lourde en raison de la difficulté que présente généralement la mise en oeuvre de ces procédures, il en va différemment lorsque l'appréciation de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières ;

Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, l'excédent d'impôt en litige qui aurait dû légalement être restitué le 15 mai 1994, l'a été le 15 juin 1994 pour la somme de 33.170.349 F, le 20 juin 1994 pour la somme de 350.592.641 F et le 2 août 1994 pour le solde de 724.632 F ; que si le ministre fait valoir les difficultés rencontrées par ses services pour centraliser les données concernant le versement des acomptes effectués par les soixante filiales de la société Alcatel, cette circonstance ne saurait exonérer la responsabilité de l'Etat dès lors que les dispositions précitées de l'article 1668 du code général des impôts imposent à l'administration une obligation déterminée de restitution des acomptes dans un délai précis ; qu'ainsi, le retard du comptable du Trésor est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que le ministre ne peut utilement invoquer, pour atténuer cette responsabilité, la circonstance que la société n'aurait pas recouru à la simple faculté qui lui était offerte, par les dispositions de l'article 363 de l'annexe III du code général des impôts, d'anticiper la réduction de sa cotisation d'impôt en ne versant pas au Trésor la totalité des acomptes définis au 1 de l'article 1668 de ce code ;
Sur le préjudice :
Considérant que la société Alcatel a subi un préjudice financier résultant de l'indisponibilité des excédents d'impôts versés à compter du 15 mai 1994 et jusqu'aux dates de leurs restitutions ; que ce préjudice correspond au montant des intérêts au taux légal courant sur la somme de 390.592.641 F du 15 mai 1994 au 20 juin 1994, et sur la somme de 724.632 F du 15 mai 1994 au 2 août 1994 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Alcatel est fondée à demander, d'une part, le rejet des conclusions du recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 11 juin 1998 et, d'autre part, à ce que les intérêts au taux légal qui lui ont été alloués par le même article 2 de ce jugement sur les sommes de 390.592.641 F et 724.632 F courent à compter du 15 mai 1994 au lieu du 15 juin 1994 ;
Sur les conclusions de la société Alcatel tendant au paiement d'intérêts moratoires sur la somme de 33.170.349 F du 15 mai 1994 au 15 juin 1994 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Alcatel n'avait pas demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires sur la somme de 33.170.349 F entre le 15 mai et le 15 juin 1994 ; qu'ainsi, lesdites conclusions sont irrecevables pour être présentées pour la première fois en appel ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article 1153 du code civil :

Considérant qu'aux termes de l'article 1153 du code civil : "Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance." ;
Considérant que si les dispositions de l'article L.208 précité du livre des procédures fiscales font obstacle à ce que les intérêts moratoires auxquels donne lieu le remboursement de l'acompte provisionnel soient eux-mêmes capitalisés, elles sont sans application dans le cas qui est celui de l'espèce, où l'Etat s'acquitte de sa dette en principal, interrompant ainsi le cours des intérêts, mais ne paye pas en même temps la somme des intérêts dont il est alors redevable, obligeant ainsi le créancier à former une nouvelle demande tendant au paiement de cette somme ; que, dans ce cas, les intérêts qui étaient dus au jour du paiement du principal forment eux-mêmes une créance productive d'intérêts dans les conditions de l'article 1153 susmentionné du code civil ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Alcatel-Alsthom a réclamé le 15 juin 1994 les intérêts moratoires des excédents d'acomptes restitués le 20 juin et le 2 août 1994 ; qu'ainsi, c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à cette société à compter du 15 juin 1994 les intérêts au taux légal de la créance constituée par les intérêts des sommes de 390.592.641 F et 724.632 F ; que, par suite, il y a lieu de rejeter à la fois les conclusions du recours du ministre tendant à l'annulation sur ce point du jugement du tribunal administratif de Paris et les conclusions de la requête de la société Alcatel tendant à ce que les intérêts sur sa créance courent à compter du 15 mai 1994 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner l'Etat à payer à la société Alcatel la somme de 5.000 F ;
Article 1er : Les intérêts au taux légal que l'Etat à été condamné à verser à la société Alcatel-Alsthom par le jugement du tribunal administratif de Paris du 11 juin 1998 sur les sommes de 390.592.641 F et 724.632 F commenceront à courir à compter du 15 mai 1994.
Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.
Article 3 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société Alcatel la somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Alcatel est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 98PA04606
Date de la décision : 25/11/1999
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-01-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REGLES GENERALES - IMPOT SUR LES BENEFICES DES SOCIETES ET AUTRES PERSONNES MORALES


Références :

CGI 223 A, 1668, 223
CGI Livre des procédures fiscales L208, 1153
CGIAN3 363
Code civil 1153
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R108, L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme DE ROCCA
Rapporteur public ?: M. MORTELECQ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1999-11-25;98pa04606 ?
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