Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour, respectivement, les 12 septembre et 20 décembre 1996, présentés pour la Compagnie nationale Air France, dont le siège social est ..., par Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la Compagnie nationale Air France demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9311521/4 en date du 14 juin 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, du 30 août 1993 lui infligeant une amende de 10.000 F et, en faisant partiellement droit à ses conclusions à fin de décharge de cette somme, a ramené le montant de cette amende à 5.000 F ;
2°) d'annuler ladite décision ;
3°) à tout le moins, de réduire le montant de cette amende à un montant symbolique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944 ;
Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 ;
Vu le code de l'aviation civile ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France ;
Vu le décret n° 93-180 du 8 février 1993 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 92-307 DC du 25 février 1992 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 janvier 1998 :
- le rapport de Mme de SALINS, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LAMBERT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si, dans sa requête introductive d'instance, la Compagnie nationale Air France soutient que le jugement du tribunal administratif de Paris ne répond pas à tous les moyens qu'elle avait soulevés en première instance, ce moyen, qui n'est pas repris dans son mémoire ampliatif, n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, il doit être rejeté ;
Au fond :
Sur le bien-fondé de l'amende :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée :
Considérant que lorsqu'une obligation de motivation, qui a le caractère d'une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d'illégalité la décision concernée, est exigée en vertu d'un texte spécial, une telle exigence trouve son fondement dans ledit texte et non dans les textes généraux instituant une semblable obligation ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que la décision attaquée comporterait une motivation insuffisante au regard des dispositions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et du décret susvisé du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ne peuvent être accueillis ;
Considérant que, selon le troisième alinéa de l'article 20 bis, paragraphe 1, de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, la décision du ministre prononçant une amende à l'égard d'un transporteur aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne, en provenance d'un autre Etat et démuni de document de voyage ou, le cas échéant, du visa requis, doit être motivée ; que cette obligation de motivation s'impose en vertu de ce seul texte spécial ;
Considérant que la décision du ministre en date du 7 juillet 1993, qui vise l'ensemble des textes applicables à la matière, se réfère expressément à la lettre, en date du 18 mai 1993, par laquelle le ministre a notifié à la Compagnie nationale Air France le procès-verbal du service de la police de l'air et des frontières de Roissy-en-France en date du 12 avril 1993 et l'a informé de son intention de lui infliger une amende et du montant de cette amende ; qu'elle précise que "le 12 avril 1993 la Compagnie nationale Air France a débarqué sur le territoire français, en provenance de Nouakchott, M. Y..., de nationalité mauritanienne, dépourvu de document de voyage", et apporte une réponse aux observations présentées par la Compagnie nationale Air France le 10 juin 1993 ; que, dans ces conditions, la décision du ministre lui infligeant l'amende au taux maximum doit être regardée comme étant suffisamment motivée au regard des exigences de l'article 20 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la convention de Chicago :
Considérant qu'il résulte clairement de la convention de Chicago en date du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale, et notamment de ses articles 37 et 38 relatifs aux "normes et pratiques recommandées internationales", que les normes adoptées par l'organisation de l'aviation civile internationale, compte tenu de leur nature et notamment des possibilités de dérogations qu'elles comportent, constituent des recommandations s'adressant aux Etats et ne sont pas directement applicables en droit interne ; que, dès lors, pour soutenir que la décision attaquée est dépourvue de base légale, la Compagnie nationale Air France ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 3-37-1 de l'annexe 9 de la convention de Chicago dans sa version applicable à la date de la décision attaquée ; que la circonstance que, dans le rapport remis au Parlement sur l'application de la loi du 26 février 1992, du 1er mars 1993 au 31 décembre 1995, le ministre de l'intérieur s'est livré à une interprétation des dispositions de l'annexe 9 de la convention de Chicago est, en tout état de cause, sans incidence sur l'invocabilité desdites dispositions ;
En ce qui concerne les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 20 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 26 février 1992 : "I - Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10.000 F l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un autre Etat, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable à raison de sa nationalité. Le manquement est constaté par un procès-verbal établi par un fonctionnaire appartenant à l'un des corps dont la liste est définie par décret en Conseil d'Etat. Copie du procès-verbal est remise à l'entreprise de transport intéressée. Le manquement ainsi relevé donne lieu à une amende prononcée par le ministre de l'intérieur. L'amende peut être prononcée autant de fois qu'il y a de passagers concernés. Son montant est versé au trésor public par l'entreprise de transport. L'entreprise de transport a accès au dossier et est mise à même de présenter ses observations écrites dans un délai de un mois sur le projet de sanction de l'administration. La décision du ministre, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction. Le ministre ne peut infliger une amende à raison de faits remontant à plus d'un an. II - L'amende prévue au premier alinéa du présent article n'est pas infligée :
1 ) Lorsque l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne qui demande l'asile a été admis sur le territoire français ou lorsque la demande d'asile n'était pas manifestement infondée ; 2 ) Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement ou lorsque les documents présentés ne présentent pas un élément d'irrégularité manifeste" ;
Considérant qu'il résulte tant de ces dispositions, adoptées en vue de donner leur plein effet aux dispositions de l'article 26 de la convention de Schengen, signée le 19 juin 1990, que de l'interprétation qu'en a donnée le Conseil constitutionnel dans sa décision susvisée du 25 février 1992, qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne, sont en possession de documents de voyage, le cas échéant, revêtus des visas exigés par les textes, leur appartenant, non falsifiés et valides ; que, si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas des éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de la compagnie ; qu'en l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L.322-2 du code de l'aviation civile, l'administration est tenue d'infliger à celui-ci l'amende administrative prévue par les dispositions précitées ;
Considérant qu'il ressort des pièces figurant au dossier que le voyageur embarqué par la Compagnie nationale Air France le 12 avril 1993 sur le vol Nouakchott-Paris a présenté, pour tout document de voyage, un récépissé de demande d'asile valant autorisation de séjour et autorisation de recherche et d'occupation d'un emploi, établi au nom de M. Y... de nationalité malienne, dont la validité était expirée depuis le 27 juillet 1992 ; que, dans ces circonstances, le ministre de l'intérieur n'a commis ni erreur de fait, ni erreur de droit en estimant que ledit voyageur était dépourvu de document de voyage et a fait une exacte application des dispositions précitées de l'ordonnance du 2 novembre 1945 en infligeant à la compagnie requérante l'amende prévue par ces dispositions ;
Sur le montant de l'amende appliquée à la Compagnie nationale Air France :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au caractère aisément décelable de l'irrégularité relevée et à défaut pour la Compagnie nationale Air France d'établir l'existence de circonstances particulières, autres que les conditions dans lesquelles elle opère les contrôles dans l'aéroport concerné lesquelles restent sans influence sur le montant de l'amende, de nature à justifier l'insuffisance des vérifications opérées, il y a lieu, d'une part, de rejeter la demande présentée à titre subsidiaire par la Compagnie nationale Air France et tendant à la réduction de son montant et, d'autre part, de faire droit à l'appel incident du ministre de l'intérieur en portant le montant de cette amende à la somme initialement fixée soit 10.000 F ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à la Compagnie nationale Air France la somme qu'elle demande au titre des frais qu'elle a exposés ;
Article 1er : La requête de la Compagnie nationale Air France est rejetée.
Article 2 : Le montant de l'amende infligée à la Compagnie nationale Air France par l'article 1er du jugement attaqué est porté à 10.000 F.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.