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05/05/1998 | FRANCE | N°97PA00036

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3e chambre, 05 mai 1998, 97PA00036


(3ème Chambre)
VU I) enregistrée sous le n 97PA04644, le 30 décembre 1996 au greffe de la cour, la requête présentée par la société HEC DEVELOPPEMENT, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice, par Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société HEC DEVELOPPEMENT demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9408159/14 en date du 21 juin 1996 en tant que le tribunal administratif de Paris a fixé à la somme de 2.500.000 F le montant de l'indemnité que l'Etat devait lui verser en réparation du préjudice subi du fait de l

a fermeture illégale de l'établissement "Le Palace" pour une durée de 6 mo...

(3ème Chambre)
VU I) enregistrée sous le n 97PA04644, le 30 décembre 1996 au greffe de la cour, la requête présentée par la société HEC DEVELOPPEMENT, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice, par Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société HEC DEVELOPPEMENT demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9408159/14 en date du 21 juin 1996 en tant que le tribunal administratif de Paris a fixé à la somme de 2.500.000 F le montant de l'indemnité que l'Etat devait lui verser en réparation du préjudice subi du fait de la fermeture illégale de l'établissement "Le Palace" pour une durée de 6 mois à compter du 1er décembre 1989 ;
2 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 34.600.000 F avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts à compter de l'introduction de sa demande, en réparation du préjudice subi ;
3 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU II), enregistrée sous le n 97PA00036 le 7 janvier 1997 au greffe de la cour, la requête présentée par le PREFET DE POLICE DE PARIS qui demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9408159/4 en date du 21 juin 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Hec Developpement une somme de 2.500.000 F en réparation du préjudice subi du fait de la fermeture illégale de l'établissement "Le Palace" pour une durée de 6 mois à compter du 1er décembre 1989, et une somme de 15.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2 ) de rejeter la demande de la société Hec Developpement devant le tribunal administratif ;
VU les autres pièces des dossiers ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU le code des débits de boissons ;
VU la loi du 24 juillet 1966 ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 1998 :
- le rapport de M. de SAINT-GUILHEM, premier conseiller,
- les observations de Me Y..., avocat, substituant Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société HEC DEVELOPPEMENT et celles du cabinet FOUSSARD, avocat au Conseil
d'Etat et à la Cour de cassation, pour la ville de Paris,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que les requêtes du PREFET DE POLICE DE PARIS et de la société HEC DEVELOPPEMENT présentent à juger les mêmes questions ; qu'elles doivent être jointes pour qu'il soit statué par une même décision ;
Sur la recevabilité de l'appel formé par le PREFET DE POLICE DE PARIS :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article R.117 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le PREFET DE POLICE DE PARIS n'avait pas qualité pour présenter au nom de l'Etat des conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 21 juin 1996, condamnant l'Etat à réparer les conséquences dommageables de la fermeture administrative pour six mois de l'établissement "Le Palace", par arrêté du 1er décembre 1989 ; que toutefois, le ministre de l'intérieur s'est expressément approprié à la date du 27 juillet 1997 les conclusions et moyens de la requête ; que l'irrecevabilité dont le pourvoi du préfet était entaché se trouve ainsi couverte, nonobstant la circonstance que la régularisation de ce pourvoi ait été effectuée au-delà du délai d'appel prévu à l'article R.229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Sur l'intérêt à agir de la société HEC DEVELOPPEMENT :
Considérant que par traité de fusion du 2 juillet 1993, la société BDGP, qui exploitait le fonds de commerce de l'établissement "Le Palace", a remis à la société HEC DEVELOPPEMENT "l'ensemble de ses éléments d'actif et de passif sans exception ni réserve", en vertu des dispositions des articles 371 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ; que dès lors la société HEC DEVELOPPEMENT, qui venait intégralement aux droits de la société BDGP était recevable, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, à demander réparation des préjudices subis du fait de la fermeture de son établissement ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, que le décès de M. A..., qui avait été imputé par le PREFET DE POLICE DE PARIS dans l'arrêté attaqué à la carence du personnel de l'établissement, est en réalité intervenu après que l'intéressé, étant sorti du Palace, eut absorbé une dose mortelle d'héroïne par voie intraveineuse ; que, si le ministre soutient que l'arrêté litigieux était également motivé par le comportement antérieur de certains vigiles et par le soin de garantir la santé publique il n'apporte à l'appui de ces allégations aucun commencement de preuve de nature à en établir la réalité ; qu'à supposer même qu'il ait entendu viser d'éventuels trafics de stupéfiants il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cette discothèque ait favorisé ou facilité des agissements contraires à l'ordre, la santé ou la moralité publique à l'époque où la décision de fermeture est intervenue ; que dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée à raison de la faute commise par le PREFET DE POLICE DE PARIS en décidant, sur le fondement de l'article L.62 du code des débits de boissons, de fermer pour six mois l'établissement Le Palace ;
Sur les préjudices :

Considérant, en premier lieu, que la société HEC DEVELOPPEMENT a droit au remboursement des charges fixes qu'elle a dû supporter sans contrepartie entre le 4 décembre 1989, date de notification de l'arrêté litigieux et le 18 janvier 1990, date de vente du fonds de commerce comprenant la discothèque Le Palace, le restaurant Le Privilège ainsi que divers locaux d'habitation, loges et bureaux ; que le tribunal administratif de Paris n'a pas fait une inexacte estimation de ces charges en les fixant à une somme de 2.500.000 F compte tenu du montant annuel des charges fixes constaté en 1988 ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du coût d'immobilisation de cette somme jusqu'au 16 décembre 1993, date de réception de la demande préalable d'indemnisation par le PREFET DE POLICE DE PARIS, en la fixant à la somme de 1.100.000 F que l'Etat devra verser à la société HEC DEVELOPPEMENT ;
Considérant, en troisième lieu, que la société requérante estime à 1.100.000 F le montant du préjudice commercial et d'image ; que cependant elle ne peut se prévaloir de ce préjudice dès lors qu'il est constant qu'à la date de réouverture de l'établissement elle n'en était plus l'exploitante ou la propriétaire ;
Considérant, en quatrième lieu, que la société HEC DEVELOPPEMENT soutient que la mesure de fermeture administrative l'aurait contrainte à accepter une offre de rachat pour 44 millions de francs du fonds de commerce par la société European Leisure Company, alors qu'elle était en pourparlers pour deux offres de 70 millions de francs ; qu'elle serait fondée à réclamer l'indemnisation de cette dépréciation ;
Considérant, d'une part, cependant qu'aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi l'existence de pourparlers ayant conduit à la détermination d'une telle somme ; que l'attestation de l'étude notariale produite, en date du 30 août 1993, ne mentionne pas de prix ; qu'au surplus, il y est fait mention d'une cession de titres, et non d'un fonds de commerce, dont il faut, pour le rendre comparable, déduire le montant du passif repris ;
Considérant, d'autre part, que la société HEC DEVELOPPEMENT justifie l'évaluation de la valeur du fonds de commerce cédé pour le prix de 65 millions de francs par la production d'un rapport de l'expert X... ; que cependant, ainsi que le remarque à juste titre le ministre de l'intérieur, ce rapport n'est établi que par application d'une méthode unique et non par la comparaison qui eut été justifiée entre plusieurs méthodes d'estimation ; qu'au surplus la méthode choisie, consistant à appliquer à la recette journalière et au chiffre d'affaires annuel un coefficient forfaitaire ne peut être directement transposée des coefficients retenus pour des restaurants ou des discothèques en raison de leur caractère de moyenne ; qu'au cas particulier, le ministre de l'intérieur soutient de façon précise et détaillée que l'application d'une méthode fondée sur le rendement attendu du fonds de commerce conduit à des estimations comprises entre 25 et 30 millions de francs ; que compte tenu de la notoriété de l'établissement et de son chiffre d'affaires une telle méthode paraît davantage justifiée ; qu'au demeurant, le prix payé correspond à la valeur moyenne entre l'estimation des deux rapports d'expertise des cabinets Mignet et Mazars ;

Considérant, enfin, qu'il résulte de tout ce qui précède que la société HEC DEVELOPPEMENT n'apporte pas la preuve du lien direct entre la mesure de fermeture administrative et une éventuelle dépréciation de son fonds ;
Considérant, cependant, en cinquième lieu, qu'il résulte explicitement de l'acte de cession du fonds de commerce, qu'une somme de deux millions de francs a été mise à la charge du vendeur en raison du décalage entre le paiement du prix et la date de réouverture de l'établissement à l'expiration du délai de fermeture administrative ; que la société HEC DEVELOPPEMENT est fondée à demander le remboursement de cette somme ;
Sur les intérêts :
Considérant que la société requérante a droit aux intérêts sur la totalité de la somme que l'Etat est condamné à lui payer en vertu des considérants ci-dessus, soit 5.600.000 F à compter du 16 décembre 1993, date de réception de sa demande préalable par le PREFET DE POLICE DE PARIS ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 22 juin 1995 et 30 décembre 1996 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors il y a lieu de faire droit à ces demandes conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société HEC DEVELOPPEMENT une somme de 15.000 F au titre des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : L'Etat (ministre de l'intérieur) est condamné à verser à la société HEC DEVELOPPEMENT une somme de cinq millions six cent mille francs (5.600.000 F), cette indemnité portera intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 1993. Les intérêts échus les 22 juin 1995 et 30 décembre 1996 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n 9408159/4 en date du 21 juin 1996 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : L'Etat (ministre de l'intérieur) versera une somme de 15.000 F à la société HEC DEVELOPPEMENT au titre des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société HEC DEVELOPPEMENT et de sa demande devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 97PA00036
Date de la décision : 05/05/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPECIALES - POLICE DES DEBITS DE BOISSONS.

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - RECEVABILITE - QUALITE POUR FAIRE APPEL.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FAITS N'ENGAGEANT PAS LA RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS DE GUERRE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL.


Références :

Code civil 1154
Code des débits de boissons L62
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R117, R229, L8-1
Loi 66-537 du 24 juillet 1966 art. 371


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. de SAINT-GUILHEM
Rapporteur public ?: Mme HEERS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1998-05-05;97pa00036 ?
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