(1ère Chambre)
VU la requête, enregistrée le 21 décembre 1995, présentée pour M. Gérard X..., demeurant ..., par la SCP DELESSE-VAILLANT, avocat ; M. X... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9305400/3 du 21 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 200.000 F en réparation du préjudice résultant pour lui de la décision illégale du 13 janvier 1989 par laquelle la commission de circonscription préscolaire et élémentaire de Champigny-sur-Marne a orienté sa fille Karine en section d'éducation spécialisée ;
2 ) de condamner l'Etat à lui verser ladite somme augmentée des intérêts à compter du 9 septembre 1992, et de la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque année écoulée et à tout le moins au 10 janvier 1993 et au 21 décembre 1995 ;
3 ) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la sécurité sociale et notamment ses articles L.143-1 et L.143-2 ;
VU la loi n 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées ;
VU le décret modifié du 26 octobre 1849 et complété par le décret n 60-728 du 25 juillet 1960 ;
VU le décret n 75-1166 du 15 décembre 1975 pris pour l'application de l'article 6 de la loi n 75-534 susvisée et relatif à la composition et au fonctionnement de la commission de l'éducation spéciale et des commissions de circonscription ;
VU le décret n 89-854 du 21 novembre 1989 relatif au jugement des recours formés contre les décisions des commissions départementales de l'éducation spéciale ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juin 1997 :
- le rapport de Mme MILLE, conseiller,
- les observations de M. X...,
- et les conclusions de M. PAITRE, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que la jeune Karine X..., alors âgée de douze ans et inscrite en CM2 à l'école Jacques Y..., à Champigny-sur-Marne, au titre de l'année scolaire 1988-1989, a présenté d'importantes difficultés scolaires qui ont entraîné la saisine, par l'équipe éducative, de la commission de circonscription préscolaire et élémentaire concernée ; que, par une décision du 13 janvier 1989, cette commission a orienté l'enfant en section d'éducation spécialisée de collège à partir de septembre 1989 ; que, saisie par M. X..., père de l'enfant, la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente a, le 20 décembre 1991, annulé cette décision et rejeté la demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à indemniser le requérant des préjudices qu'il estime avoir subis en conséquence ; que celui-ci a alors saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer les conséquences préjudiciables de la saisine de la commission de circonscription préscolaire et élémentaire, de la décision de cette dernière en date du 13 janvier 1989, des dysfonctionnements de la commission régionale sus-mentionnée, du refus des collèges publics d'accueillir sa fille dans le cadre d'une scolarité autre que celle dispensée en section d'éducation spécialisée, et du refus des services du ministère de l'éducation nationale de lui communiquer la lettre du 12 octobre 1989 de l'inspecteur départemental de l'éducation nationale de la 9ème circonscription au recteur de l'académie de Créteil ; que M. X... relève appel du jugement du 21 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer les conséquences préjudiciables de la saisine de la commission de circonscription préscolaire et élémentaire par l'équipe éducative de l'école Jacques Y... et de la décision du 13 janvier 1989 de cette commission :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 34 ajouté au décret du 26 octobre 1849 par l'article 6 du décret du 25 juillet 1960 portant réforme de procédure des conflits d'attribution : "lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre saisie du même litige, si elle estime que ledit litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par un jugement motivé qui n'est susceptible d'aucun recours, même en cassation, renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal" ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 de la loi susvisée du 30 juin 1975 : "Dans chaque département, il est créé une commission de l'éducation spéciale dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par voie réglementaire et qui comprend notamment des personnes qualifiées nommées sur proposition des associations de parents d'élèves et des associations des familles des enfants et adolescents handicapés ... V Les décisions de la commission peuvent faire l'objet de recours devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale, sous réserve d'adaptations fixées par voie réglementaire ... VII Cette commission peut déléguer certaines de ses compétences à des commissions de circonscription ..." ;
Considérant que, par les dispositions précitées, la loi susvisée du 30 juin 1975 a attribué aux juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale, juridictions de l'ordre judiciaire, compétence pour connaître des recours dirigés contre les décisions des commissions départementales de l'éducation spéciale qui peuvent déléguer certaines de leurs compétences à des commissions de circonscription ; qu'il s'ensuit que les recours en indemnité fondés sur l'illégalité de telles décisions et des mesures qui les ont préparées doivent être portés devant les juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale ; que, dans ces conditions et en l'état du dossier, il apparaît que le litige ressortit à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Mais considérant, qu'ainsi qu'il a été dit, la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente, primitivement saisie par M. X..., a, par le jugement susmentionné du 20 décembre 1991 devenu définitif, décliné la compétence des juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale au profit des juridictions de l'ordre administratif ;
Considérant qu'il convient, dans ces conditions et par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849, de renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal ;
Sur les autres conclusions :
Considérant qu'il ressort de la lecture du jugement attaqué que le tribunal a omis de statuer sur les conclusions de M. X... tendant à la réparation des préjudices résultant des dysfonctionnements de la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente, du refus des collèges publics d'accueillir l'enfant en dehors d'une section d'éducation spécialisée et du refus de communication de la lettre du 12 octobre 1989 adressée au recteur ; que le jugement doit, dès lors, être annulé dans cette mesure ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces différentes demandes présentées par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
En ce qui concerne les dysfonctionnements de la commission régionale susmentionnée :
Considérant que la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice met en cause le fonctionnement du service public de la justice judiciaire ; qu'elle doit, dès lors, être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
En ce qui concerne le refus des collèges publics de scolariser l'enfant hors d'une section d'éducation spécialisée :
Considérant que la circonstance que certains chefs d'établissements scolaires publics auraient refusé d'inscrire la jeune Karine X... en classe de 6ème non spécialisée, n'est pas à l'origine d'un préjudice distinct de celui résultant de la décision du 13 janvier 1989 de la commission de circonscription préscolaire et élémentaire ; que la demande d'indemnisation de ce chef doit, dès lors, être rejetée ;
En ce qui concerne le refus opposé par les services du ministère de l'éducation nationale à la demande de communication de la lettre de l'inspecteur départemental de l'éducation nationale au recteur :
Considérant que si M. X... soutient qu'il n'a pu disposer du dossier administratif de sa fille que le 19 décembre 1990, jour de l'audience fixée par le tribunal administratif saisi d'une demande d'annulation du refus implicite opposé à une telle communication, il n'établit pas l'existence du préjudice qui résulterait de l'attitude de l'administration ; que la demande d'indemnisation de ce chef doit, dès lors, être rejetée ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que M. X... succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme au titre des frais qu'il a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Article 1er : La question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur les conclusions de M. X... relatives aux conséquences dommageables de la saisine de la commission de circonscription préscolaire et élémentaire de Champigny-sur-Marne et de la décision du 13 janvier 1989 de cette commission, est renvoyée au tribunal des conflits.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de M. X... mentionnées à l'article 1er, jusqu'à la décision du tribunal des conflits.
Article 3 : Le jugement attaqué du 21 juin 1995 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les demandes de M. X... tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer les conséquences dommageables des dysfonctionnements de la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente, du refus des collèges publics de scolariser son enfant en dehors d'une section d'éducation spécialisée, et du refus des services du ministère de l'éducation nationale de lui communiquer la lettre du 12 octobre 1989 de l'inspecteur départemental de l'éducation nationale de la 9ème circonscription, au recteur de l'académie de Créteil.
Article 4 : La demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant des dysfonctionnements de la commission régionale d'invalidité et d'incapacité permanente est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 5 : Les demandes tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du refus des collèges publics de scolariser Karine X... en dehors d'une section d'édu-cation spécialisée et du refus des services du ministère de l'éducation nationale de communiquer à M. X... la lettre du 12 octobre 1989 de l'inspecteur départemental de l'éducation nationale de la 9ème circonscription au recteur de l'académie de Créteil, sont rejetées.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.