VU la requête, enregistrée le 5 septembre 1997 au greffe de la cour, présentée pour Mme M., par Me BERNFELD, avocat ; Mme M. demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n 9602220 du 9 juillet 1997 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit condamnée à lui verser la somme de 348.000 F ;
2°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 318.000 F, déduction faite de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et la somme de 10.000 F au titre de préjudice esthétique, de 20.000 F au titre du pretium doloris, augmentée des intérêts et des intérêts des intérêts ;
3 ) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 10.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
4 ) de déclarer commun le jugement à intervenir à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ;
5 ) d'autoriser son conseil à intervenir oralement à l'audience ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la sécurité sociale ;
VU la loi du 5 juillet 1985 et notamment son article 29 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mai 1999 :
- le rapport de M. GAYET, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme MARTEL, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que Mme M., souffrait de crises de tachycardie du fait de la maladie de Bouveret ; qu'elle a subi le 26 février 1992, à l'hôpital Jean Rostand d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) une intervention par les méthodes de radiofréquence, consistant en l'ablation d'une zone myocardique par l'utilisation d'un courant électrique délivré par une sonde électrode, intervention alors appliquée aux tachycardies paroxystiques par rentrée nodale ; qu'au cours du troisième tir, le déplacement de la sonde a provoqué l'apparition d'un bloc auriculo-ventriculaire complet nécessitant l'implantation au cours de deux interventions les 6 et 13 avril 1993, d'un stimulateur cardiaque et une opération à coeur ouvert le 22 novembre 1993 ; que le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande d'indemnisation de Mme M. ;
Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise du professeur Lanfranchi, commis comme expert par le tribunal administratif de Paris et de l'expertise établie par le docteur Samuel Gérard Benayoun, en 1994, à la demande du conseil de Mme M., que la maladie dont Mme M. était atteinte était bénigne et ne mettait nullement en cause le pronostic vital ; que, par suite, l'indication thérapeutique en cause ne revêtait pas de caractère d'urgence ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que le praticien hospitalier ne pouvait ignorer ni le risque exceptionnel de l'ordre de 1 % à 2 % qu'encourait Mme M. en acceptant une intervention de la nature de celle pratiquée le 26 février 1993, ni l'étude multicentrique européenne en cours et à laquelle participait l'hôpital Jean Rostand ; qu'en s'abstenant d'informer avec une suffisante précision Mme M. de toutes les suites possibles et notamment du risque de bloc auriculo-ventriculaire complet que comportait l'ablation proposée lors de la consultation hospitalière du 5 janvier 1993, le praticien du centre hospitalier Jean Rostand, a mis la patiente dans l'impossibilité de donner un consentement éclairé à cette intervention qui, si elle était utile n'était pas d'une urgence manifeste ; que le praticien hospitalier a ainsi méconnu ses obligations et commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme M. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que, par suite, il y a lieu de l'annuler ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne le montant du préjudice :
Considérant que le préjudice subi par Mme M. en raison du défaut d'information sur l'existence d'un risque exceptionnel et grave de complication inhérent à l'intervention qu'elle a subie a consisté exclusivement en la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation résultant de cette perte de chance en condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à payer à Mme M. la somme de 200.000 F ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L.376-1 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, les caisses sont autorisées à poursuivre le remboursement des prestations mises à leur charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte de l'intégrité physique de la victime à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel ;
Considérant que si la caisse primaire d'assurance maladie de Paris justifie avoir exposé des frais médicaux et d'hospitalisation d'un montant de 199.702,08 F, le caractère personnel du préjudice et le montant forfaitaire de l'indemnité susmentionnée de 200.000 F s'opposent à ce que la caisse primaire d'assurance maladie puisse imputer ses droits sur cette dernière somme ;
En ce qui concerne les intérêts :
Considérant que Mme M. a droit aux intérêts de la somme de 200.000 F à compter du 16 février 1996 date de présentation de sa demande d'indemnités devant le tribunal administratif ;
En ce qui concerne la capitalisation :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par Mme M. les 29 janvier 1996 puis le 5 septembre 1997 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions de Mme M. tendant à ce qu'il lui soit donné acte de ses réserves en ce qui concerne l'aggravation du préjudice :
Considérant que la présente décision ne fait pas obstacle à ce que Mme M. présente, le cas échéant au tribunal administratif une demande tendant à obtenir une nouvelle indemnisation fondée sur des données nouvelles ;
Sur les conclusions de Mme M. et de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris tendant à l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours adminis-tratives d'appel de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à payer à Mme M. la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement n 9602220 du 9 juillet 1997 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme M., la somme de 200.000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 1996 ; les intérêts échus les 29 janvier 1996 et 5 septembre 1997 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à Mme M. la somme de 10.000 F, au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme M. est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris sont rejetées.