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23/02/1999 | FRANCE | N°97PA01725

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3e chambre, 23 février 1999, 97PA01725


VU la décision en date du 16 juin 1997, par laquelle le Conseil d'Etat a renvoyé devant la cour la requête présentée pour Mme Y... ;
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 septembre 1993, présentée pour Mme Marie-Andrée Y..., demeurant ...Université (75007) Paris, par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du 14 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit condamnée à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi p

ar elle du fait du décès de son mari ;
2 ) de condamner l'Assistance pub...

VU la décision en date du 16 juin 1997, par laquelle le Conseil d'Etat a renvoyé devant la cour la requête présentée pour Mme Y... ;
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 septembre 1993, présentée pour Mme Marie-Andrée Y..., demeurant ...Université (75007) Paris, par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du 14 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soit condamnée à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi par elle du fait du décès de son mari ;
2 ) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 4.000.000 F ;
3 ) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 30.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 février 1999 :
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations de Me Z..., avocat, pour Mme Y... et celles du cabinet FOUSSARD, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;

Sur le lien de causalité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, que M. Francis Y..., a subi une intervention chirurgicale à l'Hôtel-Dieu, le 12 septembre 1985 ; qu'au cours de cette intervention, cinq concentrés de globules rouges et sept plasmas frais congelés ont été transfusés à l'intéressé ; qu'un bilan viral effectué en octobre 1986 a fait apparaître que celui-ci était contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ; que M. Y... est décédé du sida le 19 avril 1991 ; que l'un des douze donneurs dont provenait le sang qui a été transfusé à M. Y... a laissé sans réponse les convocations qui lui ont été adressées aux fins de le soumettre à un test de séropositivité, l'examen des autres donneurs ayant donné un résultat négatif ; que si ce donneur a été soumis, lors du don, à un test de dépistage du virus de l'immunodéficience humaine qui a donné des résultats négatifs, et si un concentré globulaire provenant de lui a été utilisé sur un autre patient sans dommages pour ce dernier, toute présence du virus dans le plasma frais congelé provenant de ce donneur et utilisé sur M. Y... ne saurait toutefois être tenue pour exclue ; qu'en effet, il résulte du rapport d'expertise du docteur A..., d'une part, que certains cas d'infection restent actuellement indétectables par les analyses biologiques et, d'autre part, que M. Y... possédait, en raison du fait qu'il avait été autrefois atteint d'une tuberculose grave, un système immunitaire fragilisé ; qu'il ne courait donc pas, face à une même agression, le même danger qu'un receveur en bonne santé ; qu'enfin, il n'existe dans son passé aucun facteur de risque autre que la transfusion effectuée en septembre 1985 qui puisse expliquer la contamination dont il a été victime ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le lien de causalité entre l'acte médical et le dommage doit être regardé comme établi ; que le jugement attaqué doit, dès lors, être annulé ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme Y... devant le tribunal administratif de Paris ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'en vertu de la loi du 21 janvier 1952, modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ;
Considérant que le préjudice résultant pour un malade de sa contamination par des produits sanguins transfusés est imputable à la personne morale publique ou privée dont relève le centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits utilisés même en l'absence de faute ;

Considérant, d'une part, qu'il ressort du rapport d'expertise que les douze produits sanguins litigieux ont été fournis par le centre de transfusion sanguine du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, lequel n'a pas une personnalité juridique distincte de celle de l'administration générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant, d'autre part, que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'établit ni même n'allègue qu'aurait été administré à M. Y... un produit sanguin fourni par un centre de transfusion sanguine ayant une personnalité juridique distincte ; que, par suite, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris doit être regardée comme entièrement responsable du préjudice résultant de la contamination de M. Y... ;
Sur l'indemnisation :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. Y... a cessé ses activités professionnelles le 11 mai 1990, par suite de son départ à la retraite, alors qu'il avait atteint l'âge de 65 ans ; que compte tenu de la date récente à laquelle M. Y... était devenu notaire associé, du caractère très rémunérateur de cette activité par rapport à celle qu'il exerçait auparavant et du regret que la victime a exprimé, lors de son départ à la retraite, de ne pouvoir la "prolonger un peu", Mme Y... est fondée à soutenir que la décision qu'a prise son mari de ne pas prolonger son activité professionnelle au delà de l'âge de 65 ans a été directement causée par l'intervention de sa maladie ; qu'elle est également fondée à soutenir que le fait pour son mari d'être entré dans la phase de sida déclaré, durant le printemps 1989, a affecté le volume et la qualité de son activité, et que les revenus qu'il aurait normalement perçus du fait de sa participation aux résultats de l'étude, au titre des années 1989 et 1990, ont été diminués de ce chef ; que compte tenu des revenus déclarés par M. Y... au titre de son activité professionnelle durant l'année 1989, lesquels s'élevaient à la somme de 3.919.630 F, le préjudice économique peut être fixé à la somme de 3.752.992,90 F, demandée par Mme Y... ;
Considérant, en second lieu, que Mme Y... demande la réparation du préjudice spécifique de contamination subi par M. Y..., constitué par les troubles de toute nature dont il a souffert du fait de sa maladie ; qu'en évaluant ce préjudice à la somme de 1.000.000 F, elle n'en fait pas une évaluation excessive ; qu'il ressort des pièces du dossier que les ayants droit de M. Y... ont reçu une somme de 600.000 F du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu'il y a donc lieu de déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable lequel s'élève, par suite, à la somme de 400.000 F ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice total subi par M. Y... du fait de sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine s'élève à la somme totale de 4.152.992,90 F ; que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris doit être condamnée à verser à Mme Y... la partie de cette somme représentant sa quote-part dans la succession de son mari ;
Sur les intérêts :

Considérant que la requérante a droit aux intérêts de la somme à compter du 29 juillet 1991, jour de la réception par le ministre de sa demande ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 26 février 1998 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à payer à la requérante la somme de 10.000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 14 avril 1993 est annulé.
Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme Y..., sur la somme de 4.152.992,90 F, la partie qui revient à celle-ci au titre de sa quote-part dans la succession de son mari. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 1991. Les intérêts échus le 26 février 1998 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à payer à B... BERTIN la somme de 10.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 97PA01725
Date de la décision : 23/02/1999
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - MANQUEMENTS A UNE OBLIGATION D'INFORMATION ET DEFAUTS DE CONSENTEMENT


Références :

Code civil 1154
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. DEMOUVEAUX
Rapporteur public ?: Mme HEERS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1999-02-23;97pa01725 ?
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